Un homme très cruel apparut à l’épouse, pendant l’élévation du corps de
Notre-Seigneur Jésus-Christ, et lui dit : Croyez-vous, folle que vous êtes ! que
le corps de Jésus-Christ soit tous ce gâteau de pain?
Il serait consumé il y a longtemps, quand même il serait aussi grand que la
montagne des montagnes. En vérité, il n’y a aucun des sages Juifs auxquels Dieu
a donné la sagesse, qui le croie, ni aussi personne ne croira que Dieu se laisse
toucher et manier par un prêtre qui a le cœur adonné à la chair et plongé dans
les voluptés charnelles. Et afin que vous éprouviez ce que je dis, je vous
déclare que ce prêtre est à moi, lequel j’emporterai quand je voudrai, voire en
un instant.
Lors soudain l’ange, apparaissant, dit : O fille, ne répondez follement selon sa
folie, car celui qui vous est apparu est le père du mensonge, mais
préparez-vous, car votre époux approche.
Jésus-Christ, l’époux, venant, dit au diable : Pourquoi troubles-tu ma fille et
mon épouse ? Je l’appelle fille, d’autant que je l’ai créée, et épouse, d’autant
que je l’ai rachetée et l’ai unie à moi-même par amour.
Le démon repartit : Je parle, car il m’est permis de la refroidir en votre
service.
Notre-Seigneur repartit : C’est ce qu’elle a expérimenté cette nuit, quand tu
lui as pressé les yeux et les autres parties du corps ; et tu eusses fait
davantage, si cela t’eût été permis. Mais toutes les fois qu’elle résiste, la
couronne lui est redoublée. Néanmoins, ô diable ! d’autant que tu as dit qu’il y
a longtemps que je serais mangé, bien que je fusse une montagne, dis
intelligiblement, ma fille l’entendant ( puisqu’elle est corporelle) :
L’Écriture dit que, le peuple se perdant, on érigea le serpent d’airain, lequel
étant vu, tous ceux qui étaient mordus du serpent étaient guéris. Par quelle
vertu étaient-ils guéris ? Est-ce, ou par la force de l’airain, ou par l’image
du serpent, ou par la bonté de Moïse, ou par la vertu divine?
Le diable répondit : Cette vertu de guérir n’est d’autre que de la vertu propre
de Dieu, et de la foi du peuple, qui obéissait, qui croyait si fermement que
Dieu, qui avait fait éclore du néant toutes choses, pouvait aussi faire tout ce
qui n’avait point été.
Dieu dit derechef : Dis, démon : quand la verge a été faite serpent, cela a-t-il
été fait par le commandement de Moïse ou de Dieu, ou bien parce que Moïse était
saint, ou parce que Dieu l’avait dit ainsi?
Le démon repartit : Qu’était Moïse, sinon un homme infirme de foi, mais juste
par la grâce de Dieu, à la parole duquel, par le commandement de Dieu, la verge
a été faite serpent, Dieu commandant vraiment, et Moïse obéissent comme
instrument ; car avant le commandement, la verge était verge, et Dieu
commandant, la verge a été faite serpent, de sorte que Moïse même en avait
peur.
Lors Notre-Seigneur dit à l’épouse qui voyait ceci : De même en est-il
maintenant à l’autel, car avant les paroles sacramentelles, le pain mis à
l’autel est pain ; mais ces paroles étant dites : CECI EST MON CORPS, il est
fait mon corps, lequel prennent et touchent aussi bien les bons que les mauvais
prêtres, aussi bien un que mille, en même vérité, mais non pas en même
affection, d’autant que le prêtre bon le reçoit pour la vie éternelle, le
mauvais pour son jugement.
Quant à ce que le démon dit que Dieu est sali par l’immondicité de celui qui
l’offre, cela est véritablement faux, car comme si un lépreux donnait les clefs
à son maître, ou de l’infirme offrait des confections d’herbes très fortes, cela
ne nuirait en rien à celui à qui elles sont administrées, puisque la même vertu
est en elles, par qui que ce soit qu’elles soient administrées, de même Dieu
n’est pas mauvais de la malice du mauvais prêtre, ni n’est pas meilleur de la
bonté d’un bon prêtre, car il est immuable et est toujours le même, Or, quant à
ce que le démon dit que ce prêtre mourra bientôt, il connaît cela par la
subtilité de sa nature et des causes extérieures, néanmoins, il ne peut
l’enlever que par ma permission.
En vérité, ce prêtre est du diable, s’il ne se corrige, et cela à raison de
trois choses, car le diable dit qu’il a les membres puants et le cœur charnel,
d’autant qu’il est en vérité tout pourri et tout fébricitant, car il a une
chaleur extérieure et un froid intérieur, une soif intolérable, une langueur des
membres, un dégoût du pain et une abomination à toute douceur, car il est chaud
pour le monde et est froid pour Dieu ; il désire les voluptés charnelles, et a
en horreur l’éclat et la beauté des vertus ; il est dégoûté de l’observance des
commandements de Dieu ; il est fervent pour tout ce qui est de la chair.
Partant, ce n’est pas de merveille s’il ne goûte mon corps, si ce n’est comme du
pain cuit au four, car il ne considère ni ne goûte l’œuvre spirituelle, mais
l’œuvre charnelle.
Partant, l’Agnus Dei étant dit, et ayant pris et reçu mon corps dans son corps,
la puissance du Père et la douce présence de mon Fils se retirent de lui. Et
ayant déposé les habits sacrés, la bénignité du Saint-Esprit se retire de lui,
qui est le lien de l’union, mais la seule forme et mémoire du pain demeurent en
lui seulement.
Vous ne devez pas pourtant penser que celui-là ou quelque autre que ce soit,
soit sans Dieu, recevant le saint sacrement, que Dieu s’en retire seulement, ne
versant en lui de plus grandes consolations. Je demeure néanmoins en lui, le
souffrant et le défendant du diable.
Quant à ce que le diable objecte qu’aucun des Juifs qui sont sages n’ont voulu
croire cela, je réponds que les Juifs sont disposés comme ceux qui ont perdu
l’œil droit ; c’est pourquoi ils clochent de chaque pied spirituel : et partant,
ils sont fous et le seront jusqu’à la fin. Ce n’est donc pas de merveille que le
diable aveugle leur esprit, endurcisse leur cœur, et leur suggère ce qui est
impudique et contre la foi. Partant, toutes fois que telle pensée assaillira
votre esprit, rapportez-la et découvrez-la à vos amis spirituels.
Soyez permanente en la foi, et sachez sans doute que CECI EST MON CORPS, que j’ai reçu
de la chair virginale, qui a été crucifié et qui règne au ciel ; ceci même est
sur l’autel, et les mauvais et les bons le reçoivent. Car comme je me suis
montré aux disciples allant à Emmaüs, en une autre forme étant néanmoins vrai
Dieu et vrai homme, entrant à mes disciples, les portes étant fermées, de même
je me montre aux prêtres sous une autre forme, afin que la foi ait son mérite,
et que l’ingratitude des hommes paraisse ; ni n’est pas de merveille, car je
suis le même maintenant qui ai montré la puissance de ma Déité par des signes
terribles ; et néanmoins encore alors, les hommes ont dit : Faisons-nous des
dieux qui nous précèdent.
J’ai aussi montré aux Juifs ma vraie humilité, et ils l’ont crucifiée. Je suis
tous les jours sur l’autel, et on dit : Nous avons dégoût et tentation sur cette
viande. Quelle plus grande ingratitude se pourrait-on imaginer que vouloir
comprendre par raison Dieu et ses occultes jugements, et oser juger les mystères
qu’il possède en sa main propre ? C’est pourquoi je veux montrer aux idiots et
aux humbles, par un effet invisible et par une forme visible, qu’est la forme
visible du pain sans pain et sans substance : qu’est la substance en la forme,
et quelle la division de la forme sans substance, ou pourquoi je souffre des
choses si indignes et si difformes en mon corps, afin que les humbles soient
exaltés et les superbes confondus.
|