La Vierge Marie parle à sa fille sainte Brigitte, des remèdes convenables pour obvier aux difficultés qui arrivent à un évêque en la voie étroite de la perfection. Comment la patience est désignée par les vêtements ; les dix préceptes, par dix doigts, et les désirs des choses éternelles et le dégoût des choses mondaines, par les deux pieds. De trois ennemis qui s’opposent en la voie à l’évêque.
Chapitre 2

La Mère de Dieu dit à sainte Brigitte : Dites à l’évêque que, s’il marche en la voie dont nous venons de parler, trois choses difficiles viendront au-devant de lui : la première, que la voie est étroite ; la deuxième, qu’il y a, sur cette voie, des épines poignantes ; la troisième, que la voie n’est pas frayée, qu’elle est pierreuse, difficile et inégale. Contre ces trois choses, je vous donnerai trois conseils :
1. que l’évêque se revête, contre la voie étroite, de vêtements forts et subtilement cousus ;
2. qu’il ait ses dix doigts devant les yeux, comme des barreaux entre lesquels il regarde, et se garde d’être blessé par les épines ;
3. qu’il pose ses pieds sagement, et à chaque pas, qu’il sonde si son pied est ferme et arrêté, avant qu’avec précipitation il y mette les deux pieds, qu’il soit certain de la bonté ou de la méchanceté du chemin.

Or, que signifie cette voie étroite, sinon que la malice des hommes impies est toujours contraire aux œuvres des justes, dont ils se moquent, dépravent les voies et les avertissements des justes, et tiennent à vil prix tout ce qui est humble et pieux ? Que l'évêque s'habille contre telle sorte de gens, des vêtements de patience et de constance, car la patience rend doux et traitable ce qui est rude, et fait supporter joyeusement les calomnies qu'on vomit sur nous.

Que signifient les épines poignantes, si ce n'est les adversités du monde ? Il faut être muni contre elles des doigts des dix commandements de Dieu et de ses conseils, afin que, quand l'épine de l'adversité dure et amère, et l'extrémité de la pauvreté nous piqueront, nous considérions la passion douloureuse et la poignante pauvreté de Jésus-Christ ; et quand l'épine de la colère et de l'envie nous piquera, que nous considérions dans l'amour de Dieu, qu'il nous a commandé de conserver en nos cœurs ; car le véritable amour ne cherche point ses intérêts, mais il donne tout ce qu'il a pour l'honneur de Dieu et l'utilité du prochain.

Mais quand on dit qu'il doit marcher sagement, nous disons qu'en tout, et partout il doit raisonnablement craindre, car l'homme de bien doit avoir deux pieds : le premier, le désir des choses éternelles, le second ; le dégoût du monde. Mais dans les désirs des choses éternelle, on doit avoir une grande discrétion, afin qu'on ne les désire pour soi seulement, comme si on en était digne, mais qu'on mette tous les désirs, les volontés et les récompenses entre les mains de Dieu. Dans le dégoût du monde, il faut aussi être sage et craintif, de peur que ce dégoût ne vienne à cause des adversités du monde et de l'impatience de cette mourante vie, ou bien pour un plus grand repos de cette vie temporelle, et pour s'affranchir et se décharger d'un plus grand labeur qui est utile et profitable aux autres. Mais que ce dégoût soit seulement à cause de l'abomination du péché et à raison des désirs insatiables de la vie éternelle. J'avais encore l'évêque de trois ennemis qui sont en son chemin, après qu'il aura vaincu et surmonté la difficulté de cette voie : le premier ennemi désire lui persuader qu'il bouche ses oreilles ; le deuxième est arrêté devant ses yeux pour les lui pincer ; le troisième est devant ses pieds avec un lacet pour les pendre quand il les lèvera de terre.

Le premier ennemi, ce sont les hommes qui, par leurs discours, tâchent de retirer et d'écarter l'évêque du droit chemin, disant : Pourquoi prenez-vous tant de peine et marchez-vous par une voie si étroite? Détournez-vous un peu par la voie fleurie où plusieurs marchent; Que vous importe que celui-ci ou celui-là vive ? Qu'ils vivent comme ils voudront. Que vous importe que ceux qui vous doivent honorer et aimer, s'injurient et s'offensent ? S'ils n'offensent ni vous, ni les vôtres, de quel soin vous chargez-vous s'ils vivent comme il faut ou s'ils offensent Dieu ? Si vous êtes bon vous-même, que vous souciez-vous du jugement qu'on fera un jour des autres ? Donnez plutôt des présents et prenez-en ; servez-vous de l'amitié des hommes, afin que vous soyez loué et que vous soyez estimé bon en cette vie.

Le deuxième ennemi désire vous aveugler comme le Philistin aveugla Samson. Cet ennemi, ce sont la beauté, la possession du monde, la superfluité des vêtements, la diversité des choses apparentes, les honneurs des hommes et leurs faveurs. En effet, quand on offre ces choses, elles plaisent aux yeux ; la raison s'aveugle ; l'amour des commandement de Dieu s'attiédit ; on commet le péché plus licencieusement, et quand le péché est commis, il semble peu ou rien. Partant, quand l'évêque aura ce qui lui est nécessaire, qu'il s'en contente, car il semble maintenant à plusieurs plus doux de demeurer à la meule de cupidité avec Samson, que d'aimer l'Eglise, selon la louable disposition d'un soin pastoral.

Le troisième ennemi, qui a un lacet, crie hautement, disant : Pourquoi allez-vous ainsi sur vos gardes, la tête baissée ? Pourquoi vous humiliez-vous tant, vous qui devez et pouvez être honoré de plusieurs ? Soyez plutôt un prêtre qui est aux premiers rangs, ou plutôt un évêque, afin que vous puissiez être honoré de plusieurs.
Avancez-vous aux plus grandes dignités, afin que vous ayez de plus grands services et que vous jouissiez d'un plus grand repos.

Entassez des trésors, avec lesquels aidant aux autres, vous puissiez être courtisé et caressé de tous, et être partout joyeux et content ; car quand l'esprit sera touché par toutes ces choses et sera incliné vers elles, il écartera toutes ces suggestions et affectera tout cela : soudain sans doute notre cœur s'élèvera, comme le pied d'une délectation déshonnête, vers les cupidités terrestres, et ainsi, il s'enveloppe dans les lacets des soins mondains, dont à grand peine il peut se débarrasser pour considérer sa misère, les récompenses ou les supplices éternels. Et ce n'est point de merveille que celui qui désire l'épiscopat désire une bonne œuvre pour l'honneur de Dieu : mais maintenant, plusieurs désirent l'honneur, et fuient le labeur dans lequel se trouve le salut éternel de l'âme. Partant, que cet évêque demeure dans le degré qu'il a, et qu'il n'aspire point plus haut jusqu'à ce qu'il plaise à Dieu d'y pourvoir autrement.