Dieu comme en colère dit : L’œuvre de mes puissantes mains me méprise d’autant
plus que je l’ai constituée en plus grand honneur. Cette âme dont mon amour
avait eu un grand soin, m’a fait trois choses : elle détournait ses yeux de moi
pour regarder son ennemi ; elle a collé sa volonté au monde ; elle croyait
qu’elle pouvait librement m’offenser .
Partant, puisqu’elle ne s’est pas souciée de jeter ses yeux sur moi, je lui
ferai une très prompte justice Or, d’autant qu’il a roidi sa volonté contre moi
et s’est confié dans les choses vaines, je lui ai ôté son désir.
Alors le diable s’écrie, disant :O juge ! cette âme est à moi.
Le juge répondit : Quelles raisons allègues-tu contre elle ?
Il répondit : Votre plainte me sert d’accusation contre elle : ne vous a-t-elle
pas méprisé, vous qui êtes son Créateur, et en cela même, n’a t elle pas été
faite ma servante ? Et parce qu’elle a été subtilement enlevée, comment pouvait
elle vous apaiser ? car quand elle a vécu dans le monde saine de corps, elle ne
vous servait pas avec un cœur sincère, mais elle aimait avec plus de ferveur et
de transport les créatures, endurait avec impatience les fâcheries, et ne
considérait pas comme elle devait ses actions pernicieuses ; et à la fin, elle
ne brûlait pas du feu d’amour ; et d’autant qu’elle a été subitement emportée,
par la même raison, elle est à moi.
Le juge répondit : On ne condamne pas une fin soudaine, si les œuvres sont en
conflit. La volonté n’est pas damnée éternellement, sans une mûre et diligente
délibération.
Alors la mère de Dieu, venant là dessus , dit :
Mon Fils, le serviteur négligent qui a un ami familier de son maître,
n’implorera-t-il pas pour lui ? ne le doit-il pas sauver pour l’amour de lui ?
Le juge répondit : Toute justice doit être avec miséricorde et sagesse : avec
miséricorde afin de retenir la rigueur de la justice ; avec sagesse, afin de
garder en tout l’équité. Que si la faute est si abominable qu’elle ne soit digne
de pardon, néanmoins, la justice demeurant toujours entière, peut aucunement
s’adoucir.
La mère de Dieu dit alors : Ô mon fils très doux ! cette âme m’a eue toujours en
mémoire, m’a toujours honorée, et était bien aise de solenniser mes fêtes, bien
qu’elle fût froide à votre égard : Partant, faîtes-lui miséricorde.
Le Fils répondit de nouveau : Vous savez et vous voyez toutes choses en moi, Ô
ma Mère bienheureuse ! Que si cette âme se souvient de vous, c’est plutôt pour
un bien temporel que pour un bien spirituel, car elle n’a pas traité comme elle
devait, mon corps , qui est très pur. Sa bouche puante a empêché mon amour.
L’amour du monde et la dissolution de la chair lui ont empêché de voir et de
connaître ce que j’avais souffert pour les âmes. La trop grande présomption que
je lui pardonnerais , et l’inconsidération de sa fin, ont avancé ses jours. Et
bien qu’elle me reçût tous les jours, pour cela elle n’est pas devenue
meilleure, attendu qu’elle ne se disposait pas comme elle devait à une si grande
réception. En effet, celui qui veut recevoir un bon hôte et seigneur, doit, non
seulement préparer le logis, mais disposer tous les ustensiles.
Le prêtre dont il est ici parlé n’en a pas fait de même, car bien qu’il ait
nettoyé la maison, néanmoins, il ne l’a pas bien disposée, épurée ; il n’en a
pas jonché le pavé de fleurs de vertus ; il n’a pas gardé l’abstinence en ses
membres.
Partant, vous voyez tout ce qu’il faut faire et ce qu’il a mérité, car bien que
je sois incompréhensible et inviolable, et que je sois partout par ma Divinité;
néanmoins, mes plaisirs sont d’être avec ceux qui sont purs et nets, bien que
j’entre dans les bons et les damnés ; car les bons reçoivent mon corps qui a été
crucifié, qui est monté au ciel, et qui était figuré par la manne et par la
farine de la veuve. Les bons et les mauvais me recevront, mais avec cette
différence : les bons pour se fortifier davantage, et les mauvais pour un plus
terrible jugement, d’autant qu’en étant indigne, ils osent s’en approcher.
Le diable répondit : S’il s’approchait de vous si indignement, et si son
jugement s’augmentait davantage, pourquoi permettiez-vous qu’il s’en approchât,
touchant indignement un corps si digne et si auguste ?
Le Juge lui répondit : Tu ne raisonnes pas selon la charité, parce que tu n’en
as pas, mais parce que tu y es contraint par ma vertu, pour l’amour de cette
mienne épouse qui entend ceci : car comme les bons et les mauvais ont touché à
mon humanité, pour montrer que j’avais une vraie et non feinte humanité,
l’humilité et la patience, de même les bons et les mauvais me reçoivent à
l’autel, les bons pour une grande perfection, et les mauvais, afin qu’ils ne
croient être damnés, d’autant que m’ayant reçu, ils peuvent changer la volonté
et se convertir, s’ils veulent. Hélas ! quelle charité plus grande pourrais-je
montrer que moi, qui suis très-pur, j’entre dans un vase immonde, bien que je ne
puisse être souillé par aucun, non plus que le soleil matériel, quand il jette
ses rayons sur les choses immondes ! Or, vous et vos amis méprisez une telle
charité, d’autant que vous vous êtes roidis contre la charité.
La Mère de Dieu dit de nouveau : O mon Fils très-bon, tout autant de fois qu’il
s’est approché de vous, ç’a été avec crainte, bien que non pas autant qu’il le
devait. Il s’est aussi repenti de vous avoir offensé, quoiqu’imparfaitement. Que
cela donc, ô mon Fils, lui profite pour l’amour de moi.
Le fils répondit derechef : Je suis, comme dit , dessus le soleil matériel : le
soleil matériel ne pénètre point les montagnes ni les esprits, mais moi je puis
le faire. Si donc les montagnes empêchent le soleil matériel de porter ses
rayons aux terres voisines, qu’est-ce qui empêche, dans cette âme, que les
rayons de mon amour ne la touchent sinon le péché ? Que si on retirait une
partie de cette montagne, il faudrait qu’on évacuât la chaleur des lieux
circonvoisins : de même si j’entre en une partie d’un esprit pur, quelle
consolation en aurais-je, si , de l’autre part, on sent une grande puanteur?
Partant, il faut chasser ce qui est sordide et sale, et après, la beauté suivra
le plaisir.
La Mère de Dieu répondit : Que votre volonté soit faite avec toute sa
miséricorde.
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