Je suis Ambroise, l'évêque, qui vous apparaît, parlant avec vous par quelque
similitude, car votre esprit ne saurait comprendre les choses spirituelles sans
quelque similitude corporelle.
Il y avait un homme marié à une femme légitime, grandement belle, sage et
prudente, à qui néanmoins la chambrière plaisait plus que sa femme ; et de
ceux-ci sortaient trois choses : la première, que les paroles et les gestes de
la servante réjouissaient plus son cœur que sa femme ; la deuxième, qu'il
habillait la servante des plus belles étoffes, ne se souciant pas que sa femme
fût vêtue d'etoffes communes, voire même des plus viles et déchirées ; la
troisième qu'il avait coutume de demeurer neuf heures avec la servante, et une
heure avec sa femme.
Car la première heure, il l'employait à veiller avec sa
servante, se réjouissant de contempler sa beauté. La deuxième, il dormait entre
ses bras. La troisième, il supportait le travail pour l'amour d'elle. la
quatrième, après la lassitude du corps, il se reposait avec elle. La cinquième
heure, il l'employait à lui ôter les inquiétudes d'esprit et à avoir soin que
rien ne lui manquât. La sixième, il contenait son esprit du soin qu'il avait eu
que rien ne lui manquât. A la septième heure, l'ardeur de la concupiscence le
brûlait. A la huitième, la satisfaisait. A la neuvième, il omettait ce qu'il lui
était loisible de faire. A la dixième, il faisait ce qui ne plaisait pas à sa
femme, de sorte qu'il demeurait seulement une heure avec sa femme.
Or, quelque parent de la femme venant à cet adultère, le reprit, lui disant :
Retournez à votre légitime femme, en l'aimant et la revêtant comme il faut, et
demeurant avec elle neuf heures, et une heure avec la servante : autrement,
sachez que vous mourrez malheureusement.
Par cet adultère, dit Saint Amboise, j'entends le pévoyeur de cette église, qui
a la charge et l'office d'évêque, et dont la vie est la vie d'un adultère. Et de
fait, l'évêque est tellement conjoint par l'union spirituelle avec l'Eglise,
qu'elle devrait être son épouse très chère ; il a néanmoins retiré d'elle le
cœur et l'amour, aimant beaucoup plus le monde servile que sa maîtresse, son
excellente et amoureuse épouse. C'est pourquoi il a fait trois malheurs : le
premier est qu'il se réjouit plus des allèchements trompeurs du monde, que des
belles et excellentes qualités de la Sainte Eglise. Le deuxième est qu'il aime
grandement l'ornement et l'éclat du monde, sans se soucier de la défectuosité et
pauvreté de l'ornement de l'Eglise.
Le troisième est, qu'il emploie neuf heures
pour le monde, et la dixième heure seulement pour l'Eglise Sainte, car il veille
la première heure joyeusement avec le monde, contemplant avec plaisir sa beauté
et son éclat.
A la deuxième heure, il repose entre les bras du monde, qui sont
la hauteur des murailles et la vigilance des hommes armés, entre lesquels il
dort doucement, pensant tenir là heureusuement l'assurance de son corps. A la
troisème heure, il supporte joyeusement le labeur et la peine pour des
commodités mondaines, afin qu'avec cela, il se réjouisse corporellement. A la
quatrième heure, après avoir travaillé, il repose franchement son corps, car il
a à suffisance tout ce qui lui plaît. A la cinquième heure, il a un monde
d'inquiétudes d'esprit, de ce qu'il veut être estimé un grand et sage pourvoyeur
du monde.
A la sixième heure, il a le repos de l'esprit avec joie, voyant que
son soin plaît universellement à tous les mondains. A la septième heure,
entendant et voyant les choses déléctable du monde, il les attire dans son cœur,
où il en brûle avec une impatience intolérable. A la huitième, il accomplit
actuellement et défait ce qu'auparavant il avait ardemment désiré. A la
neuvième, il laisse inutilement quelques plaisirs, afin de ne sembler offenser
ceux qu'il aime charnellement. A la dixième heure, il fait quelque bonne œuvre,
mais à regret, d'autant qu'il craint de se rendre infâmes et méprisable, et
d'être jugé misérablement, s'il omet quelque chose entièrement pour quelque
autre fin. Cette dixième heure, il l'emploie seulement avec la Sainte Eglise.
Le bien qu'il fait ne vient pas de la charité, mais de la crainte, craignant le
supplice du feu de l'enfer. en effet, s'il pouvait vivre éternellement sans
danger du corps, abondant en choses mondaines, il ne se soucierait point d'être
privé de la félicité éternelle.
Partant, je vous dis certainement, jurant de la part de Dieu, que celui qui
n'aura point le commencement n'aura point aussi la fin. Que s'il ne se convertit
bientôt à la Sainte Eglise, employant les neuf heures avec elle, et avec la
servante, c'est-à-dire, le monde une heure, non pas néanmoins en l'aimant, mais
ayant à regret et par contrainte ses richesses et ses honneurs, conformément à
l'office épiscopal, disposant humblement et raisonnablement le tout pour
l'honneur de Dieu, il aura en son âme des persécutions spirituelles aussi grande
que celle de celui (pour parler par similitude), qu'on frapperait à la tête;
dont tout le corps se dissoudrait jusqu'à la plante du pied; dont les veines et
les nerfs se rompraient; dont les os seraient fracassés, et dont la moelle
coulerait misérablement partout; et comme ce cœur semblerait être amèrement
tourmenté, si le sommet de la tête et les membres voisins étaient en telle sorte
frappés que la plante des pieds les plus éloignés en seraient blessés, de même
cette âme misérable étant près d'ouir prononcer la sentence divine, il lui
semblera qu'elle est percée et outrée amèrement d'un coup si misérable, tandis
qu'il voit que sa conscience est partout intolérablement blessée.
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