Apres tout ceci, l'épouse voyait comme deux balances posées près de la terre,
dont les sommités et cordelettes allaient jusques aux nuées.
Ces petits cercles pénétraient le ciel. En la première balance, il y avait un
poisson, dont les écailles étaient aigues comme des rasoirs : sa vue était comme
celle d'un basilic; sa bouche comme un alicor qui verse du venin; ses oreilles
comme des lames de fer. En l'autre balance, il y avait un animal dont la peau
était comme un caillou; il avait une grande bouche qui vomissait des flammes
ardentes.
Ses paupières étaient comme des glaives d'un fort acier; ses oreilles étaient si
dures qu'elles jetaient des sagettes acérées, comme un arc bien tendu.
Apres ceci, apparurent trois troupes de peuple en terre : la première était
petite, la deuxième moindre; la troisième très petite, auxquelles éclata une
voix du ciel, disant : O mes amis, je désire grandement le cœur de cet animal
admirable, s'il se trouvait quelqu'un qui me le présentât. Je désire aussi ,
avec très grande ferveur le sang de ce poisson, pourvu qu'il se trouvât un homme
qui me l'apportât.
Une voix de la troupe répondit, comme de la bouche de tous : Oyez, dit-elle, O
notre Créateur, comment nous pourrons vous présenter le cœur d’un si grand animal, dont la peau
est plus dure que les cailloux, Si nous voulons l’approcher, sa bouche nous
enflammera de ses feux. Si nous voyons ses yeux, nous serons outrés des
scintilles et sagettes qu’il envoie. Et si peut-être il y avait quelque
espérance d’avoir cet animal, on pourrait aussi prendre ce poisson, dont les
écailles, les ailes et les plumes sont plus aiguës que des pointes ; dont les
yeux éteignent notre vue ; dont la bouche épand en nous un venin mortifère.
Une voix répondit du ciel, disant : O mes amis ! Cet animal et ce poisson vous
semblent invincibles, mais en moi cela est facile.
Quiconque donc cherchera les voies pour abattre l’animal, je verserai du ciel la
sapience pour le faire et la force pour l’exécuter. Quiconque est disposé à
mourir pour moi, moi-même je me donnerai à lui en récompense.
La première troupe répondit : O Père souverain, vous êtes l’auteur de tout bien,
et nous sommes vos créatures ; nous vous donnerons franchement notre cœur pour
votre honneur et gloire ; tout le reste
qui est hors de notre cœur, nous en disposerons pour la sustentation et
réfection de notre corps. Et d’autant que la mort nous semble dure, l’infirmité
de la chair onéreuse, notre science petite, nous
désirons être gouvernés intérieurement et extérieurement, et recevez en bonne
part ce que nous vous offrons, et rendez-nous en récompense ce qu’il vous
plaira.
La deuxième troupe répondit à cette voix : nous connaissons nos infirmités, et
nous nous attendons ainsi aux vanités et variétés du monde. C’est pourquoi
librement nous vous donnerons votre coeur, et nous laisserons notre volonté dans
les mains d’autrui, d’autant que nous aimons plus obéir que posséder tout le
monde ni tant soit peu de monde.
La troisième troupe dit : Oyez, ô Seigneur, qui désirez le cœur de l’animal et
avez soif du sang du poisson, nous vous donnerons franchement notre cœur, et
nous sommes prêts à mourir pour vous.
Donnez-nous la sagesse, et nous chercherons la voie pour trouver le cœur de
l’animal.
Après ceci, résonna une voix du ciel, disant : O ami, si vous désirez trouver le
cœur de l’animal, percez vos mains au milieu avec une tanière fort pointue ;
prenez ensuite des paupières de la
baleine, et collez-les fortement aux vôtres ; prenez aussi une lame d’acier, et
appliquez-la à votre cœur, de sorte que la longueur et la largeur de la lame
soient proches de votre cœur. Bouchez aussi
l’ouverture des narines, attirant les respires vers vous, et de la sorte, ayant
bouché la bouche et enfermé le respire allez hardiment contre la cruauté de
l’animal ; et quand vous serez à l’animal,
prenez de vos deux mains ses deux oreilles, dont les sagettes ne vous nuiront
pas, mais passeront par les trous de vos deux mains. D’ailleurs, allez au-devant
de l’animal la bouche close, et l’approchant, soufflez sur lui tout votre
respire, à l’arrivée duquel ses flammes ne vous nuiront pas, mais retourneront
sur le même animal et le brûleront.
Remarquez aussi diligemment que les pointes des couteaux sortiront des yeux de
l’animal, auxquels vous conjoindrez vos yeux munis des paupières de la baleine ;
de la forte et mutuelle conjonction d’iceux, il arrivera, ou qu’ils se
ploieront, ou bien qu’ils rentreront dans l’animal jusques à son cœur.
Considérez aussi attentivement le battement du cœur de l’animal, et la enfoncez
puissamment la pointe de votre acier, et outre perçant la peau plus dure qu’un
caillou, si alors sa peau est déchirée, sachez que l’animal mourra bientôt, et
son cœur sera à moi. Que s‘il pèse un talent, j’en donnerai cent à celui qui me
l’apportera. Que si sa peau n’est percée, mais que l’animal nuise à l’homme, je
le guérirai, et s’il est mort, je le ressusciterai.
Or, celui qui me voudra présenter le poisson, qu’il aille au rivage, ayant un
rets en ses mains, qui sont fait, non de fil, mais d’airain fort. Qu’il entre
donc en l’eau, mais non pas plus avant que jusques aux genoux, de crainte que
les ondes émues par les tempêtes ne le noient, et qu’il arrête son pied en lieu
ferme et où est le sable sans boue ; après qu’il ferme un de ses yeux et qu’il
se tourne vers le poisson, la vue duquel, qui est venimeuse comme celle du
basilic, ne lui fera alors aucun mal.
Qu’il prenne aussi un bouclier d’acier en
son bras, et lors il ne lui nuira point par sa morsure serpentine. Tout soudain
après, qu’il étende son rets sur lui si puissamment et si prudemment que le
poisson ne le puisse rompre ou dépecer par ses rasoirs, ni s’en débarrasser par
aucune force ni émotion ; que s’il sent que le poisson y est embrouillé et
enveloppé, qu’il tire en haut les rets. Que s’il le peut tenir dix heures hors
de l’eau, ce poisson mourra ; et l’apportant au rivage, qu’il le regarde, et il
verra qu’il n’avait point de bouche ; qu’il l’ouvre au dos, où il doit y avoir
plus de sang, et le présente de la sorte à son Seigneur. Or, si le poisson
s’évadait ou nageait à l’autre rivage, nuisant à l’homme par son venin, je puis
guérir celui qui en est infecté, et il n’aura pas moindre récompense du sang du
poisson que du cœur de l’animal.
Dieu parle derechef : Ces balances signifient pardon, patience.
Attendez et faites miséricorde. Comme quelqu’un, voyant l’injustice d’un autre,
l’avertirait afin qu’il cessât de mal faire, de même, moi, Dieu et créateur de
toutes choses, je fais comme une balance,
tantôt descendant vers l’homme, l’avertissant qu’il se retire du péché, lui
pardonnant et l’éprouvant par des tribulations ; quelquefois montant, illuminant
l’esprit, enflammant le cœur des hommes, et les visitant par des grâces
extraordinaires.
Les lies de la balance qui sont en haut, signifient les nuées qui montent,
c’est-à-dire, que moi, Dieu, le soutien de tous, illumine et visite de mes
faveurs tant des Gentils que les chrétiens, tant les amis que les ennemis, si
toutefois il s’en trouvait quelques-uns qui voulussent répondre à mes grâces, en
retirant leur volonté et leurs affections du mal.
L’animal signifie ceux qui ont reçu le baptême, et qui, parvenus aux ans de
discrétion, n’imitent pas les paroles de l’Évangile, desquels le cœur et la
bouche penchent toujours vers la terre, et n’ont jamais considéré les choses
éternelles et spirituelles.
Le poisson signifie les Gentils, agités et vagabonds par les tempêtes de la
concupiscence, desquels le sang, c’est-à-dire, la foi est petite et l’esprit
petit vers Dieu. C’est pourquoi je désire le cœur de l’animal et le sang du
poisson, si toutefois se trouvait quelqu’un qui me les daignât présenter.
Les trois troupes sont mes amis : les premiers, qui usent et se servent du monde
raisonnablement ; les seconds, qui ont laisse tout ce qu’ils avaient, obéissant
humblement ; les troisièmes, qui sont
disposés à mourir pour l’amour de Dieu.
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