Le Fils de Dieu parle, disant : Vous êtes, ô mon épouse ! comme une roue qui en
suit une autre : de même vous devez suivre mes volontés. Je vous ai parlé de
quelqu’un dont l’âme est possédée. Or, maintenant, je vous dirai en quel membre
il est affligé. Je suis semblable à un homme qui dirait à son bourreau : Il y a
en votre maison trois prisons. En la première sont tous ceux-là qui sont dignes
de perdre la vie. En la deuxième sont ceux-là qui doivent être privés de quelque
membre. En la troisième ceux-là qui doivent être fouettés et écorchés de coups,
à qui le bourreau dirait : Seigneur, quelques-uns doivent être privés de la vie
; les autres doivent être mutilés et fustigés : pourquoi diffère-t-on le
jugement ? car s’ils étaient promptement jugés, leur douleur s’oublierait.
Notre-Seigneur répondit : Ce que je fais, je ne le fais pas sans sujet ni
raison, d’autant que ceux qui doivent être privés de la vie, doivent avoir leur
temps, afin que les bons, voyant leurs misères, soient rendus meilleurs, et que
les mauvais craignent et prennent garde à eux à l’avenir. Quant à ceux qui
doivent être mutilés, il est nécessaire qu’ils en aient plutôt l’affliction au
cœur, afin qu’ils se repentent des maux qu’ils ont perpétrés, et soient marris
des crimes qu’ils ont commis. Ceux aussi qui doivent être fouettés, doivent
aussi être éprouvés par les douleurs, afin que, ayant négligé de se connaître en
la joie, ils se connaissent en la douleur, et partant, qu’ils prennent d’autant
plus garde de ne tomber en mêmes crimes, qu’ils en sortent avec peine.
Or, je suis ce seigneur-là : j’ai le diable pour bourreau de ma justice, pour me
venger des mauvais selon les démérites d’un chacun, auquel est aussi donné
puissance sur l’âme de celui-ci.
Mais en quel nombre il exerce son malheur, je vous le dirai maintenant ; car
comme le corps est composé au dehors par des membres, de m^me l’âme doit
intérieurement être disposée spirituellement ; car comme le corps a les os, les
moelles et la chair, en la chair , le sang, et le sang en la chair, de même
l’âme doit avoir trois choses : la mémoire, la conscience et l’entendement ; car
il y en a quelques-uns qui entendent des choses sublimes sur les saintes
Ecritures, mais ils n’ont aucune raison : à ceux là il manque un membre. Il y en
a qui ont une conscience raisonnable, mais ils n’ont aucune intelligence.
D’autres ont bien de l’entendement, mais ils n’ont point de mémoire, et ceux-ci
sont grandement infirmes ; mais ceux-là sont saints dans leur âme, qui ont la
raison saine, la mémoire et l’intellect.
D’ailleurs le corps a trois réceptacles : le premier est le cœur, sur lequel il
y a une membrane grêle défendant que rien d’immonde n’attaque le cœur, car si
une moindre tache touchait le cœur, soudain l’homme mourrait. Le deuxième
réceptacle est l’estomac. Le troisième, ce sont les entrailles, par lesquelles
toutes les choses nuisibles sont jetées dehors.
De même l’âme doit avoir spirituellement trois réceptacles : le premier, un
désir divin et véhément comme un cœur enflammé, de sorte que l’âme ne désire
rien tant que moi qui suis son Dieu ; autrement, si quelque pernicieuse
affection, bien que petite, entre en elle, soudain elle est tachée. Le deuxième
est l’estomac, c’est-à-dire, une secrète disposition du temps et des œuvres, car
toutes les viandes sont cuites et digérées en l’estomac ; de m^me tout le temps
les pensées et les œuvres doivent être réglées et rangées selon l’ordre de la
Providence divine, avec sagesse et utilité. Le troisième réceptacle, ce sont les
entrailles, c’est-à-dire, la contrition divine, par laquelle les choses immondes
sont purifiées, et la viande de la divine sagesse est mieux goûtée.
D’ailleurs, le corps a trois choses par lesquelles il s’avance : la tête, les
mains et les pieds.
La tête marque la divine charité : car comme en la tête sont les cinq sens, de
même l’âme goûte en la divine charité tout ce qui est vu, ouï ; et tout ce qui
est commandé, elle l’accomplit très constamment. Partant, comme l’homme est
mort, étant sans tête, de même l’âme est morte, étant sans charité envers Dieu,
qui est la vie de l’âme.
Les mains de l’âme signifient la foi : car comme en la main il y a plusieurs
doigts, de même en la foi il y a plusieurs articles, bien qu’il n’y ait qu’une
seule foi : c’est pourquoi, par la foi parfaite, la divine volonté est
accomplie, et elle doit coopérer à toute bonne œuvre ; car comme par la main on
fait les oeuvres à l’extérieur, de même, par la foi accomplie, et elle, le
Saint-Esprit opère infiniment en l’âme, car la foi est le fondement de toutes
les vertus ; car là où la foi n’est pas, sont anéanties la charité et les bonnes
œuvres.
Les pieds de l’âme sont l’espérance, car par elle, l’âme va à Dieu ; car comme
le corps va par les pieds, de même l’âme s’approche de Dieu par le pas des
désirs ardents et de l’espérance. La peau aussi est sur les membres signifie la
consolation divine, qui apaise l’âme troublée. Et bien qu’il soit quelquefois
permis au diable de troubler la mémoire, quelquefois les mains et les pieds,
néanmoins Dieu défend toujours l’âme comme un lutteur, la console comme un père
pieux, la médicamente comme un médecin, afin qu’elle ne meure.
Partant , l’âme de cet homme, duquel je vous ai parlé, a été lors rendue
captive, quand elle a mérité d’être privée de ses mains, pour l’inconstance de
sa foi, car il n’avait pas une foi droite. Mais d’autant que maintenant le temps
de faire miséricorde est arrivé, pour trois raisons :
1° en considération de mon amour ;
2° à raison des prières de mes serviteurs élus ;
3 ° qu’il fasse trois autres choses :
1° qu’il restitue ce qu’il a mal acquis ;
2° qu’il tache d’avoir de la cour de Rome l’absolution de la désobéissance ;
3° qu’il ne reçoive point le corps de Notre-Seigneur avant d’être absous.
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