Mon révérend Seigneur , je vous prie qu’entre autre choses , on avertisse le
pape , qu’on lui dise combien faible est l’état de Rome , qui était autrefois
heureux corporellement et spirituellement , mais maintenant malheureux en ces
deux manières : corporellement , d’autant que ses princes séculiers , qui
devaient être sa défense et sa protection , lui sont des larrons très cruels .
C’est pourquoi plusieurs de leurs maisons sont détruites , plusieurs églises
entièrement ruinées et désolées , dans lesquelles il y a plusieurs ossements de
saints qui reluisent en plusieurs miracles , les âmes desquels sont éminemment
couronnées au royaume de Dieu.
Leurs temples , aussi tout découverts et dont
les murailles sont abattues , sont changés en décharges des hommes des champs et
des bêtes.
Spirituellement , cette ville est malheureuse , d’autant que plusieurs
constitutions et ordonnances , que plusieurs papes inspirés du Saint-esprit
avaient faites , sont maintenant effacées de l’Eglise , au lieu desquelles , ô
malheur trop funeste ! plusieurs nouveaux abus se sont introduit par la
suggestion du diable , contre la révérence de Dieu et le salut des âmes.
La constitution de l’Eglise était que les clercs allassent aux ordres sacrés ,
ayant une vie dévote et bienheureuse , servant Dieu incessamment et dévotement ,
montrant aux autres par bonne œuvres la voie du paradis ; et à tels on donnait
les rentes de l’Eglise . Mais maintenant , un abus est notre Eglise , que les
laïques ont les biens de l’Eglise , qui ne se marient point , pour porter le nom
de chanoine , mais impudemment ; ils ont le jours des concubines en leurs
maisons , et la nuit en leurs lits , disant audacieusement : Il ne nous est pas
loisible d’avoir des femmes , car nous sommes chanoines.
Autrefois aussi , les prêtres , diacres et sous-diacres avaient grandement en
horreur l’infamie d’une vie immonde . Or , maintenant , quelques-uns d’iceux ,
au lieu d’en rougir , en tirent vanité . Partant, telle sorte de prêtres doivent
plus justement être appelés lions du diable , que clercs ordonnés de Dieu
souverain.
Les saint Pères , comme saint Benoît et autres , ont fait des règles par
licence des souverains pontifes , bâtissant des monastères , où les abbés avait
coutume de demeurer avec leurs frères , célébrant dévotement les heures du jour
et de la nuit , informant et instruisant soigneusement les moines à bien vivre .
Lors certainement , il leur était à joie et à contentement de visiter leurs
monastères , quand , jour et nuit , les moines rendaient à Dieu , en chantant ,
l’honneur et la gloire . Les criminels se corrigeaient par l’éclat de leur bonne
vie , et les bons étaient affermis en leurs résolutions par la divine doctrine
des prélats , voire les âmes qui étaient en purgatoire en étaient affranchies
par leur dévotes prières.
Lors le moine qui observait très bien sa règle , était en un grand honneur
devant Dieu et devant les hommes , et celui qui ne l’observait pas , savait
qu’il encourait le dommage et le scandale de tous . Lors , un chacun pouvait
discerner par l’habit quel moine il était.
Mais contre cette honnête coutume, est né en plusieurs un abus détestable , car les abbés demeurent souvent en
leurs châteaux , dans les villes , où il leur plaît . C’est pourquoi il est
sanglant et douloureux de visiter maintenant les monastères , car on voit si peu
de moines au chœur , à l’heure où il faut dire les heures , ou voire quelquefois
aucun ne s’y trouve , où aussi on lit si peu , et souvent on n’y chante rien ,
et on demeure plusieurs jours sans y dire la sainte messe. Les bons sont
molestés et moqués de la mauvaise volonté de ces religieux , et les méchants se
rendent pires de leur mauvaise conversation.
Il faut aussi craindre que peu d’âmes reçoivent de leur prières du soulagement dans leurs peines .Il y a aussi
dans la ville plusieurs habitations de moines , et chacun a sa maison pour soi ;
et quelques-uns baisent un enfant à l’arrivée de leurs amis , disant : Voici mon
fils.
A grand’peine aussi peut-on connaître un moine par l’habit , car la tunique ,
qui autrefois tombait sur les pieds , maintenant couvre à peine les genoux ;
leurs manches , qui étaient autrefois grande et larges , sont maintenant
étroites et tirées . On porte maintenant un glaive au lieu de tablettes et d’un
style , et à grand ‘peine peut-on trouver maintenant un habit par lequel on
puisse connaître un moine, hormis le scapulaire , qu’on cache souvent , afin
qu’on ne le voie , comme si c’était scandale de porter un habit monacal.
Quelques autres n’ont point de honte de porter une cuirasse et des armes sous
leur tunique , afin qu’après le crépuscule , ils puissent faire ce qui leur
plaît.
Il y a aussi de grands saints qui ont abandonné de grandes richesses ,
embrassant une règle avec la pauvreté , qui rejetèrent toute sorte de cupidités
, ne voulant avoir rien de propre.
Ils abhorraient toute sorte de superbe et de
pompe du monde , se couvrant de pauvres habits , détestant et ayant en
abomination la concupiscence de la chair , c’est pourquoi ils ont vécu purement
. Or , ceux-ci et leur frères sont appelés mondains , les règles desquels les
souverains pontifes ont confirmées , se réjouissant que quelques-uns voulussent
embrasser une telle manière de vivre pour l’honneur de Dieu et le salut des âmes
; mais maintenant , ce leur est un grand regret au cœur de voir leurs règles
changées en des abus détestables ,et n’être aucunement gardées , comme celles de
saint Augustin , de saint Dominique et de saint François , qu’ils avaient
dictées par l’Esprit de Dieu, et que plusieurs hommes riches et nobles avaient
exactement gardées.
Car de fait , on trouve maintenant plusieurs hommes qui
sont appelés riches , qui sont aussi pauvres dans leurs coffres que ceux qui ont
fait vœu de pauvreté , comme la renommée en est partout . C’est pourquoi
plusieurs d’entre eux ont de propre ce que leurs règles ont défendu , se
réjouissant plus de leur propre exécrable que de la sainte et glorieuse pauvreté
. Ils se glorifient aussi , d’autant que leurs habits sont d’étoffes aussi
riches et précieuses que ceux des évêques riches .D’ailleurs , il y a des
monastères érigés par saint Grégoire et par d’autres saints , à cette fin et
intention que les femmes y seraient tellement recluses qu’à peine on les
pourrait voir en toute leur vie.
Or , maintenant , il y a des abus si détestables , en ce qu’on donne
indifféremment l’entrée à clercs laïques et aux sœurs auxquelles on se plaît ;
voire leurs portes sont même ouvertes la nuit . Et partant ces lieux sont
maintenant plus semblables aux lieux infâmes qu’à des monastères , à des
cloîtres saints et sacrés.
Il y avait aussi une autre constitution en l’Eglise , qui défendait qu’aucun ne
prendrait de l’argent pour ouïr les confessions , mais seulement des lettres
qu’on leur dépêchait , comme il était juste d’en recevoir , quand le pénitencier
en avait extrêmement besoin . Mais entre ceux-ci un autre abus s’est glissé :
c’est que les riches , ayant fait leur confession , offrent et donnent ce qui
leur plaît . Mais avant la confession , on pactise avec les pauvres . Et
certainement , les pénitenciers n’ont point honte de mettre leur argent en leur
bourse pendant qu’ils absolvent.
Il a été ordonné en l’Eglise ,
1° que chaque personne laïque se confesserait une fois l’an , et pour le moins ,
recevrait le corps de Notre-Seigneur , car les clercs et les cloîtrés le font
plus souvent en l’année.
2° Il fut ordonné que ceux qui ne pouvaient être continents se marieraient ;
3° que tous les chrétiens jeûneraient au carême , les Quatre-Temps , et à toutes
les vigiles des fêtes , ce qui est assez connu d’un chacun , excepté de ceux qui
sont atteints d’une grande infirmité ou qui sont en de grandes douleurs .
4° Il fut ordonné que chacun s’abstiendrait , les jours de fête , de tout labeur
mondain et manuel.
5° Il fut aussi ordonné qu’aucun ne gagnerait par usure.
Mais au lieu de ces cinq ordonnances très bonnes , se sont glissés cinq autres
abus déshonnêtes et grandement nuisibles :
1° il y a à Rome cent personnes parvenues à l’âge de discrétion , qui meurent
sans jamais avoir fait leur confession , et n’avoir non plus reçu le corps de
Notre-Seigneur Jésus-Christ que de vrais idolâtres . J’en excepte les prêtres et
religieux , et quelques femmes de dévotion , qui se confessent et communient
souvent.
2° Plusieurs prennent en mariage des femmes légitimes . Que s’ils ont des
discussions avec elles , ils les laissent autant qu’il leur plaît , sans avoir
recours à la puissance ecclésiastique , prennent pour femmes des adultères , les
ayant en honneur et les aimant . Quelques autres n’ont point horreur d’avoir en
leurs maisons l’adultère avec la femme légitime , se réjouissant de les voir en
même maison.
3° Plusieurs personnes saines mangent de la viande dans le carême , et parmi une
grande multitude , il y en a peu qui soient contentes d’un seul repas le jour .
On en trouve aussi d’autre qui , le jour , s’abstiennent de la viande , mange
des viandes de carême , mais qui , la nuit , en quelque logis , se saoulent de
chair . Certainement , les clercs et les laïques font cela , et sont semblables
aux Sarrasins, qui jeûnent le jour , et qui , la nuit , se remplissent de chair.
4° Bien que quelques ouvriers ne travaillent point les jours de fête ,
néanmoins , les riches en tels jours envoient leurs valets travailler à leurs
vignes , labourer aux champs , couper du bois en leurs forêts et l’apporter en
leurs maisons , et de la sorte , les pauvres valets n’ont pas plus de repos les
fêtes que les autres jours.
5° Les chrétiens exercent l’usure comme les Juifs , et en vérité , les usuriers
chrétiens sont plus insatiables et plus cupides que les Juifs!
Il a été encore ordonné dans l’Eglise que ceux qui auraient introduit tels abus
seraient anathématisés. Il y en a plusieurs qui abhorrent autant la malédiction
que la bénédiction , et bien qu’ils sachent qu’ils sont excommuniés publiquement
, n’évitent point de rentrer dans l’Eglise ni de parler avec les hommes , car il
y a peu de prêtres qui défendent l’entrée de l’Eglise aux excommuniés ; peu
aussi ont en abomination la conversation des excommuniés , s’ils sont conjoints
par quelques liens d’amitié ; ils ne refusent pas non plus la sépulture aux
excommuniés , pourvu qu’ils soient riches.
N’admirez dons point , mon Seigneur , si j’ai appelé malheureuse la ville de
Rome , à raison de tels abus , et de plusieurs autres choses contraires aux
saints décrets de l’Eglise . C’est pourquoi il faut craindre que la foi
catholique dépérira bientôt , si ce n’est que quelqu’un arrive qui aime Dieu
par-dessus toutes choses , et son prochain comme soi même , abolissant tous les
abus avec une foi non feinte . Afin que le clergé aime Dieu de tout son cœur ,
abhorrant les coutumes pernicieuses , compatissez donc avec l’Eglise et le
clergé , qui , à cause de l’absence du pape , ont été comme des orphelins , et
néanmoins ont défendu en amour d’enfants le siège de leur père , et ont sagement
résisté aux traités , persévérant en la défense , au milieu de plusieurs
tribulations.
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