Un ange d'une beauté admirable apparut; auquel tous les autres anges disaient :O
mon ami, pourquoi offrez-vous à notre Dieu une noix vide?
Il répondit : Bien que vous sachiez toutes choses, néanmoins, pour l'amour de
celle qui est ici présente, je parle : Je ne me contriste pas en la présence de
Dieu, moi qui sers en telle sorte sa volonté pour l'avancement des âmes, que je
ne sors jamais de sa présence; et bien que je ne lui présente une noix de
douceur, je lui offre néanmoins quelque chose délectable, savoir, une clef d'or
très pur, un vase d'argent et une couronne de pierres précieuses. Or, la clef
signifie la contrition pure des péchés commis, qui ouvre le cœur de Dieu,
introduit les pécheurs dans le cœur de Dieu. Le vase est la divine dilection et
la charité, en laquelle Dieu repose doucement avec l'âme. La couronne est
l'obéissance ferme et joyeuse, car Dieu requiert et demande ces trois choses.
Je représente derechef à Dieu les mêmes choses qu'elle lui avait autrefois
représentés, et néanmoins, cela redondera à son honneur, à raison que la clef de
la contrition est présente, de sorte qu'elle n'ose pas même penser à elle.
Le vase de la divine dilection lui est si amer qu'elle ne le peut nullement
sentir; car comment la suavité de l'esprit lui pourrait-elle être à goût, où
elle voit être enracinée la volupté de la chair ? car deux contraires ne
s'accordent point dans un vase.
La couronne aussi de l'obéissance lui est lourde, car la propre volonté lui
plait grandement, et il lui est plus doux de suivre la volonté propre que la
volonté de Dieu.
Lors l'ange, se tournant vers Dieu, dit : Seigneur, voici le vase, la clef et la
couronne, dont cette âme s'est rendue indigne. Partant, quand le têt du pot se
cassera, on trouvera le dedans tout plein de boue, qui devrait être plein de
miel très doux. Au milieu du pot est un serpent.
Le pot est le cœur, qui, quand il crèvera par la mort, sera plein des désirs du
monde, qui sont comme de la boue. Or, le serpent est l'âme, qui devrait être
plus lumineuse que le soleil, plus fervente que la flamme : mais hélas ! elle
est faite un serpent plein de venin, qui ne nuit à pas un, si ce n'est à soi
pour sa ruine éternelle.
Or, le Seigneur parla lors à l'épouse, disant : Je vous dis par similitude en
quelle manière cet homme est fait ; il ressemble à un homme qui s'arrêterait et
à un autre qui s'approcherait de l'autre, et quand les deux visages seraient
l'un contre l'autre, celui qui marcherait dirait : Seigneur, entre vous et moi,
il n'y a qu'un petit espace. Montrez-moi la voie par laquelle je dois marcher,
car je vous vois en telle puissance qu'il n'y a point d'égal, en tant de douceur
qu'il n'y a point de comparaison, en tant de bonté que vous êtes la source et le
principe d'où sort toute bonté et sans lequel il n'y aurait rien de bon.
Il répondit : Mon ami, je vous montrerai trois sortes de voies qui tendent
néanmoins en une : si vous suivez celle-ci, elle est raboteuse au commencement,
mais à la fin elle est tout égale et frayée; elle est obscure en son entrée,
mais lumineuse en son progrès, amère pour quelque temps, mais très douce en sa
fin.
Il répondit : Montrez-moi seulement cette voie, et je la suivrai franchement,
car je vois le danger être dans le retardement, et le dommage à se fourvoyer de
cette voie, est un grand fruit, si je la suis . Partant, accomplissez mon désir
et montrez-moi la vraie voie.
Je suis donc le Créateur de toutes choses, et suis immuable et permanent de
toute éternité. Or lors celle-là s'approchait de moi quand elle m'aimait, et ne
cherchait rien tant que moi. J'ai aussi tourne ma face vers cette âme, quand
j'ai verse en elle les divines considérations et les voies du monde, et la
volupté de la chair, lui était à haine et à horreur. Je lui ai montré aussi une
voie triple, non pas par une voix charnelle, mais inspirant secrètement son âme
en même manière que j'inspire évidemment maintenant votre âme.
1° Je lui ai donc montre de m'être obéissante, à moi qui suis son Dieu, et à ses
prélats. Mais lui, il m'a répondu intérieurement, pensant en cette sorte : Non,
je n'en ferai rien, car mon prélat est supérieur est trop fâcheux; il n'a point
de charité, et partant, je ne lui puis obéir d'une volonté joyeuse.
2° Je lui ai aussi montre une deuxième voie, savoir, de fuir la volupté de la
chair et de suivre la volonté divine, de fuir la gourmandise et de suivre
l'abstinence. Ces voies-ci sont celles qui conduisent à la vraie obéissance.
Mais cette âme répondit : Je n'en ferai rien. Ma nature est faible : partant, je
dormirai et mangerai mon saoul ; je parlerai , me réjouirai, et rirai pour le
souls du monde.
3° Je lui ai montre la troisième voie, savoir, avoir une patience invincible
pour l'amour de moi, qui suis leur Dieu, car c'est celle-la qui conduit à
l'abstinence, qui induit à la sainte obéissance. Mais cette âme répondit : Je
n'en ferai rien, car je souffre les opprobres et contumelies, on dira que je
suis fou. Si je me rends méprisable en l'habit, tout le monde me remplira de
confusion; et si en mes membres il y a quelque difformité, il est nécessaire
qu'en mes œuvres et actions, il y ait quelque chose qui plaise et qui supplée à
ce défaut.
Notre-Seigneur parle en ces termes sur ce sujet : Et moi et sa conscience nous
débattons jusques à ce qu'il s'est éloigne de moi; il tourne le dos, et non la
face vers moi. Mais en quelle manière ? C'est quand il voulait obéir seulement à
ceux qui lui ont plu et agrée; et il a voulu diminuer des amitiés du monde.
Or, maintenant, le diable s'efforce de rendre cette âme aveugle et muette, se
propose de lui lier les pieds et les mains et de la précipiter dans les
fondrières de l'enfer. Or, le diable la plonge lors dans les ténèbres, quand
elle pense en cette sorte : Dieu m'a rachetée par sa passion ; il ne me perdra
point, car il est miséricordieux : il n'examine pas les péchés avec tant de
rigueur. Dieu examine aussi facilement que l'homme pèche à toute heure.
Par tout ce que dessus, il est prouve que la foi de cette âme n'est pas ferme :
partant, qu'elle cherche en mon Evangile : elle y trouvera que je cherche et
demande raison, non-seulement des paroles, mais bien plus des œuvres, car on
voit aussi que le riche n'a pas été enseveli en enfer pour avoir dérobé , mais
bien d'autant qu'il abusait de ce qu'on lui avait donne. Or lors le diable rend
cette âme muette, lorsqu'entendant les exemples de mes amis et leurs paroles,
elle dit : Personne ne pourra vivre maintenant de la sorte ; et par ceci, il est
prouve qu'il a une petite espérance , car moi , qui ai donne à mes amis la
faveur de vivre chastement et justement , j'ai la même puissance de faire que
cette âme vit de la sorte, comme si elle avait son espérance en moi. Lors le
diable lui lie les mains, quand elle aime plus quelque autre chose que moi;
quand elle s'occupe plus aux intrigues du monde qu'à mon honneur et à ma gloire.
Partant, qu'elle prenne garde que , pendant qu'elle s'occupe plus au monde qu' à
moi de n'être supplantée par le diable , car là où l'on prend moins garde, c'est
là que le diable prépare et dispose l'hameçon.
Elle aussi se lie les pieds, quand elle ne prend garde au débordement de ses affections et de ses liaisons ;
quand elle ne considère pas l'état de ses affections ; quand elle s'étudie
tellement à son utilité et à celle de son prochain et de sa chair , qu'elle
oublie l'avancement de âme . Partant , qu'elle considère ce que j'ai dit en
l'Evangile : que l'homme qui a mis la main à la charrue ne regarde point
derrière soi , et que ce qu'il a entrepris étant plus utile à son âme , il n'en
recule point . Le démon infernal met quelquefois un lien en son âme , quand il
fait pencher tellement âme au mal qu'elle pense et voudrait être élevée sur les
honneurs du siècle et persévérer en telles dispositions . Il la conduit aussi
dans les ténèbres cymmeriennes , quand elle a les pensées suivantes et qu'elle y
consent . Soit que j'ai gloire ou supplice , je ne m'en soucie guère . Malheur à
elle , si elle est plongée dans les ténèbres!
En vérité , s'il se veut convertir à moi , je lui irai néanmoins au-devant comme
un bon père . Mais comment ? En faisant tout ce qu'elle pourra ; car comme il
n'est pas permis au fils de l'homme de prendre une femme en mariage contre sa
volonté , aussi n'est-il pas loisible au Fils de la Vierge , car la volonté est
un instrument par lequel l'amour divin entre en l'âme ; car comme le meunier ,
voulant tailler les pierres , cherche en premier lieu les veines où il met les
instruments les plus déliés , et puis les plus épais , jusques à ce que la
pierre soit fendue , de même je cherche la bonne volonté , en laquelle je
répands ma grâce , après l'accroissement des œuvres et l'avancement de la
volonté ; une plus grande grâce croît en âme , jusques à ce que le cœur de
pierre croisse en cœur de chair , et le cœur de chair en cœur spirituel.
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