Pour le jour de saint Jérôme.
Béni soyez-vous , mon Dieu , qui êtes un et trine , trine en personnes et un en
nature ! Vous êtes la même bonté et la même sagesse , la même beauté et
puissance , la même justice et vérité , par lesquelles toutes choses sont ,
vivent et subsistent . Vous êtes semblable à la fleur qui croît singulièrement
dans les champs ; tous ceux qui s’en approchent , en sentent l’odeur à l’odorat
, l’allègement au cerveau , le plaisir aux yeux , la force en tout le reste des
membres : de même tous ceux qui s’approchent de vous sont rendu beaux par le
délaissement du péché , sont faits plus sage , suivant , non par la volonté de
la chair, mais la vôtre ; ils sont fait plus justes , suivant l’utilité de l’âme
et l’honneur de Dieu.
Partant , ô Dieu très pieux ! faites-moi la grâce d’aimer ce qui vous plaît , de
résister courageusement aux tentations , de mépriser toutes les choses mondaines
, et de me souvenir de vous incessamment.
La Mère répondit : Saint Jérôme vous a mérité cette salutation , lui qui , se
retirant de la fausse sagesse , a trouvé la vraie ; qui , méprisant l’honneur
terrestre , a gagné Dieu même . Heureux un tel Jérôme ! Heureux ceux qui imitent
sa doctrine et sa vie ! Il a été le protecteur des veuves , le miroir des
avançants et le docteur de toute pureté . Mais dites-moi , ma fille , qu’est-ce
qui sollicite et touche votre cœur?
Elle répondit : Une pensée me vient souvent en la mémoire , qui me dit : Si vous
êtes bonne , votre bonté vous suffit . Que vous importe de promouvoir les autres
, d’enseigner les meilleurs , qui ne sont ni de votre ordre ni de votre
condition ? Cette pensée obscurcit tellement mon esprit qu’il s’oublie soi- même
et se refroidit entièrement de la charité.
La Mère répondit : Cette pensée en éloigne plusieurs de Dieu , car le diable
empêche les bons qu’ils ne parlent aux mauvais , de crainte qu’ils ne les
convertissent . Il empêche aussi qu’on ne parle aux bons , de peur qu’ils ne
soient élevés à un plus haut degré de perfection , car les bons , oyant la
doctrine des bons , sont poussés et attirés à plus grande perfection et à plus
grands mérites.
Comme cet eunuque , lisant Isaïe , tomba aux peines petites de l’enfer , saint
Philipe , lui allant au-devant , lui enseigna le chemin abrégé pour aller au
ciel , et l’éleva à un lieu plus heureux , de même saint Pierre fut envoyé à
Cornélius . Si Cornélius fût auparavant mort , il fût arrivé , à cause de sa
foi, au réfrigère , mais saint Pierre , venant , le mit à la porte de vie . De
même saint Paul vint à saint Denis , et le conduisit aux récompenses
bienheureuses.
Donc , les amis de Dieu ne se doivent rendre lâches au service de Dieu , mais
travailler afin que le méchant devienne bon , et que le bon parvienne à la
perfection , car quiconque aurait une bonne volonté de mettre dans les oreilles
de tous les passants que Jésus-Christ est vrai Fils de Dieu , et s’efforcerait
autant qu’il pourrait de convertir les autres , bien qu’aucun ou bien peu se
convertissent , néanmoins , en obtiendrait autant de récompense que si tous
s’étaient convertis.
Comme je vous dis par exemple : si deux mercenaires , par
le commandement de leur maître , avaient foui une montagne fort dure , que l’un
trouvât de l’or tout épuré et que l’autre ne trouvât rien , ces deux , à raison
de leur labeur et bonne volonté , seraient dignes d’une récompense égale ; comme
saint Paul , qui en a converti plus que les autres apôtres , qui en
convertissaient peu , tous néanmoins en avaient une même volonté et désir ; mais
l’ordre , la disposition occulte et cachée en ce fait , le permettait autrement
: c’est pourquoi il ne faut pas cesser de prêcher , bien que peu ou pas un ne
reçoive la parole divine , car comme l’épine conserve la rose et l’âme porte son
maître , de même le diable , épine du péché , profite aux élus par les
tribulations , comme les épines conservent la rose , afin que , par la
présomption intérieure , ils ne s’évaporent en vanité , et comme un âne , il le
porte aux consolations divines et aux plus grandes récompenses.
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