Réponse de l’épouse à Jésus-Christ. Pourquoi elle est agitée de pensées inutiles et extravagantes ; comment elle ne les peut point repousser. Réponse de Jésus-Christ à l’épouse. Pourquoi il les permet. De la grande utilité des pensées : les ayant en détestation, crainte avec discrétion, elles servent à mérites et à couronnes. Comment on ne doit point négliger les péchés véniels, de peur qu’ils ne nous induisent aux péchés mortels.
Chapitre 19

Le Fils de Dieu éternel parle à son épouse, lui disant : Pourquoi vous troublez-vous et êtes-vous en anxiété ? Elle répondit : D’autant que je suis grandement assaillie d’un monde de diverses et inutiles pensées, lesquelles je ne puis chasser ; et d’ouïr parler de vos terribles jugements me trouble.

Le Fils de Dieu répondit : Celle-ci en est la vraie justice, que, comme vous vous plaisiez auparavant aux affections du monde contre ma volonté, de même maintenant je permets que diverses pensées vous importunent contre votre volonté. Néanmoins, craignez avec discrétion, et confiez-vous fortement en moi, votre Dieu, sachant pour certain que quand la volonté ne prend point plaisir dans les pensées de péché, mais les repousse en les détestant, elles servent à l’âme de purification et de couronne.

Or, si vous vous plaisez à faire quelque petit péché que vous connaissiez être péché, et le faites, vous confiant en l’abstinence et en la présomption de la grâce, n’en faisant point pénitence ni autre satisfaction, sachez qu’il vous dispose au péché mortel. Partant, s’il arrive en votre volonté quelque délectation de péché, quelle que ce soit, considérez soudain à quoi elle tend, et repentez-vous-en, car depuis que la nature a été débilitée par le péché, on pèche plus souvent, car il n’y a point homme qui ne pèche au moins véniellement.

Mais Dieu, tout miséricordieux, a donné à l’homme pour remède la vraie contrition de tous les péchés, voire même de ceux que nous avons amendés, de peur qu’ils ne soient pas bien amendés, car Dieu ne hait rien tant que le péché, et l’endurcissement de ceux qui n’ont soin de le quitter et qui présument sur les mérites d’autrui, sans vouloir faire de bonnes œuvres, comme s’il ne pouvait être honoré sans eux ; et partant qu’il vous permettra de faire quelque mal , puisque vous faites plusieurs biens, vu même quand vous en feriez mille pour chaque péché, vous ne sauriez compenser un des moindres maux, ni ne sauriez satisfaire à Dieu, à l’amour qu’il vous a porté et à la bonté qu’il vous a communiquée. Que si vous ne pouvez éviter les pensées, supportez-les pour le moins patiemment, et efforcez-vous d’aller volontairement contre elles, car vous ne serez pas damnée à cause d’elles, bien qu’elles entrent en votre esprit, attendu que vous ne leur pouvez défendre l’entrée, mais bien la délectation.

Craignez aussi, bien que vous n’y consentiez pas, que la superbe ne soit cause de votre chute, car tout homme qui subsiste sans tomber, subsiste en la vertu du seul Dieu. Partant, la crainte est une introduction au ciel, car plusieurs sont tombés dans les précipites et en la mort pour avoir abandonné la crainte, et ont eu honte de confesser là leurs péchés devant les hommes, où ils n’avaient eu vergogne de les commettre devant Dieu : C’est pourquoi ils ne se soucient point de demander pardon pour un petit péché.

Je dédaignerai aussi de relâcher et de pardonner leur péché, et de la sorte, les péchés étant augmentés par les actes, ce qui était rémissible par la contrition et était véniel, est grave par le mépris, comme vous pouvez voir en cette âme maintenant jugées, car après avoir commis quelque chose vénielle et rémissible, elle l’augmentait par la coutume, se confiant de quelques siennes bonnes œuvres, ne considérant pas que je jugeais les choses petites ; et ainsi l’âme, étant enveloppée en iceux par la coutume qu’elle avait aux délectations déréglées, ne les a pas corrigées, ni n’a pas réprimé la volonté du péché, jusqu’à ce qu’elle a vu le jugement aux portes, et que la dernière période de sa vie s’approchait ; c’est pourquoi, la fin s’approchant, sa conscience s’embrouilla soudain misérablement, et était marrie de mourir sitôt, craignant de se séparer de ce peu de temporel qu’elle aimait, car Dieu souffre et attend l’âme jusqu’au dernier point, parce que, par aventure, elle voudrait quitter sa volonté libertine qu’elle a eu l’affection du péché : mais d’autant que la volonté ne se corrige point, c’est pourquoi l’âme est tourmentée sans fin.

Le diable, sachant en effet qu’un chacun est jugé selon sa conscience et selon la volonté, s’efforce principalement à la fin de donner des illusions à l’âme pour d’écarter de la droite intention, ce que Dieu permet, car l’âme n’a pas voulu veiller sur elle quand elle le devait.

D’ailleurs, ne vous confiez et présumez pas trop, si j’appelle quelqu’un ami et serviteur, comme j’ai appelé ce juge autrefois, car aussi Judas a été nommé mon ami, et Nabuchodonosor serviteur, car comme j’ai dit : Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande, maintenant, je parle en cette sorte : Ceux-là sont mes amis qui m’imitent, et ceux-là mes ennemis qui me poursuivent et méprisent mes commandements et moi-même. Mais quoi ! David, après que j’eus dit qu’il était selon mon cœur, ne commit-il pas un homicide ? Salomon, à qui des choses si merveilleuses ont été données et promises, ne s’est-il pas retiré de ma bonté ? Et les promesses n’ont pas été accomplies en lui à raison de son ingratitude, mais seulement en moi, Fils de Dieu.

Partant, comme ne ce que vous dites, vous mettez cette clause : finalement, de même, moi, j’aime la même la clause en mes paroles. Si quelqu’un fait ma volonté et quitte son héritage, il aura la vie éternelle. Or, celui qui l’oira et ne persévèrera à la faire, sera comme un serviteur inutile et ingrat. Mais vous ne devez pas vous défier, si j’appelle quelqu’un ennemi, car soudain qu’il aura changé sa volonté au bien, il sera mon ami. Judas n’était-il pas un des douze, quand je dis : Vous êtes mes amis, qui m’avez suivi, et serez assis sur les douze sièges ? Certainement lors Judas me suivait ; il ne sera pas pourtant assis avec les douze.

Comment donc sont accomplies les paroles de Dieu ? Je réponds : Dieu, qui voit les volontés et sonde les cœurs des hommes, juge selon qu’il voit au visage. Partant, de peur que le bon ne s’enorgueillisse ou que le méchant se défie, Dieu appela à son apostolat les bons comme les mauvais, et chaque jour, il appelle aux dignités aussi bien les bons que les mauvais, afin que celui qui obtient en sa vie un bénéfice, se glorifie en la vie éternelle. Or, celui qui a de l’honneur sans charge, qu’il se glorifie pour quelque temps, puisqu’il périra éternellement.

Partant, d’autant que Judas ne me suivait pas d’un cœur parfait, ces mots : Qui secuti esti me, qui m’avez suivi, ne furent point pour lui, attendu qu’il ne persévéra point jusqu’à la récompense, mais seulement étaient pour ceux qui devaient persévérer, tant pour ceux qui étaient alors que pour ceux qui étaient à venir. Car Dieu, à la présence duquel sont toutes choses, parle quelquefois en temps présent bien que cela appartienne au futur, et parle des choses qui sont à faire comme des choses faites ; quelquefois aussi, il mêle le passé avec le futur, et se sert du passé pour le futur, afin qu’aucun n’ose examiner le conseil de l’immuable et auguste Trinité.

Écoutez encore une parole : Plusieurs sont appelés et peu élus : de même celui-ci est appelé à l’épiscopat, mais n’est pas élu, car il est ingrat aux grâces de Dieu. Partant, il a seulement le nom d’évêque ; et parce qu’il dégénère, il sera à bon endroit nombré entre ceux qui descendent et non entre ceux qui montent.

ADDITION
Le Fils de Dieu parle à sa fille sainte Brigitte et lui dit : Vous admirez pourquoi l’autre évêque a eu si belle fin, et l’autre une fin si horrible, car une muraille tombant l’écrasa ; il vécut peu encore, et ce peu avec une grande douleur. Je réponds à vos admirations.

L’Écriture dit, je dis moi-même que le juste, de quelque mort qu’il meure, est toujours juste devant Dieu. Mais les hommes du monde réputent justes ceux-là qui ont une belle fin et meurent sans douleur et sans honte. Mais Dieu dit : Celui-là est juste qui est éprouvé par une longue abstinence, ou bien qui est affligé pour la justice, car les amis de Dieu sont affligés en ce monde, afin de l’être moins en l’autre et pour une plus grande couronne au ciel. Car saint Pierre et saint Paul sont morts pour la justice, mais saint Pierre, d’une mort plus amère que celle de saint Paul, car il a plus aimé la chair que saint Paul ; et d’autant qu’il a eu la primauté de l’Église, il devait donc aussi ce conformer à moi par une mort plus amère. Mais d’autant que saint Paul a plus aimé la continence et qu’il a plus labouré comme un généreux soldat, il est mort par le glaive, d’autant que je dispose toutes choses selon les mérites et selon la mesure.

Partant, au jugement de Dieu, ce n’est pas la fin ou la mort contemptible qui couronne, mais bien l’intention, la volonté des hommes, et la cause pourquoi on souffre. Il en est de même de ces deux évêques, car l’un endurait une peine amère et une mort méprisable et contemptible. Cela lui a été à moindre peine, bien que non pas à une plus grande gloire, car il n’endurait pas d’une bonne volonté. Quant à ce que l’autre a obtenu une fin glorieuse, cela est arrivé par les secrets de ma justice, mais non pas pour les récompenses éternelles, car il n’a pas corrigé ses volontés tandis qu’il vivait.