Je suis votre Dieu. Mon Esprit vous a introduite en moi pour vous faire ouïr,
voir et sentir : ouïr mes paroles, voir des visions et sentir mon Esprit avec
joie et dévotion de l’âme. En moi est toute miséricorde avec justice, et justice
avec miséricorde. Je suis comme celui qui voit ses amis tomber en la voie où il
y a un horrible et formidable chaos, d’où il est impossible de sortir quand on y
est tombé une fois. Je parle à mes amis par ceux qui ont l’intelligence de
l’Ecriture ; je leur parle par les fléaux des angoisses et des tribulations ; je
les avertis des dangers dans lesquels ils se vont plonger, mais eux vont au
contraire , ne se souciant pas de mes paroles. Mes paroles ne sont quasi qu’une
parole, c’est-à-dire, convertir le pécheur à moi ; car ils marchent
périlleusement ; car bien que leur ennemis ne marchent que de jour, néanmoins,
ils sont cachés aux ténèbres de l’esprit, et ils ne les voient pas comme ils
sont.
Cette mienne parole est méprisée et cette mienne miséricorde est négligée :
néanmoins, bien que je sois si miséricordieux que d’avertir les pécheurs, je
suis aussi si juste que, quand même tous les anges les attireraient, ils ne
seraient pourtant si convertis, si eux-mêmes n’émeuvent leur volonté à la
pénitence et au bien. Or s’ils tournent leur volonté vers moi et consentent à
moi avec amour, tous les diables de l’abîme ne sauraient les retenir.
Il y a un vermisseau qui est appelé apis, non à raison de la possession de son
seigneur, mais à raison que les mouches rendent à leur roi trois sortes de
révérences et prennent de lui trois sortes de vertu : 1° les mouches apportent à
leur roi toute la douceur qu’elles peuvent fleureter de toutes les plantes ; 2°
elles lui obéissent comme il veut, et soit qu’elles aillent ou qu’elles
s’arrêtent, elles sont toujours portées d’amour et d’affection envers leur roi ;
3° elles le suivent, s’unissent à lui et lui obéissent.
Elles ont aussi de leur roi un triple bien :
1° de sa voix, elles savent le temps où il faut sortir et où il faut travailler
;
2° elles ont de lui le régime et mutuelle charité entre elles, car de sa
présence, principauté et amour qu’il a envers elles et elles envers lui, toutes
sont conjointes ensemble par amour et par charité. Chacune se réjouit de
l’avancement de l’autre, et elles s’en congratulent ensemble.
3° Par la charité et la joie qu’elles ont avec leur chef, elles sont fécondes et
fructueuses.
Car comme les poissons en la mer font leurs œufs en se jouant, lesquels, tombant
en la mer, fructifient, de même les abeilles par leur mutuelle charité, amour et
joie qu’elles ont avec leur chef, sont rendues fertiles et fécondes, de l’amour
desquelles et de ma vertu procède quelque semence comme morte qui prend vie de
ma bonté. Mais le seigneur, c’est-à-dire, le maître des mouches, est soigneux
d’elles ; il en parle à son serviteur, lui disant qu’il lui semble que quelques
mouches sont malades et qu’elles ne peuvent voler.
Le serviteur répond : Je n’entends point cette maladie ; mais si cela est ainsi,
je demande comment cela se peut savoir.
Le maître répond : Vous pourrez savoir leurs défauts et infirmités par trois
signes :
Le premier : elles sont invalides et paresseuses à voler, et cela vient de ce
qu’elles ont perdu leur roi, duquel elles avaient leur soulas et leur soutien.
Le deuxième est d’autant qu’elles sortent à des heures incertaines et hors de
saison, et cela, parce qu’elles n’entendent point la voix de leur chef ;
La troisième, attendu qu’elles n’ont point d’amour à leur ruche : c’est pourquoi
étant rassasiées, elles s’en retournent à leur ruche, sans porter rien dont
elles se puissent sustenter à l’avenir.
Or, les mouches qui, saines et bien disposées, sont constantes et fortes en leur
vol, gardent et observent le temps convenable d’entrer et de sortir, rapportant
de la cire pour faire leurs petites logettes, et du miel pour s’en nourrir.
Alors, le serviteur répondit à son maître : Si elles sont donc infirmes,
pourquoi souffrez-vous qu’elles vivent encore, puisqu’elles ne profitent de rien ?
Le maître répondit : Je les souffre pour trois raisons, car elles apportent
trois commodités, mais non pas de leur vertu.
Elles occupent, en premier lieu, leurs ruches, de peur que les chenilles n’y
entrent, inquiétant celles qui sont saines et utiles ;
En second lieu ; afin que les autres soient fructueuses, se roidissant au
travail, voyant la malice et la négligence des autres ; car les bonnes mouches
voyant les mauvaises ne travailler que pour leur assouvissement, s’excitent
d’autant plus d’être auprès de leur roi et de travailler avec plus de ferveur.
Elles profitent aussi, en tant qu’elles défendent les bonnes mutuellement, car
il y a un vermisseau qui a coutume de manger les mouches, lequel venant, toutes
les mouches bonnes et mauvaises s’unissent avec une haine mortelle qu’elles lui
portent, pour le combattre et l’abattre tout à fait. Car autrement, si les
mouches mauvaises et malades étaient ôtées et que les bonnes fussent seules,
bientôt le vermisseau les auraient vaincues ; et c’est pourquoi, dit le maître,
je les souffre.
Néanmoins, quand l’automne viendra, j’aurai soin des mouches saines ; je les
séparerai des mauvaises ; car si on les mettait maintenant dehors, elles
mourraient de froid. Que si elles sont dans leur ruche et n’amassent rien, elles
périront de faim, puisqu’elles n’ont pas amassé quand elles pouvaient.
Moi, qui suis Seigneur et Créateur de toutes choses et maître des mouches ; moi,
de mon intime charité et par le sang que j’ai répandu, j’ai fondé mes ruches,
c’est-à-dire, mon Eglise, en laquelle les chrétiens devaient demeurer et
s’assembler par l’unité de la foi. Ces lieux sont leurs cœurs, dans lesquels
doit loger la douceur des bonnes pensées et des saintes affections, qui
devraient sortir de la considération de mon amour infini à les créer, à les
racheter , et à souffrir pour eux, et de ma miséricorde, en les ramenant et les
renouvelant dans cette ruche, c’est-à-dire, dans mon Eglise, en laquelle il y a
deux sortes de gens, comme il y a deux espèces de mouches.
Les premiers sont les mauvais chrétiens, qui n’amassent rien pour moi, mais tout
pour eux ; qui s’en retournent vides et qui ignorent leur chef, ayant quelque
stimule de quitter ma douceur et sentent quelques désirs de ma charité.
Mais les bonnes mouches sont les bons chrétiens, qui m’offrent une triple
révérence :
1° ils me tiennent toujours pour leur chef et pour leur Seigneur, me présentant
le miel de leur douceur, c’est-à-dire, leurs œuvres de charité, qui me sont très
douces et à eux très utiles.
2° Leurs volontés dépendent de ma volonté ; leur volonté est conforme à la
mienne, leurs pensées sont liées à ma passion, et les œuvres n’ont autre fin que
mon honneur et gloire.
3° Ils me suivent et m’obéissent en tout et en tous lieux, soit dedans, soit
dehors, soit en tribulation, soit en joie ; leur cœur est toujours dans mon cœur
; c’est pourquoi ils ont de moi trois vérités :
la première, la voix de l’inspiration et de la vertu, le temps convenable et dû,
savoir : la nuit au temps de la nuit, et la lumière au temps de lumière ; voire
même ils changent la nuit en lumière, c’est-à-dire, la joie du monde en la joie
éternelle, et les plaisirs caducs et périssables en l’éternel bonheur et
félicité.
Ceux-ci sont en tout raisonnables, car ils se servent des choses présentes pour
la nécessité, et non pour la volupté ; ils sont constants en l’adversité, sages
dans la prospérité, modérés dans le soin de leurs corps, soigneux et
circonspects en tout ce qu’il faut.
La deuxième : comme les mouches saines ont entre elles une bonne et mutuelle
charité, de même les bons chrétiens ont tous un même cœur, uni au mien, aiment
leur prochain comme eux-mêmes, et moi sur toutes choses et par-dessus eux-mêmes.
En troisième lieu, je les rends fructueux. Qu’est-ce être fructueux, si ce n’est
avoir mon Esprit et en être rempli ? car celui qui n’a point le Saint-Esprit, et
qui ne ressent point ses douceurs, est infructueux, tombe, est inutile et va au
néant.
Or, le Saint-Esprit, Esprit d’amour, enflamme celui dans lequel il demeure par
son amour, et lui ouvre et transporte l’esprit. Il extirpe, chasse et ruine la
superbe et l’incontinence ; il excite l’esprit à l’honneur de Dieu et au mépris
du monde. Les mouches, c’est-à-dire, les âmes infructueuses, ignorent cet
Esprit, c’est pourquoi elles fuient l’obéissance et le gouvernement d’autrui,
l’utilité et la société charitable. Elles sont vides de toute bonne œuvre ;
elles changent les lumières en ténèbres, la consolation en pleurs, la joie en
douleurs.
Néanmoins, je souffre qu’elles vivent, à raison de trois choses :
1° De peur que les infidèles n’entrent en leur place, car si les méchants hommes
étaient ôtés tous ensembles ; il en demeurerait pur, car les bons sont en petit
nombre, à cause de quoi les infidèles et les païens, qui sont en grand nombre,
les surmonteraient bientôt et molesteraient les bons habitants avec eux.
2° Je les souffre pour la probation des bons, car la malice des méchants éprouve
la constance des bons ; car en l’adversité, on voit combien la patience d’un
chacun est grande, et en prospérité, on connaît combien on est constant et
modéré. Mais d’autant que les justes pèchent souvent et que les vertus les
élèvent, c’est pourquoi je permets que les mauvais vivent avec les bons, de peur
que les bons ne se réjouissent par trop et se rendent paresseux, et afin qu’ils
aient toujours les yeux vers Dieu, car là où le combat est petit, la récompense
est petite.
3° Je les patiente pour le secours même des bons, de peur que les païens et les
infidèles ne nuisent aux bons, mais les craignent d’autant plus qu’il semble y
en avoir un grand nombre. Et comme les bons résistent aux mauvais, poussées et
émus de l’amour et de la justice divine, de même les mauvais résistent aux bons
pour défendre leur vie et pour penser éviter la fureur d’un Dieu tout-puissant ;
et de la sorte, les bons et les mauvais s’aident entre eux, et les mauvais sont
supportés pour l’amour des bons, et les bons sont couronnés plus éminemment, à
raison de la méchanceté des mauvais.
Les gardiens de ces mouches sont les prélats et princes vigilants de la terre,
soit bons ; soit mauvais. Je parle pourtant aux bons gardiens, lesquels, moi,
Dieu, leur protecteur et gardien, je les avertis de garder mes mouches. Qu’ils
considèrent leur entrée et sortie ; qu’ils voient si elles sont infirmes ou
saines.
Que s’ils ne les savent connaître, je leur marque trois signes par le moyen
desquels ils discerneront si les mouches sont inutiles, paresseuses ou lâches à
voler en leur saison, et vides à apporter la douceur des fleurs. Ceux-là sont
lâches à voler qui ont plus de soin des choses temporelles que des choses
éternelles ; qui craignent plus la mort corporelle que la mort spirituelle ; qui
parlent de cette sorte à part soi : Pourquoi prendrais-je de l’inquiétude,
puisque je puis être en repos ? Pourquoi me ferais-je mourir, puisque je puis
vivre ?
Misérables ! ils ne considèrent pas que moi, Roi tout-puissant, ait embrassé les
misères et les infirmités qui n’étaient point péché. Je suis aussi très
paisible, voire je suis la vraie paix, et néanmoins, j’ai pris pour l’amour
d’eux les inquiétudes, dont je les ai affranchis par ma mort.
Mais eux sont grandement indisposés en ce temps, puisque leurs affections
cherchent les choses terrestres ; leurs paroles ne sont que bouffonneries, leurs
œuvres que leur propre intérêt, et leur temps se passe selon les désirs de leur
corps et de leurs sentiments.
Or ceux-là n’ont point d’amour à leur ruche, qui est l’Eglise, ni n’amassent de
la douceur, car ils ne font point de bonnes œuvres par amour, mais seulement par
la crainte du supplice. Et bien qu’ils aient quelques bonnes œuvres pieuses, ils
ne laissent pas pourtant leur propre volonté ; ils veulent avoir Dieu en telle
sorte qu’ils ne laissent jamais le monde, et ne veulent souffrir ni privations
ni troubles. Ceux-ci s’encourent à la maison, ne portant que fiente en leurs
pieds ; ils volent, mais non pas par les ailes de la véritable et raisonnable
charité.
Partant, quand l’automne viendra, c’est-à-dire, le temps de séparation, les
mouches inutiles seront séparées des bonnes, qui, pour leur amour-propre, seront
éternellement, tourmentées d’une faim perpétuelle et enragées. Pour le mépris
qu’elles ont eu de Dieu et le dégoût qu’elles ont ressenti du bien, elles seront
affligées d’un froid excessif, sans jamais mourir.
Néanmoins, mes mais se doivent donner de garde de la malice des mauvaises
mouches,
1° afin que leur puanteur ne vienne à leurs oreilles, car elle est vénéneuse et
pestiféré ; car le miel étant ôté, elles sont sans douceur, au lieu de laquelle
abonde une amertume mortifère ;
2° qu’ils se gardent la prunelle de leur yeux et leurs ailes, car elles sont
aiguës comme des aiguilles ; 3° qu’ils gardent leurs corps, et qu’ils ne
l’exposent pas à elles tout nu, car elles ont de poignants aiguillons avec
lesquels elles percent cruellement.
Qu’est ce que tout ceci signifie ? Les sages le savent expliquer, qui
considèrent leurs mœurs et leurs affections. Or, ceux qui ne le savent
expliquer, qu’ils craignent le danger, qu’ils fuient leur compagnie et qu’ils ne
suivent leur exemple, autrement ils apprendront à leur dommage et
expérimenteront ce qu’ils n’ont pas voulu savoir en écoutant.
Après la Sainte Vierge Marie parlait, disant : Béni soyez-vous, mon Fils, qui
êtes, qui avez été et qui serez éternellement ! Votre miséricorde est douce et
votre justice est grande.
Il me semble, mon Fils, parlant par comparaison, que la miséricorde ressemble à
une nuée qui monte au ciel avec vous, et qu’un air léger va au-devant de la
justice.
Or, la nuée apparaissait comme quelque chose d’obscur et de ténébreux, mais qui
était hors de la maison, et qui ressentait la douceur de l’air ; il éleva les
yeux, et vit l’obscurité épaisse de l’air ; et la considérant, il dit en
soi-même : L’obscurité de cette nuée me semble présager la pluie, et soudain,
suivant son conseil, il se retira à couvert. Mais les autres, qui étaient
aveugles, ou qui peut-être ne s’en souciaient point, faisant peu d’état de la
légèreté variable de l’air, ni ne craignant l’obscurité de la nuée,
expérimentèrent ce que ces nuées signifiaient. Ces nuées croissant par tout le
ciel, vinrent fondre comme un torrent impétueux avec tonnerres horribles et
épouvantables feux, de sorte qu’ils perdirent la vie d’effroi et de crainte.
Après, toutes choses de l’homme, tant intérieures qu’extérieures, seront
consommées par le feu, de sorte que rien n’y demeurera.
Cette nuée, ô mon Fils ! c’est vos paroles, qui semblent obscures et incroyables
à plusieurs, d’autant qu’elles n’ont pas été ouïes souvent, ni administrées aux
ignorants, ni déclarées par signes. Ma demande précède ces paroles, et votre
miséricorde va au-devant d’elles, avec laquelle vous pardonnez à tout le monde,
et les alléchez à vous, comme une mère attire ses enfants. Cette miséricorde est
douce en patience et souffrance, comme l’air est chaud en amour, car vous
attirerez comme le feu à se servir de votre miséricorde ceux qui vous provoquent
à colère et indignations, et présentez chose admirable à ceux qui méprisent
votre piété et votre clémence.
Donc, que tous ceux qui entendront ces paroles élèvent les yeux, et ils verront
en leur intelligence d’où procèdent mes paroles. Qu’ils s’enquièrent si mes
paroles publient la miséricorde et l’humilité ; qu’ils soient attentifs si elles
prêchent les choses présentes ou futures, la vérité ou la fausseté.
Que s’ils les trouvent vraies, qu’ils s’enfuient du mal et se retirent à
l’humilité avec l’amour divin, car quand la fureur de la justice viendra, alors
l’âme sera séparée du corps de crainte et d’effroi.
Le feu enveloppera l’âme qui n’a pas bien vécu, et la brûlera intérieurement et
extérieurement sans la consommer.
Partant, moi qui suis Reine de miséricorde, je crie aux mondains afin qu’ils
élèvent leurs yeux et voient ma miséricorde. Je vous avertis et vous prie comme
Mère, et vous conseille comme Dame et Maîtresse, car quand la justice viendra en
sa fureur, il sera impossible de résister. Croyez donc fermement ; regardez et
éprouvez en vos consciences cette vérité ; changez vos volontés, car alors,
celui qui montrera les paroles de charité montrera aussi les œuvres et les
signes d’amour.
Après, le Fils de Dieu me parlait, disant : Je vous ai montré ci-dessus que les
mouches retiraient trois sortes de biens de leur malice. Je vous dis maintenant
que telles mouches devraient être de ceux qui portent la croix, que j’ai mis aux fins du
monde.
Or, eux, maintenant combattent contre moi, car ils ne se soucient point du salut
des âmes, n’ont point de compassion, ni ne travaillent point à convertir les
dévoyés à la foi catholique, et à les tirer de l’erreur dans laquelle ils sont
plongés, car ils les oppriment de labeurs, les privent de leur liberté, ne les
instruisent point en la foi, les frustrent des sacrements , et avec une plus
grande douleur, les envoient dans l’enfer comme s’ils étaient encore en leur
paganisme. Ils ne combattent point non plus, si ce n’est pour dilater les
branches de leur insupportable superbe et augmenter leur insatiable cupidité.
C’est pourquoi le temps viendra qu’on leur cassera les dents ; on leur coupera
la main droite, et on arrachera les nerfs de leur pied droit, afin qu’ils vivent
et qu’ils connaissent l’état de leurs misères.
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