La Sainte Vierge Marie, Mère de Dieu, parle à sa fille sous une figure admirable d’un évêque, de la manière qu’un évêque est signifié et marqué par le papillon et vermisseau, l’humilité et la superbe par les deux ailes. Trois espèces de maux palliés par les évêques, par les trois couleurs du vermisseau; les œuvres de l’évêque par l’épaisseur de la couleur; ses deux volontés par les deux cornes du papillon; sa cupidité par sa bouche, et sa petite charité est expliquée par le petit corps.
Chapitre 14

La Mère de Dieu parle à l’épouse de son Fils, disant : Vous êtes un vase que le possesseur remplit et que le maître vide néanmoins, et celui qui vide et celui qui possède ne sont que le même; car comme celui qui verserait dans un vase tout à la fois du vin, du lait et de l’eau, serait appelé maître, s’il séparait l’un de l’autre après qu’ils seraient mêlés, et les remettait en leur nature propre, de même, moi, Mère de Dieu et Maîtresse de tous, j’en ai fait en vous et le fais encore, car il y a treize mois que je vous ai dit plusieurs affaires, et toutes sont comme mêlées en votre âme. Que si on les épanchait soudain, elles sembleraient être abominables, si on en ignorait la fin; partant, je les distingue et les sépare maintenant comme il me plaît.

Ne vous souvenez-vous pas que je vous ai envoyé à quelque évêque que j’appelais serviteur ? C’est pourquoi nous le comparons maintenant au vermisseau qui a des ailes larges, parsemées de couleur blanche, rouge et bleue. Quand on les touche, la couleur épaisse demeure aux doigts comme des cendres. Ce vermisseau a un petit corps, mais une grande bouche, deux cornes au front, et un lieu caché dans le ventre, par lequel il jette hors les immondices. Les ailes de cet évêque sont l’humilité et la superbe, car il paraît humble extérieurement en ses paroles, en ses débordements, vêtements et œuvres; mais au dedans, il n’y a que superbe, s’estimant grand devant ses yeux, enflé d’honneur, ambitieux des faveurs mondaines, arrogant, préférant le sien à ce qui est d’autrui et jugeant mal les autres. Il vole donc par ces deux ailes d’humilité apparente, afin de plaire aux hommes et pour faire parler de lui, et par l’aile de la superbe, s’estimant plus saint que les autres.

Mais les trois couleurs des ailes sont trois prétextes qui pallient ses maux, car la couleur rouge signifie qu’il dispute tous les jours de la passion de Jésus-Christ et des merveilles des saints, afin qu’il soit appelé saint; mais vraiment ils sont bien loin de son cœur, car il ne les a pas à goût.

La couleur bleue signifie qu’à l’intérieur il semble ne se soucier des choses temporelles, mais il semble mort au monde et tout vivant au ciel, comme le bleu a la couleur du ciel; mais vraiment, cette deuxième couleur n’a pas moins de stabilité et de fruit que la première.

La couleur blanche marque qu’il est religieux en ses vêtements, et louable par-dessus tous en ses mœurs. Mais il y a autant de douceur et de perfection en la couleur troisième que dans les deux autres, car comme la couleur du papillon est épaisse et adhère aux mains, ou pour le moins demeure aux mains comme de la cendre, de même ses œuvres semblent admirables, car il désire être seul; mais elles sont, pour son utilité propre, vaines et sans fruit, car il ne cherche pas sincèrement ce qu’il faut chercher, ni n’aime ce qu’il faut aimer.

Ces deux cornes marquent ses deux volontés, car il désire avoir la vie en ce monde sans incommodité aucune, et après la mort, la vie éternelle, afin qu’il ne soit privé en terre des grands honneurs, et qu’il soit couronné plus parfaitement dans le ciel.

Cet évêque est semblable au papillon, qui pense porter le ciel en une de ses cornes et la terre en l’autre, qui néanmoins, bien qu’il puisse, ne voudrait pas soutenir la moindre chose pour l’honneur de Dieu, et pense tellement profiter à l’Église par sa parole et son exemple, qu’il lui est avis que, sans lui, elle ne croîtrait pas, et il pense que les hommes terrestres s’engendrent spirituellement par ses mérites, et il se considère comme un bon soldat qui a bien combattu, disant en soi-même : Puisque je suis appelé dévot et estimé humble, qu’ai-je affaire de mener une vie plus étroite ?

Si je pèche en quelques délectations sans lesquelles je vivrais sans plaisir, mes grands mérites et mes plus grandes œuvres m’excuseront. Puisque même on peut obtenir le ciel par un verre d’eau froide, qu’est-il besoin de se travailler outre mesure ? Le papillon aussi a sa bouche large, mais plus amples sont ses cupidités, car bien qu’il eût dévoré toutes les mouches, excepté une, il désirerait encore celle-là; et s’il la tenais, il la dévorerait.
Il en est de même de cet évêque qui, s’il pouvait obtenir un seul denier pour l’entasser avec les autres, le recevrait avec plaisir, pourvu que cela se fît en secret et qu’il n’en fût pas marqué tel; et pour cela néanmoins, le feu de sa cupidité en s’éteint pas.

Le papillon a aussi un trou secret pour jeter ses immondices : de même ce méchant verse sa colère et son impatience, afin que ce qu’il tenait si secret soit manifesté aux autres. D’ailleurs, comme le papillon a un petit corps, lui aussi a une charité bien petite, car tout ce qui défaut en la grandeur et perfection de la charité, tout est suppléé en la latitude et extension des ailes.
L’épouse repartit : S’il a quelque étincelle de charité, il a espérance de vie et de salut.

La Mère de Dieu répartit : Quelle charité avait Judas quand, en trahissant Notre-Seigneur, il dit : J’ai péché, trahissant le sang du Juste ? Il voulut faire voir qu’il avait de la charité, mais il n’en avait pas.