Le Fils de Dieu disait: Je suis comme un roi qui est aux champs, à la droite
duquel sont ses amis, et à sa gauche ses ennemis, où tous assemblés, une voix de
quelqu’un qui criait, vint à la droite, où tous assistaient armés, ayant leur
heaumes liés et leur face tournée vers Notre-Seigneur.
Or, cette voix criait ainsi: Tournez-vous vers moi et croyez-moi. J’ai de l’or à
vous donner.
Lesquels, entendant cela, se tournèrent vers lui, et la voix leur dit pour une
seconde fois: Si vous voulez voir l’or, déliez vos heaumes, et si vous le
désirez posséder, j’attacherai derechef vos heaumes selon ma volonté; lesquels
condescendants, il leur attacha les heaumes ce qui est devant derrière, de sorte
qu’ils n’y voyaient pas; et ainsi criant, il les amenait après lui.
Ces choses étant faites, quelques amis du roi l’annoncèrent à leur seigneur,
disant que les hommes étaient méchamment séduits par les ennemis. Le seigneur
dit à ses amis: Allez avec eux, et criez ainsi: Déliez vos heaumes, et voyez,
car vous êtes déçus. Convertissez-vous à moi, et je vous recevrai en paix.
Or, ils ne le voulurent point ouïr, mais ils s’en moquèrent. Ce que voyant, les
serviteurs l’annoncèrent à leur seigneur, qui dit: D’autant donc qu’ils m’ont
méprisé, allez-vous-en vite à leur gauche, et dites-leur ces trois choses:
La voie qui conduit à la vie vous est toute prête; la porte est ouverte, et
notre seigneur en personne veux vous aller au-devant. Croyez donc que la voie
vous est préparée; espérez fermement et constamment que la porte vous sera
ouverte et que ces paroles sont vraies. Allez au-devant du seigneur avec amour,
et il vous recevra avec charité, et il vous conduira au repos éternel.
Or, entendant les paroles de ceux qui étaient envoyés, ils crurent et furent
reçus en paix.
Je suis ce roi, dit Notre-Seigneur, qui ai les chrétiens à ma droite et qui leur
ai préparé un bien éternel. Leurs heaumes étaient alors liés, et leurs visages
tournés contre moi; ils ont eu une ferme et parfaite volonté d’accomplir la
mienne, d’obéir à mes commandements, et de porter leurs désirs au ciel.
Enfin, la voix du diable, c’est-à-dire la voix de la superbe, résonna au monde,
leur enseignant les richesses du monde et la volupté charnelle, à laquelle ils
se convertirent avec affection, et consentirent à leur superbe, pour la quelle
alors ils posèrent leurs heaumes, quand ils accomplirent en effet leurs brutales
affections, et préférèrent les choses temporelles aux choses spirituelles.
Ayant donc posé les heaumes des volontés divines et les armes des vertus, la
superbe prévalut tellement en eux, qu’elle les obligea si entièrement qu’ils
eussent voulu pécher toujours, et eussent voulu vivre éternellement pour
éternellement pécher. Cette superbe les a tellement aveuglés qu’elle leur a mis
les yeux derrière la tête. Que sont les trous du heaume, sinon la considération
des choses passées et une sage circonspection des choses présentes?
Par le premier trou, ils devraient considérer les récompenses éternelles, et
combien elles sont délectables, et combien les supplices futurs sont horribles,
et combien sont terribles les jugements de Dieu.
Par le deuxième trou, ils devraient considérer ce que Dieu commande et ce que
Dieu défend, combien ils s’éloignent des commandements de Dieu, et en quelle
manière ils pourraient s’amender. Mais hélas! Les trous sont au derrière de la
tête, où on n’y voit rien, car la considération des choses célestes est
ensevelie dans l’oubli; l’amour de Dieu s’est refroidi en eux, et l’amour du
monde est si doucement considéré et embrassé, qu’il les conduit où ils veulent,
comme une roue bien ointe.
Vraiment, mes amis, voyant qu’ils me déshonorent, considérant la chute des âmes
et le domaine du diable, crient à moi tous les jours, par leurs instantes et
humbles prières, lesquelles ont pénétré les cieux et percé mes oreilles; et moi,
fléchi par leurs prières, je leur ai envoyé mes prédicateurs; je leur ai montré
des signes et ai multiplié en eux mes grâces. Mais méprisant tout, ils ont
ajouté un péché à un autre.
Partant, je dirai à mes serviteurs, et en vérité, je l’accomplirai maintenant:
Mes serviteurs, allez à ma gauche, c’est-à-dire, vers les païens, qui ont été
jusqu’à aujourd’hui en mépris; allez, dis-je, et parlez en ces termes: Le
Seigneur du ciel et le Créateur de toutes choses vous fait dire que la voie du
ciel est ouverte: ayez volonté d’y entrer avec une foi ferme. La porte du ciel
vous est ouverte; espérez fermement, et vous entrerez. Le Roi du ciel et le
Seigneur des anges vous veut aller lui-même au-devant, vous donner la paix et
perpétuelle bénédiction: allez-lui au-devant, et recevez-le avec la foi qu’il
vous a montrée, par laquelle la voie du ciel est préparée. Recevez-le avec
espérance, par laquelle vous attendez que vous posséderez le ciel qu’il vous
veut donner. Aimez-le de tout votre cœur, et accomplissez par effet cet amour.
Entrez à Dieu par les portes du ciel; les chrétiens qui ne veulent pas entrer
par elles et s’en rendent indignes par les œuvres, en seront repoussés.
Je vous dis en vérité que j’accomplirai mes paroles, et je n’y manquerai pas. Je
vous recevrai pour mes enfants, et je vous serai Père que les chrétiens ont
méprisé.
Vous donc, mes amis, qui êtes au monde, marchez sûrement; criez et annoncez-leur
ma volonté, et aidez-les, afin qu’ils puissent accomplir mes volontés. Je serai
dans votre cœur et dans votre bouche. Je serai votre conducteur en la vie, et
votre conservateur en la mort. Allez sûrement, je ne vous laisserai point. La
gloire croît par le labeur, car je pourrais toutes choses en un moment et en une
parole, mais je veux que du combat croisse votre couronne, et que de votre
courage croisse mon honneur.
N’admirez pas ce que je vous dit, car si un homme sage pouvait considérer ceci
dans le monde, combien d’âmes descendent tous les jours dans l’enfer, il verrait
qu’il y en a plus que du sable dans la mer et que de petits cailloux au rivage,
car la justice et l’équité veulent que ceux qui se sont séparés de Dieu soient
conjoints avec le diable. Partant, afin que le nombre du diable soit diminué,
qu’on voie le péril présent et que mes troupes soient augmentées. Je parle
ainsi, afin que, par aventure, s’ils entendent, ils s’amendent.
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