O, mon Seigneur ! je sais que pas un n'entre dans le ciel que le Père ne
l'attire. Partant, ô Père très clément et très miséricordieux ! attirez à vous
cet infirme évêque. Et vous, ô Fils de Dieu ! aidez celui qui s'efforce. Vous
aussi, ô Saint-Esprit ! emplissez du feu de votre amour cet évêque qui en est si
vide.
Le Père répondit : Si celui qui tire est fort, et si la chose qu'il tire est
trop lourde et trop pesante, soudain l'œuvre sera dissipée et mise à néant. Si
celui qui tire est lié, il ne peut pas aider ni soi-même ni celui qui doit être
tiré ; et si celui qui tire est immonde, il se rend abominable en tirant et en
touchant. Cet évêque est comme un homme qui est en un chemin fourchu, ne sachant
de quel côté se tourner ni quelle voie tenir.
L'épouse lui répondit : O, mon Seigneur, n'est-il pas écrit que personne ne
demeure stable en même état pendant cette vie, mais il fait progrès ç meilleur
ou à pis ? Le Père lui répliqua : L'un et l'autre se peut dire, car il est
arrêté comme entre deux voies de joie et de douleur. Il se trouble de l'horreur
du supplice éternel ; il affecte d'obtenir les joies célestes, mais néanmoins,
il lui semble dur de marcher parfaitement par la voie qui tend aux joies ; il se
laisse emporter, en y marchant à ce à quoi la faveur le porte.
Après, Sainte Agnès parla : Cet évêque a les même dispositions qu'aurait un
homme qui est entre deux voies, l'une desquelles il saurait être étroite en son
commencement, mais agréable à la fin, et saurait que l'autre est délectable pour
quelque temps, mais qu'à la fin, elle a un abîme profond et insatiable.
Craignant, néanmoins l'insatiabilité de ce profond abîme, telles pensées lui
arrivent : Il y a, dit-il, en cette voie agréable, un certain chemin abrégé : si
je le puis trouver, j'y marcherai longtemps en assurance, et quand je
m'approcherai de la fin et de l'abîme, si je trouve l'abrégé, rien ne me nuira.
Et marchant avec assurance par la voie, et étant arrivé à l'abîme profond, il
tomba misérablement, car il ne trouva pas le chemin abrégé, comme il pensait.
Il se trouve aujourd'hui des hommes de même pensées, disant : Oh ! qu'il est
fâcheux de marcher par une voie si étroite ! Oh ! qu'il est dur et amer de
laisser sa propre volonté et les honneurs ! C'est pourquoi ils se forment une
fausse et dangereuse espérance. Longue est notre vie, disent-ils. La miséricorde
de Dieu est très grande.
Ce monde est délectable et est créé pour le plaisir :
partant, n'importe pas si j'use du monde selon mes volontés, car à la fin de la
vie, je veux suivre Dieu. Il y a quelque abrégé de cette vie du monde, c'est à
dire, la contrition et la confession : si je l'obtiens, je serai sauvé. Une
telle pensée de vouloir pécher jusqu'à la fin de sa vie et vouloir lors
confesser ses fautes, est une espérance très faible, car ils ne savent pas ce
qui arrivera avant leur chute ; mais au contraire, quand ils sont à l'extrémité,
souvent ils ressentent une douleur si grande et une fin si soudaine, qu'ils ne
pourront aucunement obtenir la contrition, et à juste raison, car ils n'ont
voulu prévoir les maux à venir quand ils le pouvaient, mais ils ont mis en leur
choix et limite le temps de la miséricorde divine. Ils ne proposaient pas de
mettre fin à leurs péchés, avant que le péché ne les eût pu plus délecter.
Semblablement, cet évêque était entre deux voies ; mais maintenant, il
s'approche de la voie délectable de la chair, et a devant soi comme trois
feuilles qu'il lit. Il lit la première doucement et à suite ; la deuxième, il la
lit quelquefois, mais non pas avec plaisir ; la troisième, rarement, mais avec
douleur. La première, ce sont les richesses et les honneurs auxquels il se plaît
; la deuxième, c'est la crainte de l'enfer et du jugement où il se trouble ; la
troisième, c'est l'amour de Dieu et la crainte filiale, qu'il feuillette
rarement, car s'il considérait ce que Dieu a fait pour lui, ce qu'il lui a
donné, jamais l'amour de Dieu ne s'éteindrait en son cœur.
L'épouse répondit : O Dame, priez pour lui. Et alors, Sainte Agnès dit :
Qu'est-ce que la justice fait, sinon le jugement, et qu'est-ce que la
miséricorde fait, qu'allécher ?
La Mère de Dieu parle : On parlera en ces termes à l'évêque : Bien que Dieu
puisse faire toutes choses de lui-même, néanmoins, l'homme doit coopérer, afin
d'éviter le péché et qu'il obtienne la charité : car il y a trois choses qui
induisent à fuir le péché, et il y a trois choses qui induisent à obtenir la
charité. Les trois choses par lesquelles on fuit le péché, sont : une pénitence
parfaite ; la deuxième, l'intention de ne vouloir jamais pécher ; la troisième,
s'amender selon le conseil de ceux qu'il voit avoir méprisé le monde. Et les
trois choses pour obtenir l'amour, sont l'humilité, la miséricorde et le labeur
de charité, car quiconque ne dirait qu'un Pater noster pour obtenir la charité,
bientôt les effets de la charité s'approcheraient de lui.
De l'autre évêque dont je vous ai parlé, je vous dis pour conclusion que les
fosses lui semblent trop larges pour les sauter, les murailles trop hautes pour
y monter, et les serrures trop fortes pour les rompre : partant, je demeure et
je l'attends ; mais lui s'étant tourné ç la tête et aux œuvres de trois troupes,
les considère avec plaisir et s'y plonge. La première d'icelles est la danse et
le chant mélodieux, auxquels il dit : je me plais à vous ouïr ; attendez-moi.
L'autre s'arrête à se mirer, à qui il dit : je me plais à voir ce que vous
voyez, car je me délecte beaucoup à cela. La troisième se réjouit et prend son
repos, et avec celle-ci, il cherche son repos et son honneur.
Mais qu'est-ce que
danser et chanter dans le monde, sinon passer d'une joie temporelle à une autre,
et d'un appétit d'honneur à un autre ? Mais qu'es-ce que s'arrêter et penser,
sinon relâcher ou arracher l'esprit de la contemplation divine, et le porter à
la contemplation d'entasser, donner et prodigaliser des choses temporelles ? or,
que signifie se reposer, si ce n'est chercher les plaisirs de la chair ?
Considérant donc ces trois troupes, il monta en une montagne haute, et il ne se
soucia point des paroles que je lui ai envoyées, ayant mis en oubli cette clause
que j'avais mise au contrat, Que? S'il me gardait la promesse, je la lui
garderais aussi.
L'épouse repartit : O Mère très bénigne ! ne vous retirez point de lui. La Mère
de Dieu lui répondit : Je ne m'en retirerai point jusqu'à ce que la terre
reprenne la terre ; voire même s'il rompt les serrures du péché, je lui irai au
devant comme une servante et l'aiderai comme une mère. Et la Mère ajouta : Vous,
ô ma fille ! pensez qu'il aurait été la récompense de ce chanoine d'0rléans, si
son évêque se fut converti. Je vous dis que, comme vous voyez que la terre
produit des herbes et des fleurs de diverses espèces, de même, si tous les
hommes eussent louablement persévéré dès le commencement du monde en leur sainte
institution, tous eussent reçu une récompense excellente, car tous ceux qui sont
en Dieu passent d'une joie indicible en une autre, non pas qu'il y ait dégoût en
quelqu'une, mais parce que la délectation s'augmente incessamment, et la joie
ineffable s'accroît continuellement.
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