La Mère de Dieu dit à sainte Brigitte : Dites à l’évêque que, s’il marche en la
voie dont nous venons de parler, trois choses difficiles viendront au-devant de
lui : la première, que la voie est étroite ; la deuxième, qu’il y a, sur cette
voie, des épines poignantes ; la troisième, que la voie n’est pas frayée,
qu’elle est pierreuse, difficile et inégale. Contre ces trois choses, je vous
donnerai trois conseils :
1. que l’évêque se revête, contre la voie étroite, de vêtements forts et
subtilement cousus ;
2. qu’il ait ses dix doigts devant les yeux, comme des barreaux entre lesquels
il regarde, et se garde d’être blessé par les épines ;
3. qu’il pose ses pieds sagement, et à chaque pas, qu’il sonde si son pied est
ferme et arrêté, avant qu’avec précipitation il y mette les deux pieds, qu’il
soit certain de la bonté ou de la méchanceté du chemin.
Or, que signifie cette voie étroite, sinon que la malice des hommes impies est
toujours contraire aux œuvres des justes, dont ils se moquent, dépravent les
voies et les avertissements des justes, et tiennent à vil prix tout ce qui est
humble et pieux ? Que l'évêque s'habille contre telle sorte de gens, des
vêtements de patience et de constance, car la patience rend doux et traitable ce
qui est rude, et fait supporter joyeusement les calomnies qu'on vomit sur nous.
Que signifient les épines poignantes, si ce n'est les adversités du monde ? Il
faut être muni contre elles des doigts des dix commandements de Dieu et de ses
conseils, afin que, quand l'épine de l'adversité dure et amère, et l'extrémité
de la pauvreté nous piqueront, nous considérions la passion douloureuse et la
poignante pauvreté de Jésus-Christ ; et quand l'épine de la colère et de l'envie
nous piquera, que nous considérions dans l'amour de Dieu, qu'il nous a commandé
de conserver en nos cœurs ; car le véritable amour ne cherche point ses
intérêts, mais il donne tout ce qu'il a pour l'honneur de Dieu et l'utilité du
prochain.
Mais quand on dit qu'il doit marcher sagement, nous disons qu'en tout,
et partout il doit raisonnablement craindre, car l'homme de bien doit avoir deux
pieds : le premier, le désir des choses éternelles, le second ; le dégoût du
monde. Mais dans les désirs des choses éternelle, on doit avoir une grande
discrétion, afin qu'on ne les désire pour soi seulement, comme si on en était
digne, mais qu'on mette tous les désirs, les volontés et les récompenses entre
les mains de Dieu. Dans le dégoût du monde, il faut aussi être sage et craintif,
de peur que ce dégoût ne vienne à cause des adversités du monde et de
l'impatience de cette mourante vie, ou bien pour un plus grand repos de cette
vie temporelle, et pour s'affranchir et se décharger d'un plus grand labeur qui
est utile et profitable aux autres. Mais que ce dégoût soit seulement à cause de
l'abomination du péché et à raison des désirs insatiables de la vie éternelle.
J'avais encore l'évêque de trois ennemis qui sont en son chemin, après qu'il
aura vaincu et surmonté la difficulté de cette voie : le premier ennemi désire
lui persuader qu'il bouche ses oreilles ; le deuxième est arrêté devant ses yeux
pour les lui pincer ; le troisième est devant ses pieds avec un lacet pour les
pendre quand il les lèvera de terre.
Le premier ennemi, ce sont les hommes qui, par leurs discours, tâchent de
retirer et d'écarter l'évêque du droit chemin, disant : Pourquoi prenez-vous
tant de peine et marchez-vous par une voie si étroite? Détournez-vous un peu par
la voie fleurie où plusieurs marchent; Que vous importe que celui-ci ou celui-là
vive ? Qu'ils vivent comme ils voudront. Que vous importe que ceux qui vous
doivent honorer et aimer, s'injurient et s'offensent ? S'ils n'offensent ni
vous, ni les vôtres, de quel soin vous chargez-vous s'ils vivent comme il faut
ou s'ils offensent Dieu ? Si vous êtes bon vous-même, que vous souciez-vous du
jugement qu'on fera un jour des autres ? Donnez plutôt des présents et prenez-en
; servez-vous de l'amitié des hommes, afin que vous soyez loué et que vous soyez
estimé bon en cette vie.
Le deuxième ennemi désire vous aveugler comme le Philistin aveugla Samson. Cet
ennemi, ce sont la beauté, la possession du monde, la superfluité des vêtements,
la diversité des choses apparentes, les honneurs des hommes et leurs faveurs. En
effet, quand on offre ces choses, elles plaisent aux yeux ; la raison s'aveugle
; l'amour des commandement de Dieu s'attiédit ; on commet le péché plus
licencieusement, et quand le péché est commis, il semble peu ou rien. Partant,
quand l'évêque aura ce qui lui est nécessaire, qu'il s'en contente, car il
semble maintenant à plusieurs plus doux de demeurer à la meule de cupidité avec
Samson, que d'aimer l'Eglise, selon la louable disposition d'un soin pastoral.
Le troisième ennemi, qui a un lacet, crie hautement, disant : Pourquoi
allez-vous ainsi sur vos gardes, la tête baissée ? Pourquoi vous humiliez-vous
tant, vous qui devez et pouvez être honoré de plusieurs ? Soyez plutôt un prêtre
qui est aux premiers rangs, ou plutôt un évêque, afin que vous puissiez être
honoré de plusieurs.
Avancez-vous aux plus grandes dignités, afin que vous ayez
de plus grands services et que vous jouissiez d'un plus grand repos.
Entassez des trésors, avec lesquels aidant aux autres, vous puissiez être courtisé et
caressé de tous, et être partout joyeux et content ; car quand l'esprit sera
touché par toutes ces choses et sera incliné vers elles, il écartera toutes ces
suggestions et affectera tout cela : soudain sans doute notre cœur s'élèvera,
comme le pied d'une délectation déshonnête, vers les cupidités terrestres, et
ainsi, il s'enveloppe dans les lacets des soins mondains, dont à grand peine il
peut se débarrasser pour considérer sa misère, les récompenses ou les supplices
éternels. Et ce n'est point de merveille que celui qui désire l'épiscopat désire
une bonne œuvre pour l'honneur de Dieu : mais maintenant, plusieurs désirent
l'honneur, et fuient le labeur dans lequel se trouve le salut éternel de l'âme.
Partant, que cet évêque demeure dans le degré qu'il a, et qu'il n'aspire point
plus haut jusqu'à ce qu'il plaise à Dieu d'y pourvoir autrement.
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