Notre-Seigneur parle , disant : Vous admirez que l’ami de Dieu , qui devrait
être honoré , est affligé , et que l’ennemi de Dieu est honoré , que vous
pensiez devoir être fait comme il avait été dit en l’autre vision . Je vous
réponds : Mes paroles doivent être entendues spirituellement et corporellement ,
car la tribulation du monde n’est autre chose qu’une préparation et élévation à
la couronne , et la prospérité du monde n’est autre chose à l’homme qui abuse de
la grâce , qu’une descente à la perdition . Être donc affligé au monde est une
vraie exaltation à la vie , et prospérer au monde est , pour un homme injuste ,
un descendant en enfer . Partant , pour instruire votre patience aux parole de
Dieu , je vous rapporterai un exemple.
Supposons qu’il y eût une mère qui eût deux enfants , dont l’un fût né dans les
obscurités d’une prison , ne sachant ni n’ayant ouï parler que des ténèbres et
du lait de sa mère , et que l’autre fût né en une pauvre loge , ayant de bonnes
viandes pour nourriture , repos en son lit et service d’une servante.
Or , cette mère dit à celui qui était né en prison : Mon Fils , si vous voulez
sortir des ténèbres , vous aurez une viande fort délicate , un lit mollet et un
lieu plus assuré . L’enfant , entendant cela , sortirait soudain , car si la
mère lui eût promis de plus grandes choses , comme chevaux courants , maisons
d’ivoire , ou une ample famille , il ne l’eût pas cru , car il ne connaissait
rien que les ténèbres et le lait de sa mère.
De même en fait Dieu : il promet souvent de petites choses , par lesquelles il
entend des choses éminentes , afin que l’homme , par les choses temporelles ,
apprenne à considérer les choses éternelles.
La mère dit à l’autre fils : Mon fils , quelle utilité avez-vous de demeurer en
cette vile loge ? Oyez et écoutez donc mon conseil , et il vous profitera . Je
sais deux cités : en la première , il y a de la joie pour ceux qui y habitent ,
mais joie indicible et éternelle , et un honneur sans fin . En la deuxième , il
y a un grand exercice pour ceux qui combattent , où tous ceux qui combattent
deviennent rois , et tous ceux qui y sont surmontent et triomphent . Son enfant
, entendant cela , est sorti pour se présenter à la lice ; et étant sorti , il a
dit à sa mère : J’ai vu , en cette lice , un grand et admirable jeu: les uns y
tombaient et y étaient foulés aux pieds ; les autres y étaient dépouillés et
mortifiés , et néanmoins , tous se taisaient , tous jouaient , et aucun ne
levait la tête ni la main contre ceux qui étaient prosternés.
La mère répondit : Cette cité que vous avez vue , ce n’est que les faubourgs de
la cité de gloire , car Dieu éprouve en ce faubourg ceux qui y sont pour entrer
après en cité de gloire . Et ceux qu’il verra plus vigilants au combat , il les
couronnera en la gloire avec plus d’éminence et de grandeur . C’est pourquoi
ceux qui résident en ce faubourg , doivent être éprouvés et couronnés un jour en
la gloire . Quand à ceux que vous avez vus prosternés être dépouillés , fouettés
, et qui ne disent mot , c’est parce que nos habits sont tachés et souillés des
ténèbres de notre vile loge , où il faut un grand combat et labeur afin qu’ils
soient bien nettoyés.
L’enfant répondit : C’est une chose dure d’être foulé aux pieds et ne dire mot ;
selon mon jugement , il me vaut mieux retourner à ma vile loge.
La mère repartit : Si vous demeurez en notre vile loge , il sortira de nos
ténèbres et puanteurs des vermisseaux et des serpents , des sifflements desquels
votre ouï aura horreur , de la morsure desquels votre vertu sera toute brisée ,
et vous aimerez mieux n’être pas né que de demeurer avec eux.
Cet enfant , oyant ceci , et désirant le bien corporel , que néanmoins la mère
avait entendu spirituellement , fut paisible en son cœur , et il s’efforçait
tous les jours d’acquérir la couronne.
De même en fait Dieu , car souvent il promet et donne des choses temporelles ,
par lesquelles il entend des choses spirituelles , afin que l’esprit s’excite ,
par les présents reçus , à la ferveur divine , et que , par l’intelligence
spirituelle , il s’humilie , afin qu’il ne présume de soi-même , comme Dieu fit
à Israël : car en premier lieu , il lui promit et lui donna des richesses
temporelles , et fit avec eux de grandes merveilles , afin que , par eux , ils
fussent instruits aux choses spirituelles.
Après , la connaissance de la Déité étant plus grande en leur esprit , il leur
disait avec les prophètes des paroles plus obscures et plus difficiles à
entendre , entremêlant quelques choses de consolation et quelques choses
joyeuses , savoir : il promit au peuple le retour en sa patrie , la paix
perpétuelle , et de rétablir et réédifier tout ce qui était ruiné . Et bien que
le peuple entendît tout ceci charnellement et le voulût aussi posséder , Dieu
néanmoins avait ordonné et disposé quelques choses selon la chair, et d’autres
selon l’esprit.
Mais vous me demanderez pourquoi Dieu , à qui toutes les heures et tous les
moments sont connus , n’a pas prédit en détail toutes choses , et à quelle heure
ou pourquoi il a dit quelque choses et a seulement marqué quelques autres . Je
vous réponds : Israël était en la chair et désirait tout selon la chair , et ne
pouvais connaître ni atteindre les choses invisibles que par les visibles .
C’est pourquoi il plut à Dieu d’instruire son peuple en plusieurs manières ,
afin que ceux qui croyaient aux promesses de Dieu fussent plus éminemment
couronnés à raison de leur foi ; afin que avançant vers le bien , ils fussent
plus fervents ; afin que les lâches et les paresseux fussent excités et allumés
avec plus de ferveur d’amour envers Dieu ; afin que les transgresseurs
cessassent d’offenser Dieu si librement ; afin que les affligés tolérassent
leurs misères avec plus de patience ; afin que ceux qui travaillent
subsistassent avec plus de plaisir , et afin que les attendants par les
promesses obscures et cachées , fussent couronnés plus sublimement et plus
glorieusement.
Car si Dieu eût seulement promis aux hommes charnels ce qui était seulement
spirituel , tous se fussent dégoûtés de l’amour de ce qui est céleste . Que s’il
leur eût seulement promis ce qui était charnel , qu’elle différence il y eût eu
alors entre l’homme et les juments ? Mais Dieu , pieux et sage, a donné à
l’homme ce qui est corporel , afin qu’il gouvernât son corps avec modération et
équité , afin qu’il désirât ce qui est céleste : il lui a manifesté ses
bienfaits et ses miracles signalés , et afin qu’il eût peur du péché , il lui a
manifesté ses jugements terribles et leur a envoyé des messages par les anges
mauvais , afin que celui qui donne effet et lumière aux promesses , et celui qui
est l’auteur de la sapience , fût attendu et désiré , et c’est aussi pour cela
qu’il mêlait se qui était obscur et douteux avec quelques consolations.
Dieu juge les jugements spirituels aujourd’hui en même manière par des
similitudes corporelles ; et parlant d’un honneur corporel , il entend un
honneur spirituel , afin qu’on attribut à Dieu toute sorte de doctrine . Car
qu’est l’honneur du monde sinon vent , labeur et diminution de la consolation
divine ? Qu’est-ce que tribulation , sinon une préparation et disposition aux
vertus ? Donc , promettre au juste l’honneur du monde , n’est autre chose que le
priver des commodités spirituelles ; et lui promettre des tribulations du monde
, qu’est-ce autre chose qu’un antidote et un médicament à une grande infirmité?
Partant , ô ma fille ! les paroles de Dieu se peuvent entendre en plusieurs
manières , et néanmoins , pour cela , il ne faut pas considérer quelque
changement en Dieu , mais bien l’immobilité de son admirable et formidable
sagesse . Car comme , dans les prophètes , j’ai dit plusieurs choses
corporellement et qui s’accomplissaient corporellement , j’ai dit aussi
plusieurs choses corporellement , qui s’entendaient et qui s’accomplissaient
spirituellement . J’en fais de même maintenant , et quand cela arrive , je vous
en montrerai la cause.
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