La sainte Mère de Dieu parle à sainte Brigitte, disant : Je vous ai dit
ci-dessus que le corps de saint Benoît était comme un sac, qui était discipliné
et gouverné et ne gouvernait pas. Enfin, son âme était comme un ange qui a donné
de soi une grande chaleur et embrasement, comme je vous le montre par un
exemple. Par exemple, s’il y avait trois feux, et si l’un de ces feux était
allumé en la myrrhe, il donnerait de soi l’odeur de suavité ; le deuxième, s’il
était allumé au bois vert, donnerait de soi des charbons ardents et une
splendeur éclatante ; le troisième, s’il était allumé à l’olivier, donnerait de
flammes de lumière et de chaleur.
Par ces trois feux j’entends trois sortes de personnes, et par ces personnes,
trois états au monde. Le premier état était de ceux qui, ayant considéré l’amour
et la charité de Dieu, ont renoncé à leur propre volonté entre les mains
d’autrui ; qui ont pris, au lieu de la vanité et superbe du monde, la pauvreté
et l’abjection ; qui, au lieu de l’intempérance, ont aimé la continence et la
pureté. Ceux-ci ont eu le feu dans la myrrhe.
Car comme l’amertume de la myrrhe
chasse les démons, étanche la soif, de même leur abstinence est amère au corps,
éteint la concupiscence déréglée et affaiblit toute la puissance des diables. Le
second est de ceux qui ont telles pensées :
Pourquoi aimons-nous les hommes du
monde, qui n’est autre chose qu’un air qui bat les oreilles ? Pourquoi
aimons-nous l’or, puisque ce n’est que terre rouge ? Or, quelle est la fin de la
chair, sinon pourriture et feu ? que nous profite-t-il de désirer les choses
terrestres, puisque toutes sont vanité ? Partant, nous ne voulons vivre pour
autre fin, ni travailler à autre intention, qu’afin que Dieu soit honoré en
nous, et afin que les autres s’allument du feu de l’amour divin par nos paroles
et par nos exemples.
Ceux-ci eurent le feu au bois vert, car l’amour du monde a
été mort en eux, et un chacun d’eux donnait des charbons ardents de justice,
d’éclat d’une prédication divine. Le troisième état était de ceux qui, étant
fervents en la passion de Jésus-Christ, désiraient de tout leur cœur de mourir
pour Jésus-Christ : ceux-ci ont eu leur feu en l’olivier, car comme ce bois
jette, quand il brûle, de la graisse grandement chaude, de même ceux-ci ont été
engraissés de la grâce divine, par le moyen de laquelle ils ont puisé et donné
la lumière de la divine science, l’ardeur d’une charité fervente et la force
d’une honnête conversation.
Ces trois feux se sont dilatés au loin et au large. Le premier de ces feux s’est
allumé dans les ermites et les religieux, comme dit saint Jérôme, qui, inspiré
du Saint-Esprit, a trouvé leurs vies admirables et inimitables. Le Deuxième a
été allumé dans les confesseurs et les docteurs ; le troisième, dans les
martyrs, qui ont méprisé leur vie pour l’amour de Jésus-Christ, et d’autres
l’eussent méprisée, s’ils eussent obtenu de Dieu la grâce et le secours.
Saint Benoît a été envoyé à quelques-uns de ces feux et de ces états, lui qui
unit trois feux en telle sorte que les aveugles étaient illuminés, les froids
étaient échauffés, et les fervents rendu plus fervents. Et c’est en ces trois
feux que la religion de saint Benoît commença, qui conduisait en la voie de
salut et bonheur éternel un chacun, selon la disposition et la capacité de
l’esprit d’un chacun.
Or, maintenant, comme du sac de saint Benoît s’exhalait la douceur du
Saint-Esprit, par laquelle plusieurs monastères se renouvelaient, de même
maintenant, du sac de plusieurs de ses frères se retire le Saint-Esprit, car la
chaleur de la cendre est éteinte, et les flambeaux gisent dispersés, ne donnent
ni chaleur ni splendeur, mais bien une fumée d’impureté et de cupidité.
Néanmoins, pour la consolation et le soulas de plusieurs, Dieu m’a donné trois
étincelles, sous le nom desquelles j’entends un grand nombre : la première est
tirée du cristal par la chaleur et la splendeur du soleil, qui s’est prise au
bois sec, afin qu’elle fasse un grand feu. La deuxième est tirée d’un caillou
fort dur. La troisième est tirée d’un bois infructueux qui a crû avec ses
racines et a dilaté ses feuilles.
Or, par le cristal, qui est une pierre froide
et fragile, est signifiée l’âme qui, bien qu’elle soit froide en l’amour de
Dieu, s’efforce néanmoins d’aller à la perfection, et prie Dieu, afin qu’il la
secoure. C’est pourquoi cette volonté la porte à Dieu, lui fait mériter que Dieu
lui augmente les tentations, par lesquelles il la refroidit des tentations
mauvaises, jusqu’à ce que Dieu, illuminant son cœur, s’arrête tellement en cette
âme vide de volupté, qu’elle ne veut vivre désormais que pour l’honneur de Dieu.
Par le caillou est marqué la superbe : qu’y a-t-il en effet de plus dur que la
superbe de l’esprit de celui qui cherche et mendie les louanges de tous, et
néanmoins désire patiemment d’être appelé humble et être estimé dévot ? Qu’y
a-t-il de plus abominable que l’âme qui préfère ses pensées à toutes pensées, et
ne veut être reprise de personne ni enseignée d’aucun ?
Vraiment, il y en a plusieurs qui, étant ainsi superbes, demandent humblement à
Dieu qu’il arrache de leur cœur la superbe et l’ambition. C’est pourquoi Dieu
ôte de leur cœur , leur bonne volonté coopérant, tout ce qui les empêche et les
contrarie, leur donnant des choses douces par lesquelles ils sont retirés des
choses du monde et excités aux choses célestes. Par l’arbre infructueux est
signifiée cette âme qui, nourrie en la superbe, fructifie pour le monde, désire
l’avoir et posséder l’honneur. Néanmoins, d’autant qu’il craint la mort
éternelle, elle arrache force souches de péché, qu’elle perpétrait, n’était la
crainte. Partant, Dieu s’approche de cette âme, à raison de cette crainte, et
lui inspire sa grâce, afin que l’arbre inutile soit fructueux. C’est pourquoi
l’ordre de saint Benoît,
qui semble maintenant désolé et abject à plusieurs, doit être renouvelé avec
telles étincelles.
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