Plusieurs s’étonnent et admirent pourquoi je parle avec vous : en vérité je le
fais afin de manifester mon humilité ; car comme le cœur ne se réjouit point
d’un membre pourri qu’il ne soit remis en sa première santé, de même je ne me
réjouis point d’un homme pécheur quel qu’il soit, s’il ne retourne à moi de tout
son cœur et avec un vrai amendement, et soudain alors je serai prête à le
recevoir favorablement. Je ne m’arrête pas à considérer combien il a péché, mais
avec quel amour, volonté et intention il retourne. Je suis appelée de tous Mère
de miséricorde. Vraiment, ô ma fille ! la miséricorde de mon Fils m’a rendue
miséricordieuse ; et moi, ayant vu ses miséricordes, j’ai été compatissante.
Partant, celui -là sera misérable qui ne s’approche de la miséricorde, le
pouvant faire.
Partant donc, ô ma fille ! venez, et cachez-vous sous mon manteau : il est
contemptible au dehors, mais au-dedans, il est grandement utile, à raison de
trois choses :
1° d’autant qu’il met à l’abri des vents et des tempêtes orageuses ;
2° il défend de l’inclémence du temps et de la rigueur du froid ;
3° il nous met à couvert des nuées et des pluies. Ce manteau n’est autre que mon
humilité : elle semble fort contemptible aux amateurs du monde, et
superstitieuse à imiter ; car qu’y a-t-il de si contemptible qu’être appelé
insensé, que ne se mettre en colère quand on est offensé, et ne rendre parole
pour parole ? Qu’y a-t-il de si méprisable que de laisser tout et avoir besoin
de tout ? Qu’y a-t-il de si douloureux et de si cuisant parmi les mondains que
de dissimuler les injures reçues, se croire, se sentir et se tenir le plus
humble et le plus indigne de tous ? Telle, ô ma fille ! était mon humilité,
telle ma joie, telle était ma volonté de plaire à mon Fils seulement.
Véritablement, cette humilité profite à trois choses à tous ceux qui m’imitent :
1° Elle profite pour défendre des tempêtes et des orages, des opprobres des
hommes et de leurs mépris ; car comme le vent fort et impétueux pousse l’homme à
la part qu’il veut et le rend froid, de même les opprobres abattent facilement
l’homme impatient et qui ne considère les événements du monde, et relâchent en
lui la ferveur de l’amour. Mais quiconque aspire à mon humilité, qu’il considère
comment moi, qui suis Dame de tout le monde, j’écoute tout, et qu’ainsi, il
cherche ma louange et non la sienne. Qu’il considère que les paroles ne sont que
vent, et que soudain, après les avoir écoutées humblement, il en aura la
consolation. Car pourquoi pensez-vous que les mondains sont si impatients à
souffrir les paroles et les opprobres, si ce n’est parce qu’ils recherchent plus
leur louange propre que celle de Dieu, et qu’il n’y a en eux aucune humilité ?
Car ils ont la bouche et l’œil à leurs péchés.
Partant, ma fille, revêtez-vous de cette humilité autant qu’il vous sera
possible. Les femmes du monde portent des manteaux superbes au-dehors, et
quelque peu vil au dedans: fuyez entièrement ces vêtements, car vous ne pourrez
jamais avoir le manteau de l’humilité que premièrement l’amour du monde ne soit
vil ; que vous n’ayez mûrement considéré la miséricorde divine et votre
ingratitude ; que vous n’ayez pensé et examiné ce que vous avez fait, ce que
vous faites, et quelle condamnation vous en mériterez le jour du jugement.
Pourquoi pensez-vous que moi, Vierge et Mère de Dieu, me suis tant humiliée
(d’ou j’ai mérité une si grande grâce), si ce n’est que j’ai toujours pensé et
su que je n’avais rien de moi-même, et que rien de bon ne venait de moi comme de
moi? C’est pour quoi je n’ai point voulu en être louée, mais je l’ai rapporté à
mon Dieu, qui en est l’auteur et le Créateur.
Partant, ô ma fille ! fuyez-vous-en au manteau de mon humilité , et pensez que
vous êtes plus pécheresse que toutes les créatures du monde; car bien que vous
voyiez quelques-uns être mauvais, vous ne savez pas ce qu’ils pourront devenir
demain ; vous ne savez aussi avec quelle vue et intention ils font leurs actions
; si c’est expressément ou par infirmité, Partant , ne vous préférez à aucun ,
et ne jugez personne en votre coeur.
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