Le Fils de Dieu parle à l’épouse, disant : Que pensez-vous, quand on vous montre
ces deux évêques? Vous semble-t-il pas que leur blâme et leur damnation plaisent
à Dieu, et que c’est pour cela que je les nomme ? Nenni, ce n’est pas pour cela,
mais afin que la patience et l’honneur de Dieu soient plus manifestés et que les
auditeurs craignent les jugements de Dieu. Mais venez et oyez des merveilles.
Voici un jeune évêque qui demanda à l’ancien, disant : Oyez, mon frère, et
répondez-moi. Vous qui êtes obligé au joug de l’obéissance, pourquoi l’avez-vous
délaissé ? Ayant choisi la pauvreté et la religion, pourquoi les avez-vous
abandonnées ? Puisque, par l’entrée de la religion, vous vous étiez montré mort
au siècle, pourquoi avez-vous désiré l’épiscopat ?
L’ancien répondit : L’obéissance, qui m’enseignait de me soumettre, m’était
amer, c’est pourquoi j’ai cherché le repos du corps. L’humilité était en moi
feinte, c’est pourquoi je désirais passionnément les honneurs ; et d’autant
qu’il me semblait meilleur de commander que d’obéir, j’ai désiré l’épiscopat.
Le jeune évêque demanda encore : Pourquoi n’honoriez-vous votre siège par
l’honneur du monde ? Pourquoi n’avez-vous acquis des richesses par la sagesse du
monde ? Pourquoi ne les avez-vous pas dépensées et départies selon l’honneur du
monde ? Pourquoi vous étiez-vous tellement abaissé extérieurement, et n’alliez
plutôt selon les ambitions du monde ?
L’ancien répondit : Je n’ai pas dressé mon siège avec les honneurs du monde,
parce que je m’attendais à être plus honoré, si j’apparaissais humble et
spirituel, que temporel et mondain. Et parce qu’il me semblait être loué des
mondains, je faisais semblant de mépriser tout ; mais afin d’être aimé des
hommes spirituels, j’apparaissais humble et dévot. C’est pourquoi je n’ai pas
acquis des richesses avec la sagesse mondaine, de peur que les hommes spirituels
ne me marquassent ambitieux et me méprisassent à raison des choses temporelles.
Je n’ai pas aussi donné de grands présents, attendu que je me plaisais plus à
être avec ceux qui peuvent donner un peu qu’avec ceux qui peuvent donner
beaucoup, et me plaisais plus à avoir mes trésors dans mes coffres que les
départir de ma main.
De plus, le jeune évêque lui demande : Dites-moi : pourquoi avez-vous donné à
l’âne un breuvage doux et délectable, tiré du vase immonde et corrompu ?
Pourquoi avez-vous donné à l’évêque les cosses des fèves, tirées des auges des
pourceaux ? Pourquoi avez-vous foulé aux pieds votre couronne ? Pourquoi
avez-vous craché le blé et avez-vous mâché la zizanie ? Pourquoi avez-vous délié
les autres et vous êtes-vous lié vous-même ? Pourquoi avez-vous appliqué aux
plaies d’autrui des médicaments salutaires, et aux vôtres des médicaments
mortels ?
L’ancien répondit : J’ai donné à l’âne une boisson douce d’un port corrompu et
méprisé, d’autant qu’étant homme savant, je me plaisais plus à administrer les
saints et augustes sacrements, surtout celui de l’autel, pour l’honneur du
monde, que de vaquer au soin de siècle ; et par cela, les choses occultes de mon
cœur étaient inconnues aux hommes et connues de Dieu ; je m’en suis rendu
superbe et ai augmenté les justes et horribles jugements de Dieu.
Quant au deuxième, je dis que j’ai donné à l’évêque les cosses de l’auge des
pourceaux, parce que je versais en moi les allumettes de la lubricité, et les
accomplissais, et je n’étais constant à les éteindre et à les retenir.
Au troisième, je réponds : J’ai foulé aux pieds ma couronne, attendu que je me
plaisais plus à faire miséricorde pour les faveurs des hommes, que justice pour
l’honneur et l’amour de Dieu.
Au quatrième, je dis : J’ai craché le blé et mâché la zizanie, car je ne disais
pas mes paroles par un mouvement d’amour de Dieu, ni ne me plaisais pas à faire
ce que je disais aux autres.
Au cinquième je dis que je déliais les autres et me liais moi-même, quand je
donnais l’absolution à ceux qui venaient à moi avec contrition; et ce qu’ils
pleuraient en faisant pénitence, et laissaient en pleurant, c’est cela même
qu’il me plaisait et délectait de commettre.
Je réponds au sixième : J’oignais les autres d’un onguent salutaire, et
moi-même, d’un onguent mortel, car en enseignant aux autres la pauvreté de la
vie, j’amende les autres et me suis moi-même rendu pire, car ce que je commande
aux autres, je ne l’ai pas voulu toucher avec le doigt ; et d’où je voyais
profiter les autres, c’est de là même qu’en défaillant j’ai séché d’envie,
attendu que je me plaisais plus à aggraver le faix de mes péchés qu’à l’alléger.
Après tout cela, ouït une voix qui disait : Rendez grâces à Dieu que vous ne
soyez avec ces vases vénéneux qui, en se cassant, s’en vont au même venin. Et
soudain on annonça que l’un des deux était mort.
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