L'épouse parle à Jésus-Christ, en priant pour cet évêque; Réponses faites par Jésus-Christ à la Sainte Vierge et à Sainte Agnès.
Chapitre 12

O, mon Seigneur ! je sais que pas un n'entre dans le ciel que le Père ne l'attire. Partant, ô Père très clément et très miséricordieux ! attirez à vous cet infirme évêque. Et vous, ô Fils de Dieu ! aidez celui qui s'efforce. Vous aussi, ô Saint-Esprit ! emplissez du feu de votre amour cet évêque qui en est si vide.

Le Père répondit : Si celui qui tire est fort, et si la chose qu'il tire est trop lourde et trop pesante, soudain l'œuvre sera dissipée et mise à néant. Si celui qui tire est lié, il ne peut pas aider ni soi-même ni celui qui doit être tiré ; et si celui qui tire est immonde, il se rend abominable en tirant et en touchant. Cet évêque est comme un homme qui est en un chemin fourchu, ne sachant de quel côté se tourner ni quelle voie tenir.

L'épouse lui répondit : O, mon Seigneur, n'est-il pas écrit que personne ne demeure stable en même état pendant cette vie, mais il fait progrès ç meilleur ou à pis ? Le Père lui répliqua : L'un et l'autre se peut dire, car il est arrêté comme entre deux voies de joie et de douleur. Il se trouble de l'horreur du supplice éternel ; il affecte d'obtenir les joies célestes, mais néanmoins, il lui semble dur de marcher parfaitement par la voie qui tend aux joies ; il se laisse emporter, en y marchant à ce à quoi la faveur le porte.

Après, Sainte Agnès parla : Cet évêque a les même dispositions qu'aurait un homme qui est entre deux voies, l'une desquelles il saurait être étroite en son commencement, mais agréable à la fin, et saurait que l'autre est délectable pour quelque temps, mais qu'à la fin, elle a un abîme profond et insatiable. Craignant, néanmoins l'insatiabilité de ce profond abîme, telles pensées lui arrivent : Il y a, dit-il, en cette voie agréable, un certain chemin abrégé : si je le puis trouver, j'y marcherai longtemps en assurance, et quand je m'approcherai de la fin et de l'abîme, si je trouve l'abrégé, rien ne me nuira.

Et marchant avec assurance par la voie, et étant arrivé à l'abîme profond, il tomba misérablement, car il ne trouva pas le chemin abrégé, comme il pensait. Il se trouve aujourd'hui des hommes de même pensées, disant : Oh ! qu'il est fâcheux de marcher par une voie si étroite ! Oh ! qu'il est dur et amer de laisser sa propre volonté et les honneurs ! C'est pourquoi ils se forment une fausse et dangereuse espérance. Longue est notre vie, disent-ils. La miséricorde de Dieu est très grande.

Ce monde est délectable et est créé pour le plaisir : partant, n'importe pas si j'use du monde selon mes volontés, car à la fin de la vie, je veux suivre Dieu. Il y a quelque abrégé de cette vie du monde, c'est à dire, la contrition et la confession : si je l'obtiens, je serai sauvé. Une telle pensée de vouloir pécher jusqu'à la fin de sa vie et vouloir lors confesser ses fautes, est une espérance très faible, car ils ne savent pas ce qui arrivera avant leur chute ; mais au contraire, quand ils sont à l'extrémité, souvent ils ressentent une douleur si grande et une fin si soudaine, qu'ils ne pourront aucunement obtenir la contrition, et à juste raison, car ils n'ont voulu prévoir les maux à venir quand ils le pouvaient, mais ils ont mis en leur choix et limite le temps de la miséricorde divine. Ils ne proposaient pas de mettre fin à leurs péchés, avant que le péché ne les eût pu plus délecter.

Semblablement, cet évêque était entre deux voies ; mais maintenant, il s'approche de la voie délectable de la chair, et a devant soi comme trois feuilles qu'il lit. Il lit la première doucement et à suite ; la deuxième, il la lit quelquefois, mais non pas avec plaisir ; la troisième, rarement, mais avec douleur. La première, ce sont les richesses et les honneurs auxquels il se plaît ; la deuxième, c'est la crainte de l'enfer et du jugement où il se trouble ; la troisième, c'est l'amour de Dieu et la crainte filiale, qu'il feuillette rarement, car s'il considérait ce que Dieu a fait pour lui, ce qu'il lui a donné, jamais l'amour de Dieu ne s'éteindrait en son cœur.

L'épouse répondit : O Dame, priez pour lui. Et alors, Sainte Agnès dit : Qu'est-ce que la justice fait, sinon le jugement, et qu'est-ce que la miséricorde fait, qu'allécher ?

La Mère de Dieu parle : On parlera en ces termes à l'évêque : Bien que Dieu puisse faire toutes choses de lui-même, néanmoins, l'homme doit coopérer, afin d'éviter le péché et qu'il obtienne la charité : car il y a trois choses qui induisent à fuir le péché, et il y a trois choses qui induisent à obtenir la charité. Les trois choses par lesquelles on fuit le péché, sont : une pénitence parfaite ; la deuxième, l'intention de ne vouloir jamais pécher ; la troisième, s'amender selon le conseil de ceux qu'il voit avoir méprisé le monde. Et les trois choses pour obtenir l'amour, sont l'humilité, la miséricorde et le labeur de charité, car quiconque ne dirait qu'un Pater noster pour obtenir la charité, bientôt les effets de la charité s'approcheraient de lui.

De l'autre évêque dont je vous ai parlé, je vous dis pour conclusion que les fosses lui semblent trop larges pour les sauter, les murailles trop hautes pour y monter, et les serrures trop fortes pour les rompre : partant, je demeure et je l'attends ; mais lui s'étant tourné ç la tête et aux œuvres de trois troupes, les considère avec plaisir et s'y plonge. La première d'icelles est la danse et le chant mélodieux, auxquels il dit : je me plais à vous ouïr ; attendez-moi. L'autre s'arrête à se mirer, à qui il dit : je me plais à voir ce que vous voyez, car je me délecte beaucoup à cela. La troisième se réjouit et prend son repos, et avec celle-ci, il cherche son repos et son honneur.

Mais qu'est-ce que danser et chanter dans le monde, sinon passer d'une joie temporelle à une autre, et d'un appétit d'honneur à un autre ? Mais qu'es-ce que s'arrêter et penser, sinon relâcher ou arracher l'esprit de la contemplation divine, et le porter à la contemplation d'entasser, donner et prodigaliser des choses temporelles ? or, que signifie se reposer, si ce n'est chercher les plaisirs de la chair ? Considérant donc ces trois troupes, il monta en une montagne haute, et il ne se soucia point des paroles que je lui ai envoyées, ayant mis en oubli cette clause que j'avais mise au contrat, Que? S'il me gardait la promesse, je la lui garderais aussi.

L'épouse repartit : O Mère très bénigne ! ne vous retirez point de lui. La Mère de Dieu lui répondit : Je ne m'en retirerai point jusqu'à ce que la terre reprenne la terre ; voire même s'il rompt les serrures du péché, je lui irai au devant comme une servante et l'aiderai comme une mère. Et la Mère ajouta : Vous, ô ma fille ! pensez qu'il aurait été la récompense de ce chanoine d'0rléans, si son évêque se fut converti. Je vous dis que, comme vous voyez que la terre produit des herbes et des fleurs de diverses espèces, de même, si tous les hommes eussent louablement persévéré dès le commencement du monde en leur sainte institution, tous eussent reçu une récompense excellente, car tous ceux qui sont en Dieu passent d'une joie indicible en une autre, non pas qu'il y ait dégoût en quelqu'une, mais parce que la délectation s'augmente incessamment, et la joie ineffable s'accroît continuellement.

DECLARATION
Cet homme fut un évêque de Vexionen, lequel étant à Rome grandement travaillé de son retour, elle ouït en esprit ces paroles : Dis à cet évêque que ce retardement lui est plus utile que son avancement. Ceux aussi qui, de sa compagnie, sont allés au-devant, le suivront. Quand il sera retourné en son pays, il trouvera que mes paroles sont vraies. Aussi toutes ces choses arrivèrent de la sorte, car en revenant, il trouva que son roi était pris et tout le royaume en confusion. Ceux aussi de sa compagnie qui étaient allés au-devant, furent empêchés par le chemin, et le suivaient de loin. Sachez aussi que cette dame qui était en la comppagnie de l'évêque, s'en retournera saine, mais elle ne mourra pas en son pays, et la chose vint de la sorte, car au second voyage, elle mourut à Rome et y fut ensevelie.
AUTRE REVELATION DU MEME EVEQUE
Quand Sainte Brigitte descendait du mont Gargan en la cité de Mafredoine, au royaume Puglia, le même évêque, étant en la compagnie de ladite dame, tomba du cheval et se rompit deux côtes. Avant qu'elle partît le matin pour aller à saint Nicolas de Baro, il l'appela, disant : Oh ! qu'il m'est amer de demeurer ici sans vous ! et il m'est aussi fâcheux que vous retardiez à mon occasion, principalement à raison de ces hommes corsaires ! Je vous supplie, pour l'amour de Jésus-Christ, de prier Dieu pour moi. Touchez le côté où est ma douleur, car j'espère que, par votre attouchement, ma douleur sera apaisée. Elle, fondant en larmes de compassion qu'elle en avait : O mon Seigneur, dit-elle, je me répute comme si je n'étais pas, et pire, car je suis grandement pécheresse devant Dieu. Néanmoins, nous prierons tous Dieu pour vous, et il répondra à votre foi. Ayant donc fait oraison et se levant, elle toucha le côté de l'évêque, disant : Notre-Seigneur Jésus-Christ vous guérisse ! Et soudain, la douleur cessa, et l'évêque, se levant, suivit Sainte Brigitte par tous les chemins jusqu'à ce qu'elle retourna à Rome.