La Mère de Dieu prie pour la France avec saint Denis et autres saints, son Fils, et sur la guerre ardente entre deux rois ( de France et d'Angleterre) , qui semblaient deux bêtes farouches.
Chapitre 104

La Mère de Dieu parle à son Fils, lui disant : Beni soyez-vous, ô mon Fils ! Il est écrit que j'ai été appelée bienheureuse, d'autant que je vous avais porte au ventre, et vous répondîtes que celui-la est aussi béni, qui écouterait vos paroles et les garderait. Or, mon Fils, je suis celle-la qui ai garde de cœur vos paroles et les ai conservées dans mon sein. Je me souviens aussi d'une parole que vous avez dite a saint Pierre lorsqu'il demandait combien de fois il pardonnerait aux pécheurs, si ce serait jusques à sept fois, vous lui répondîtes : Septante-sept fois sept fois, marquant par cela que tout autant de fois que quelqu'un s'humilie avec volonté de s'amender, vous étiez autant de fois prêt et prépare à lui faire miséricorde.

Le Fils répondit : Je vous rends témoignage que mes paroles ont été enracinées en vous, comme la semence qui est jetée en une terre bien grasse, donnant de soi le fruit centième. Mais aussi vos œuvres vertueuses donnent à tous ce fruit de joie. Partant, demandez ce que vous voulez.

La Mère répondit : Je vous en prie avec saint Denis et les autres saints dont les corps est ensevelis en ce royaume de France, et dont les âmes sont au ciel, jouissant de la gloire , ayez miséricorde de ce royaume, car afin que celle qui est ici présente en esprit, entende l'importance de ceci, je parlerai comme par similitude.

Je vois comme deux bêtes grandement farouches, chacune en son espèce, d'autant que l'une désire impatiemment d'engloutir et de dévorer tout ce qu'elle peut avoir, et plus elle mange, plus elle est affamée. La deuxième bête s'efforce autant qu'elle peut de monter sur toutes les autres.

Ces bêtes ont trois maux :
1° une voix terrible et effroyable;
2° elles sont pleines d'un feu très dangereux;
3° une chacune désire de dévorer le cœur de l'autre, et l'une cherche au dos de l'autre avec ses dents, pour trouver par où entrer jusqu'au cœur, afin qu'en la mordant, elle la tue. L'autre a la bouche devant la poitrine de l'autre, voulant par là trouver par où entrer jusques au cœur. La voix de ces deux bêtes terribles est ouie de loin. Et toutes les bêtes qui s'approcheront de ces deux bêtes, ayant la bouche ouverte, seront brûlées de leur feu et mourront; mais celles qui s'approcheront d'elles la bouche fermée, seront privées et dépouillées de la laine.

Par ces deux bêtes sont entendus deux rois : celui de France et celui d"Angleterre. L'un de ces deux rois ne se rassasie jamais, d'autant que le sujet de la guerre est la cupidité insatiable. L'autre roi veut toujours monter, c'est pourquoi l'une et l'autre bête sont pleines de feu de colère, d'indignation et d cupidité. La voix de ces bêtes est telle : Recevez l'or, les cupidités et les richesses du monde, afin de ne pardonner point au sang des chrétiens. Chacune de ces bêtes désire la mort de l'autre, et partant, chacune cherche l'occasion de se nuire. Ce roi-la cherche à nuire au dos, qui désire que son injustice soit estimée justice, son iniquité équité, et veut que la justice de l'autre soit réputée injustice. L'autre épie l'occasion de nuire en son cœur, qui, sachant avoir raison, ne se soucie de fouler et nuire autrui, sans avoir compassion de leur misère; et même en sa justice, la charité n'est pas, c'est pourquoi il désire avoir entrée en sa poitrine, d'autant qu'il a plus de droit au royaume; mais il a la superbe intolérable , la colère et fureur avec la justice ; l'autre a moins de justice, c'est pourquoi il brûle de cupidité.

Les autres bêtes aussi qui viennent à ces deux bêtes, la gueule ouverte, sont celles qui viennent , touchées des mêmes cupidités insatiables. Ceux qui s'appellent rois remplissent leurs gueules d'espérances, mais au bout du compte, ne sont que traîtres. Certainement, ils jettent abondamment l'argent, et remplissent leur gueule de dons pour les animer à la guerre, mais c'est pour les y faire mourir, les biens desquels leur demeurent, et leur cœur demeurent en terre, et les vers rongent leur cœur, et les diables déchirent leurs âmes. Et de la sorte, ces deux rois trahissent les âmes que mon Fils a rachetées de son sang. Ces bêtes, qui sont privées de la terre, sont les simples qui se contentent de leurs biens, qui vont à la guerre, pensent qu'elle est juste; partant, ils sont dépouillés de la toison, c'est-à-dire, de la vie, mais leurs âmes sont reçues au ciel. Partant , ô mon Fils, ayez-en miséricorde.

Le Fils répondit : D'autant que vous, ô ma Mère, confiez toutes choses à moi, dites, Brigitte l'oyant, quelle justice il y a que les rois soient exauces.
La Mère répondit : J'entends trois voix : la première est de ces deux rois, l'un desquels pense en cette manière : Si j'avais ce qui est à moi, je ne me soucierais point de ce qui est d'autrui, et j'ai crainte de manquer de tous les deux; et à raison de cette crainte, il se trouble, savoir, il craint l'opprobre du monde. il se tourne vers moi, disant : O Marie, priez pour moi. L'autre roi pense tout autrement : Je suis las : Plut à Dieu que je fusse en mon premier état ! Et partant, lui-meme se convertit vers moi. La deuxième voix est de la communauté, qui me prie toujours pour avoir la paix tant désirée. La troisième voix est de vos élus , qui crient disant Nous ne pleurons point le corps des morts, ni les dommages de la pauvreté, mais les chutes des âmes qui se perdent tous les jours. Partant, ô Princesse du ciel, priez votre Fils, afin que les âmes soient sauves. Partant, ô mon Fils, ayez miséricorde d'elles.

Le Fils répondit : Il est écrit que l'on ouvrira à celui qui frappera, qu'on répondra à celui qui appellera, et qu'on donnera à celui qui demandera. Mais comme ceux qui frappent sont hors porte, de même ces ois sont hors la porte, d'autant que moi, qui suis la porte, ne suis pas en eux; néanmoins pour l'amour de vous, on leur ouvrira, puisqu'ils le demandent.