Tout le temps de cette vie n’est quasi qu’une heure devant moi. C’est pourquoi
ce que je vous dis maintenant a été de toute éternité en ma présence.
Je vous ait dit en premier lieu qu’il y en avait un qui avait commencé la vraie
milice, et un autre qui s’en était misérablement retiré, et avait jeté son
bouclier devant mes pieds et son glaive à mon côté,
quand il enfreignit sa profession sainte et sa promesse.
Or, qu’est-ce que signifie le bouclier qu’il a jeté, sinon la foi droite, qu’il
devait défendre contre les ennemis de la foi et de son âme ?
Quels sont mes pieds, avec lesquels je vais à l’homme, si ce n’est la
délectation divine, avec laquelle j’attire à moi les hommes, et ma patience,
avec laquelle je les souffre patiemment ?
Or, il jeta ce bouclier, lorsqu’entrant dans le temple, il pensait à part soi :
Je veux suivre ce Seigneur,
qui ne me conseille ni ne me commande aucune abstinence ; qui me donne ce que je
désire ; qui me permet d’ouïr ce qui me plaît à mes oreilles.
C’est ainsi qu’il jeta le bouclier de la foi, quand il aima mieux suivre sa
volonté propre que moi,
quand il aima plus la créature que le Créateur : car s’il eût eu une foi droite,
s’il m’eût cru tout-puissant, juste juge, et celui qui donne la gloire
éternelle, il n’eût désiré autre chose que moi, il n’eût craint autre chose que
moi.
Or, il a jeté ma foi devant mes pieds, quand, ayant méprisé la foi et l’ayant
réputée pour néant, il ne cherchait ni mes plaisirs ni ne considérait ma
patience.
Après, il a jeté son glaive à mon côté.
Que marque le glaive, sinon ma crainte, que le vrai soldat doit avoir
continuellement en ses mains, c’est-à-dire, en ses œuvres ?
Qu’est-ce que signifie mon côté, sinon ma garde et ma protection, sous
lesquelles je fomente et défends mes enfants comme une poule défend ses
poussins, afin que le diable ne leur nuise et que les périls intolérables ne les
accueillent?
Mais lui, il a rejeté le glaive de crainte de Dieu, quand il ne s’est soucié de
pécher à ma puissance, ni ne considérait mon amour et ma patience.
Or, il l’a rejeté à mon côté, comme s’il disait : Je ne crains point ni ne me
soucie de votre protection ; tout cela vient de mon industrie et de mon sang
noble et illustre.
Il a aussi enfreint la promesse qu’il m’avait faite.
Quelle est cette promesse vraie que l’homme est obligé de faire à Dieu, sinon
l’œuvre d’amour, afin que tout ce qu’il fera, il le fasse par le mouvement de
l’amour de Dieu ?
Mais il a violé cette promesse, quand il a converti l’amour de Dieu en l’amour
propre, préférant sa volupté aux délectations éternelles.
C’est de la sorte qu’il se sépara de moi et sortit du temple de l’humilité, car
tous les corps des chrétiens dans lesquels règne l’humilité, sont mon temple ;
les corps dans lesquels la superbe domine, ne sont pas mon temple, mais le
temple du diable, qui les conduit, selon sa volonté, aux appétits désordonnés du
monde.
Or, étant sorti du temple de l’humilité, y ayant rejeté le bouclier de la foi et
abandonné le glaive de ma crainte, il monta au champ, enflé et bouffi de superbe
;
il s’exerça et s’adonna à toute sorte de volupté et appétits de sa volonté,
méprisant ma crainte, se plongeant de plus en plus dans les abîmes du péché, et
s’ensevelissant dans les sales voluptés.
Or, étant arrivé au dernier période de sa vie, quand son âme s’exhalait de son
corps, les diables s’emparèrent avec une grande impétuosité, et soudain trois
voix résonnèrent de l’enfer contre elle.
La première dit : Eh quoi ! N’est-ce pas celui-ci, qui, se retirant de
l’humilité, nous a suivis en toute sorte de superbe ? Et s’il eût pu même nous
surpasser en orgueil et en superbe, il l’eût fait librement.
L’âme lui répondit : Vraiment, c’est moi.
La justice lui répondit : La récompense de votre superbe est que vous tombiez
d’un démon en un autre, jusqu’à ce que vous soyez plongée au plus profond abîme
de l’enfer. Et comme il n’y a pas de démon qui ignorât sa peine être certaine et
le supplice qu’il fallait infliger à cette âme misérable pour toutes ses pensées
inutiles et ses mauvaises œuvres, de même il n’y aura aucun supplice dont vous
ne subissez la violence.
La deuxième voix criait et disait : N’est-ce pas celui-ci qui s’est séparé de la
milice de Dieu, qu’il avait professée, et s’est enrôlé en notre milice ?
L’âme répondit : Je suis vraiment celle-là.
Et la justice dit : Telle sera la source de votre récompense, que tous ceux qui
suivront votre malice par leur malice et par leur peine, augmenteront votre
peine et rengrégeront votre douleur ; et quand ils viendront où vous êtes, ils
vous perceront comme d’une plaie mortelle. Car comme celui qui a une plaie
cruelle, si on lui ajoutait plaie sur plaie jusqu’à ce que le corps fût couvert
de plaies, serait affligé de douleurs intolérables et s’écrierait : Malheur !
Malheur sur moi ! c’est de la sorte qu’une misère attirera sur vous un monde de
misères. Votre douleur se renouvellera sur toute autre douleur ; votre peine ne
cessera jamais, et votre malheur ne diminuera point.
La troisième voix disait : N’est-ce pas celui-ci qui a vendu le Créateur pour la
créature, son amour pour son propre amour ? L’âme répondit : Certainement je le
suis. C’est pourquoi, que deux portes lui soient ouvertes : par l’une en toute
peine et toute douleur, infligées pour le plus petit péché jusques au plus
grand, attendu qu'il a vendu son Créateur pour sa volupté propre. Par la
seconde entrent en lui toute sorte de labeurs et confusion, et jamais
n’entreront en lui; ni consolation ni amour divin, car il s’est aime au lieu
d'aimer son Créateur .
Partant, sa peine durera sans fin et vivra sans jamais mourir, d'autant que tous
les saints lui détourneront leur face.
Voila, o mon épouse combien misérables seront ceux qui me méprisent, et quelles
peines et quelles douleurs ils achètent et souffrent pour une petite et
passagère volupté.
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