Le Fils de Dieu, engendré avant le temps, parlait à son épouse, disant : Je vous
ai avertie qu’en la troisième maison devraient être les instruments, en triple
différence qu’aux premiers, il fallait mettre les liqueurs ; en la deuxième, les
instruments avec lesquels on préparait la terre, comme le râteau la cognée, etc.
Qui se peuvent réparer, quand ils sont rompus, en la troisième partie du logis,
les chevaux, les ânes, etc. Dont on se sert pour porter les choses animées et
inanimées. En la première maison, en laquelle sont les liqueurs, il faut qu’il y
ait deux sortes d’instruments : les premiers dans lesquels on verse les liqueurs
fort liquides et douces, comme l’eau, le vin, l’huile, etc. Dans les autres, on
met les liqueurs amères, épaisses, comme la moutarde, etc.
Ne sauriez-vous pas entendre ce que tout cela signifie ?
Les liqueurs signifient en vérité les pensées bonnes et mauvaises de l’âme, car
la bonne pensée est comme l’huile douce et comme le vin plaisant et délectable.
La mauvaise pensée est amère comme la moutarde, car elle rend l’âme amère et la
trouble. Et comme l’homme a quelquefois besoin des liqueurs épaisses, lesquelles, bien qu’elles ne profitent pour
soutenir le corps, servent néanmoins à purger le cerveau et le corps et pour la
santé, de même aussi les mauvaises pensées, bien qu’elles n’engraissent et ne
rassasient l’âme comme l’huile des bonnes pensées, néanmoins, profitent pour
purifier l’âme, comme la moutarde purge le cerveau ; car si les mauvaises
pensées ne nous arrivaient souvent, l’homme serait alors, non homme, mais un
ange, et penserait que toutes choses viendraient de lui, voire que la force que
je lui ai donnée serait de lui-même.
Il est donc nécessaire que mon infinie miséricorde permette quelquefois qu’il soit assailli des mauvaises pensées, qui,
si l’homme n’y consent, lui servent pour purifier son âme et pour conserver ses
vertus. Et bien qu’elles soient amères comme la moutarde, néanmoins, elles
guérissent grandement l’âme et la conduisent à la vie éternelle, santé qu’on ne
peut acquérir sans amertume.
Qu’on prépare donc les vases de l’âme, où l’on met les bonnes pensées. Qu’on les
tienne diligemment. Il est même utile que les mauvaises pensées nous assaillent
pour nous éprouver et pour nous faire mériter davantage ; que l’âme néanmoins se
prenne garde diligemment de n’y consentir ou de s’y délecter autrement. La
douleur et l’avancement de l’âme s’épandront et se perdront, et la seule
amertume de l’âme demeurera.
En la deuxième maison, il faut avoir aussi des instruments de deux sortes : les
premiers sont extérieurs, par lesquels on prépare et cultive la terre pour la
semer, et on arrache les épines, comme sont le soc, etc. ; les autres, qui
servent au dedans et au dehors, comme la coignée, etc. ; les instruments avec
lesquels on cultive la terre, signifient les sens de l’homme qui ont été
ordonnés à l’utilité du prochain, comme le soc pour cultiver la terre, car les
hommes mauvais sont comme la terre maudite, attendu qu’il ne pensent qu’aux
choses terrestres, car il sont arides en componction et contrition de leurs
péchés, d’autant qu’ils ne pensent à la gravité d’iceux, mais croient que c’est
peu de chose. Ils sont froids en l’amour divin, car ils ne cherchent qu’à
accomplir leurs volontés et leurs sales appétits. Ils sont pesants et fainéants
pour faire le bien, et agiles pour les ambitions et les honneurs du monde.
Partant, l’homme de bien doit se perfectionner, et perfectionner les autres,
commençant par les sens extérieurs, comme le laboureur cultive la terre par le
soc. Il les doit cultiver par sa bouche, leur disant des paroles utiles à l’âme,
les formant et instruisant à la vraie vie ; après, il doit tâcher de faire ce
qu’il dit autant que faire se pourra, afin que le prochain soit instruit par
parole et excité à bien faire par l’exemple.
D’abondant, qu’il compasse et compose à la modestie le reste des sens, tant les siens que ceux de son
prochain, afin que les yeux simples et modestes ne se portent à voir des choses
impudiques, et que le prochain garde en tous ses membres une sainte modestie.
Qu’il mortifie ses oreilles, afin qu’il n’écoute des choses ineptes, et qu’il
excite les pieds de ses affections pour se porter joyeusement aux œuvres de
charité. Cette terre de nos sens étant de la sorte cultivée, je lui donnerai la
terre de ma grâce par le labeur de celui qui la cultive ; et celui qui travaille
se réjouira des fruits de la terre, qui auparavant était aride et stérile, quand
il la verra plantureusement germer.
Mais quant aux instruments qui sont nécessaires pour préparer ce qui est
intérieur a la maison, comme sont la coignée, etc. ils signifient la droite
discrétion, pure intention, et divine discussion, que nous devons avoir aux
oeuvres de Dieu, car l’homme ne doit rien faire pour acquérir les honneurs et
pour la louange des hommes, mais pousse d’amour, il doit agir pour posséder une
éternelle récompense.
Partant, que l’homme examine diligemment et exactement ses œuvres, avec quelle
intention, pour quelle fin et pour quelle récompense il les a faites. Que s’il
trouve en ses œuvres quelque vanité, qu’il l’ôte soudain avec la coignée de
discrétion, afin que, comme au dehors il cultive son prochain, qui est comme
étranger de la maison, c’est-à-dire, hors la compagnie de mes amis, à raison de
ses péchés, que de même au-dedans, il fructifie à soi-même par la charité divine
; car comme l’œuvre d’un rustique qui n’avait point des instruments propres pour
réparer et rétablir ce qui était ruine, se perdit bientôt, de même, si l’homme
n’examine ses œuvres et ne considère comme il les faut soulager, si elles sont
lourdes et laborieuses ; en quelle manière il faut rétablir, si elles sont en
ruine, ne parviendra jamais a la perfection. Partant, il faut, non-seulement
labourer efficacement a l’extérieur, mais il faut encore soigneusement
considérer comment et avec quelle intention on agit et on travaille.
En la troisième maison, on doit avoir des instruments animés pour porter ce qui
est mort et vivant, comme sont les chevaux, etc. Les instruments signifient la
vraie confession, car c'est elle qui fait aller les vivants et les morts.
Que signifie vivant, sinon l'âme que ma Divinité a créée et qui vit
éternellement ? car par la confession, elle s'approche de plus en plus de Dieu ;
car comme l'animal qui est plus souvent et mieux nourri, est plus fort pour
porter et plus beau à regarder, il en est de même de la confession : plus elle
est fréquente et plus elle est exacte, tant des grandes que des petites fautes ;
elle plaît d'autant plus à Dieu qu'elle introduit l'âme dans le coeur de Dieu.
Or, qu'est-ce que signifie morte que la confession fait vivre, si ce n'est les
bonnes oeuvres mortes par le péché mortel? Car les bonnes oeuvres, mourant pour
le mérite de la gloire, par le péché mortel, sont mortes devant Dieu; car aucun
bien ne peut plaire à Dieu que premièrement, le péché ne soit corrigé et amendé,
ou par une parfaite volonté, ou par effet; car des deux liqueurs, l’une suave,
l’autre puante, ne conviennent point en un vase.
Or, si quelqu’un a mortifié ses bonnes oeuvres par les péchés mortels; s’il a une vraie contrition des fautes
commises avec un ferme propos de s’en amender et de s’en garder à l’avenir,
soudain elles revivent par la confession et par la vertu de l’humilité, qui
avaient été auparavant mortifiées, et lui et elles profitent pour la vie
éternelle.
Si l’homme meurt sans contrition ou sans une vraie confession, ses
bonnes oeuvres, qui ne peuvent mourir en elles ou se perdre, néanmoins, à cause
du péché mortel, ne méritent la gloire céleste, elles servent pour lui soulager
la peine ou pour le salut des autres si toutefois il a fait ces mêmes œuvres en
pureté d’intention pour l’honneur de Dieu, que s’il a fait ces bonnes œuvres
pour acquérir la gloire du monde et pour son propre intérêt ; lors, l’auteur de
ces œuvres mourant, elles meurent, car il a reçu sa récompense du monde, pour
l’amour duquel il a travaillé.
Partant, ô mon épouse, par le nom de laquelle j'entends tous mes amis bons et
fidèles, amassons et entassons en nos maisons les choses dont Notre-Seigneur
Dieu se veut spirituellement délecter en l'âme sainte.
En la première maison, amassons,
1 - le pain d'une sincère volonté, ne voulant que ce que Dieu veut ;
2 - le breuvage de la divine préméditation, ne faisant rien sans y penser et
voir l'honneur de Dieu ;
3 - la viande de la divine sagesse, considérant toujours ce qui nous doit
arriver, et comment il faut ranger et ordonner les choses présentes.
Nous devons amasser en la seconde maison,
1 - la paix avec Dieu, délaissant le péché, et la paix avec le prochain, fuyant
toutes noises et dissensions ;
2 - les oeuvres de miséricorde, par lesquelles nous sommes utiles au prochain ;
3- l'abstinence parfaite, par laquelle nous retenions, et contenions tout de qui
veut troubler notre paix.
En la troisième maison, nous devons amasser :
1 - de bonnes et raisonnables pensées, pour enrichir et ennoblir notre maison
intérieurement ;
2 - les sens bien composés et mortifiés, pour édifier extérieurement nos amis ;
3 - une vraie et bonne confession, par laquelle, si nous sommes morts, nous
puissions revivre.
Mais bien qu'ils aient des maisons, néanmoins il ne savent garder en elles ce
qu'ils ont amassé, si ce n'est qu'ils aient des portes, qui ne peuvent être
suspendues sans gonds ni être fermées sans serrures.
Partant donc, afin que ce qu'on a amassé soit assuré, il faut avoir en la maison
une porte, qui est l'espérance ferme et assurée, qui ne soit débilitée par les
adversités, espérance qui doit rouler sur ces deux points, savoir : qu'elle ne
désespère de pouvoir acquérir la gloire ni d'éviter les supplices de l'enfer,
mais qu'en toute adversité, se confiant toujours en la miséricorde divine, il
espère des choses meilleures.
La serrure de cette porte est la charité divine, par laquelle la porte doit être gardée, afin que l'ennemi n'entre en la maison,
car que profite-t-il d'avoir une porte sans serrure ? quoi ? d'avoir l'espérance
sans charité, car si quelqu'un espère les choses présentes et éternelles, et
désespère de la miséricorde divine, il ne craint ni n'aime Dieu ; il a une
porte, mais sans serrure, et par laquelle l'ennemi entre quand il veut, massacre
et tue. Or, l'espérance juste et droite est que celui qui espère, fasse aussi le
bien qu'il pourra, sans lequel il ne peut jouir des choses célestes, s'il a su
et pu faire le bien et ne l'a pas fait. Si quelqu'un a excédé ou qu'il ait
manqué à faire le bien qu'il pouvait, qu'il ait une bonne volonté de faire le
bien qu'il pourra, et quand il ne pourra le faire, qu'il espère fermement qu'il
pourra s'approcher de Dieu par la bonne volonté et charité divine.
Que la porte donc, c'est-à-dire, la charité divine, soit munie de charité, afin
que, comme la serrure a au-dedans plusieurs ressorts afin que l'ennemi ne
l'ouvre, de même en la charité on ait un grand soin que Dieu ne soit offensé et
qu'on ait une crainte filiale et amoureuse de ne s'éloigner de Dieu. Qu'on ait
aussi une ferveur enflammée comment on aimera Dieu, et un grand soin comment on
l'imitera. Qu'on ait une douleur qu'on ne puisse faire autant de bien qu'on
voudrait et qu'on sait y être obligé.
Qu'on ait aussi l'humilité, par laquelle l'homme répute pour néant ce qu'il fait considérant ses péchés. Que la serrure
soit munie des ressorts, de peur que le diable n'ouvre facilement la serrure de
la charité, où Dieu verse son amour. Or, la clé, par laquelle on ferme et on
ouvre la serrure, doit être le désir en un seul Dieu, qui doit être avec la
charité et l'oeuvre divine, de sorte que l'homme ne veuille rien que Dieu, bien
qu'il fût en sa puissance d'en avoir, et cela, à raison d'un très grand amour de
Dieu, car le désir enferme Dieu dans nos coeurs, et nos coeurs en Dieu, d'autant
qu'il n'y a qu'une seule volonté en tous deux.
Or, l'épouse et l'époux doivent seulement apporter cette clé, savoir, Dieu et
l'âme, afin que toutes les fois et quand Dieu voudra entrer dans nos coeurs et
se réjouir dans les biens et les vertus de
l'âme, il en ait un libre accès par la clé de ses fermes et constants désirs ;
tout autant de fois aussi que l'âme voudra entrer dans le cœur de Dieu, elle le
puisse faire franchement, car elle ne désire que Dieu.
Cette clé se garde aussi par la vigilance de l’âme, et par le soin de
l’humilité, qui rapporte a Dieu tout le bien qu’elle a. Cette clé garde aussi
par la puissance de Dieu et par la charité divine, afin que l'âme ne soit
supplantée par le diable.
Voyez, ô mon épouse ! quel est l'amour que Dieu porte à l'âme. Demeurez donc
ferme et faites ma volonté.
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