Vision admirable d’une âme qui devait être jugée. Accusations du diable , défenses de la Sainte Vierge Marie . Explication de cette vision, où le ciel est désigné par un palais, Jésus-Christ par le soleil , la Vierge par la femme , le diable par l’Ethiopien , l’ange par un soldat ; où sont rapportés trois remèdes et plusieurs autre choses admirables, et principalement des suffrages.
Chapitre 7

Une certaine personne , veillant en oraison et ne dormant pas, voyait en esprit un palais d’une grandeur incompréhensible , où se trouvait une innombrable multitude d’homme vêtus de vêtements blanc et éclatants, et chacun d’eux semblait avoir un siége propre . il y avait principalement en ce palais un siége signalé , comme un soleil pour juge , et la splendeur qui sortait du soleil était incompréhensible en longueur , largeur et profondeur . Une vierge aussi était debout auprès du siége, ayant la tête ceinte d’une couronne.

Tous servaient celui qui était assis sur le siége , le louant avec des hymnes et des cantiques. Après , on voyait un Ethiopien terrible à voir , qui marquait en ses gestes être plein d’envie et enflammé d’une grande colère. Il s’écriait , disant : O juge , jugez cette âme ; oyez et voyez ses œuvres , car il lui reste peu à vivre . permettez-moi aussi de punir le corps avec l’âme , jusqu’à ce que la séparation en soit faite.

Ce qu’ayant été dit , il semblait qu’un homme était devant le siége , comme un soldat armé , pudique et sage en ses paroles et modeste en ses actions , qui disait :O Juge, voici les bonne œuvres qu’il a faites jusques à cette heure.

Et soudain on ouït une voix sortant du soleil du siége, disant : Il y a là plus de vices que de vertus. Il n’est pas juste et équitable que le vice soit conjoint à la souveraine vertu.

L’éthiopien répondit ; Il est donc juste que cette âmes soit conjoint à moi, car comme elle a quelque vice en elle, de même en moi il y a toute sorte de méchancetés.

Le soldat répondit : La miséricorde de Dieu suit toute sorte de personnes jusqu’à la mort , voire jusqu’au dernier période de la vie ; et après , le jugement se fait. En l’homme dont il est maintenant question, l’âme et le corps sont encore conjoints ensemble, et la discrétion et la raison sont encore entièrement en lui.

L’éthiopien répondit : L’Ecriture, qui ne peut mentir, dit . Vous aimez Dieu sur toutes choses et votre prochain comme vous même .Voyez donc que toutes les œuvres de celui-ci sont faites par l’esprit de crainte, et non par l’amour, comme il le devait ; et quand aux péchés dont il s’est confessé, vous trouverez qu’il s’en est confessé avec une petite contrition .C’est pourquoi il mérite l’enfer , car il a démérité le paradis. Et partant , les péchés sont ici manifestés devant la justice divine, car il n’a jamais obtenu de la divine charité la contrition des péchés qu’il a commis.

Le soldat répondit : Il a certainement espéré d’obtenir la contrition avant de mourir.
L’Ethiopien répliqua : Vous avez amassé tout ce qui a fait du bien ;vous connaissez si toutes ces paroles pieuses profitent à son salut ; toutes ces choses , quelles qu’elles soient , ne sauraient entrer en comparaison avec la grâce, qui est appelée contrition , qui sort de la charité avec la foi et l’espérance , laquelle il n’a pas . Partant , tout cela ne saurait effacer ses péchés, car la justice est en Dieu de toute éternité, qui veut qu’aucun n’entre au ciel qui n’aura eu la parfaite contrition . Il est donc impossible que Dieu juge contre l’ordre et la disposition qu’il a prévus de toute éternité. Donc , il faut que cette âme soit jugée à l’enfer , et il faut la joindre avec moi aux peines éternelles.

Ces choses étant dites et représentées , le soldat ne sut que dire à ces paroles.
Après ceci ,on vit une multitude innombrable de diables semblables à des étincelles courantes d’un grand feu excité ; et ils criaient tous d’une voix, disant à celui qui était assis sur le trône comme un soleil : Nous savons que vous êtes un Dieu en trois personnes ; que vous êtes sans commencement ni fin ;que vous êtes le même amour auquel la miséricorde et la justice sont conjointes.

Vous avez été en vous-même de toute éternité .Vous n’avez rien qui vous diminue en vous ni hors de vous, qui vous transporte ,comme il est décent et convenable à Dieu ; rien n’a joie sans vous.
C’est pourquoi votre amour a fait les anges de rien par votre puissance, et a créé les âmes par votre sagesse, comme votre miséricorde voulait. Mais après que l’orgueil, l’envie et la cupidité nous eurent embrasés, soudain votre amour, qui aime la justice nous précipita du ciel avec le feu de notre misère dans l’abîme incompréhensible et ténébreux , qui est maintenant appelé enfer.

C’est de la sorte que votre charité se gouverne , lorsqu’elle ne se sépare pas encore de votre juste jugement , soit qu’il soit fait selon la miséricorde, soit selon l’équité.
Nous disons bien davantage: si ce que vous aimez pardessus tout, qui est la Sainte Vierge qui vous a enfanté , qui n’a jamais offensé , eût offensé Dieu mortellement et qu’elle fût morte sans la contrition divine , vous aimez tellement la justice qu’elle n’eût jamais obtenu le ciel , mais elle serait avec nous dans l’enfer ! Pourquoi donc , ô Juge , ne nous adjugez-vous pas cette âme , afin que nous la punissions selon ses œuvres ?

Après , on ouït un son comme d’une trompette , et tous ceux qui l’ouïrent se turent , et soudain une voix leur disait : Silence ! écoutez , ô vous , anges , âmes et diables , ce que dit la Mère de Dieu !

Et à l’instant , la Mère de Dieu , paraissant devant le siége du juge , et ayant sous son manteau comme quelques choses grandes et cachées , dit : O ennemis , vous poursuivez la miséricorde et aimez la justice sans amour : bien que dans les bonne œuvres , il y apparaisse du défaut , pour lesquels cette âme ne doive obtenir le ciel , voyez néanmoins ce que j’ai sous mon manteau .

La Sainte Vierge ayant ouvert des deux côtés son manteau , d’un côté apparut comme d’une petite église où on voyait quelques moines ; en l’autre côté apparurent des femmes et des hommes , amis de Dieu , religieux et autres, qui criaient d’une voix , disant : Miséricorde , ô Dieu miséricordieux !

Puis on fit un grand silence , et la Sainte Vierge parlais disant : L’Ecriture dit que celui qui a la foi parfaite peut transporter les montagnes . Que doivent et que peuvent donc faire ces voix des justes qui ont eu l’amour ? que feront les amis de Dieu pour cette âme qui les a priés de prier Dieu pour elle , afin qu’elle pût éviter l’enfer et obtenir le ciel , ni n’a jamais cherché autre récompense de ses bonnes œuvre que le ciel ? Eh quoi ! toutes les prières et les larmes de tous ces saints ne pourraient-elles pas lui obtenir , avant sa mort , la vraie contrition avec l’amour ? D’ailleurs , j’ajouterai mes prières aux prières de tous les saints qui sont au ciel , que cette âme avait en singulière recommandation et honneur spécial .

Et derechef , la Sainte Vierge dit : O diables ! je commande en la puissance du Juge d’être attentifs à ce que vous voyez maintenant en la justice.
Lors tous répondirent comme d’une voix : Nous voyons qu’au monde il y a un peu d’eau et force air; on apaise l’ire de Dieu , et même de votre oraison il apaise la miséricorde avec l’amour .

Soudain on ouït une voix sortant du soleil , disant : Pour les prières de mes amis , celui-là obtiendra , avant de mourir , la contrition divine , de sorte qu’il ne descendra point dans l’enfer, Mais il sera purifié avec ceux qui , ayant commis de grands péchés , endurent une grande peine dans le purgatoire . Et cette âme , étant purifiée , aura la récompense au ciel avec ceux qui ont eu en terre la foi et l’espérance avec quelque petite charité . Ces choses étant dites , les démons s’enfuirent .

Après , il semblait à l’épouse sainte Brigitte qu’elle voyait un lieu fort terrible , formidable et obscur qui s’ouvrait , où apparut en dedans une fournaise ardente ; et ce feu n’avait autre chose pour brûler que les démons et les âmes toutes vivantes ; et sur cette fournaise apparut cette âme , de laquelle nous avons ouï ci-dessus le jugement . Or les pieds de cette âme s’étaient attachés à la fournaise , et cette âme demeurait debout comme une seule personne .

Or , elle n’était pas debout au sommet de la fournaise ni au plus bas , mais comme il a été dit , la forme en était terrible et admirable . Or , le feu de la fournaise semblait se pousser en haut vers les pieds de cette âme , comme quand l’eau est poussée en haut par le tuyau , de sorte que ses pores étaient comme des veines ouvertes d’où sortait le feu . Ses oreilles semblaient comme des soufflets qui émouvaient son cerveau .
Ses yeux paraissaient détournés et enfoncés , et semblaient comme noués et attachés au derrière de la tête. Sa bouche était tout ouverte , et sa langue était tirée par les trous du nez et pendait sur ses lèvres . Ses dents étaient comme des clous de fer attachés au palais de la bouche . Ses bras étaient si étendus qu’ils allaient jusques aux pieds.

De ses mains aussi semblait s’égoutter quelque graine avec une poix ardente . La peau , qui semblait être sur l’âme comme sur un corps , était comme une chemise de lin toute sale et vilaine . Cette chemise était tellement froide que tous ceux qui la voyaient en frémissaient ; et il procédait d ‘elle comme une certaine gale , une puanteur si horrible qu’on ne la saurait comparer à une plus infecte et plus pernicieuse puanteur .

Ayant donc vu cette effroyable calamité , elle ouït la voix de cette âme qui dit cinq fois : Malheur ! criant de toutes forces avec un déluge de larmes . 1° Malheur , dit-elle , que j’aie aimé si peu Dieu pour ses très-grandes vertus et pour les grâces dont il m’a comblée !
2° Malheur à moi de n’avoir craint la justice comme je devais ! 3° Malheur à moi d’avoir aimé les voluptés et les plaisir de mon corps , qui m’ont induite au péché ! 4° Malheur à moi pour avoir été ambitieuse des richesses et pour mon orgueil !
5° Malheur à moi de vous avoir vus , vous ,ô Louis et Jeanne !

Et alors l’ange me dit : Je vous veux déclarer cette vision . Ce palais que vous avez vu est une figure du ciel . la multitude de ceux qui étaient assis , vêtus de vêtements blancs et éclatants , sont les anges et les âmes des saints . Le soleil signifie Jésus-Christ en sa Déité ; la femme , la Vierge qui a enfanté Jésus-Christ . L’Ethiopien signifie le diable qui accuse l’âme ; le soldat , l’ange qui dit les bonnes œuvres de l’âme ; la fournaise , l’enfer qui brûle en telle sorte que , bien que tout ce qui se voit et tout ce qui est au monde brûlât , néanmoins , il n’entrerait en comparaison de la grandeur de ce feu . En cette fournaise , on entend diverses et différentes voix , toutes contre Dieu , et toutes commencent par Malheur ! et finissent par Malheur ! Les âmes y apparaissent comme des hommes dont les membres sont étendus sans consolation , sans jamais avoir repos . Sachez aussi que le feu que vous voyez en la fournaise brûle dans les ténèbres éternelles , et les âmes qui y brûlent n’ont pas toutes une peine égale . Or , les ténèbres qui apparurent à la fournaise sont appelées les limbes , qui procèdent des ténèbres qui sont dans la fournaise , et toutes sont quasi un lieu et un enfer .

Quiconque descendra là-bas ne demeurera jamais avec Dieu . Sur ces ténèbres , les âmes souffrent les peines du purgatoire ; et outre ce lieu il y en a encore un autre , où il y a moindre peine ,qui n’est autre qu’un défaut de force en la force , et de beauté et autres choses semblables , comme par exemple , si quelqu’un était infirme , et l’infirmité et la peine cessant , n’aurait point de forces , jusqu’à ce qu’il les recouvrât peu à peu .

Le troisième lieu , qui est plus haut que celui-ci , est celui où il n’y a autre peine qu’un désir de parvenir à Dieu . Et afin que vous entendiez mieux en votre conscience ce que c’est , je vous dis par exemple : Si l’airain se mêlait avec l’or , et tous deux brûlaient ensemble en un feu ardent , où il devait se purifier longtemps , jusqu’à ce que l’airain en fût consommé , et où l’or demeurerait pour or tout autant que l’airain serait fort et épais : tout autant serait-il nécessaire d’un grand feu , jusqu’à ce que l’or fût liquide comme de l’eau et qu’il fût tout ardent ; après , l’orfèvre porterait l’or en un autre lieu , jusqu’à ce qu’il eût la couleur d’or à la vue et la bonté à l’attouchement ; après , il le mettrait en un troisième lieu , où il serait gardé pour être présenté à son possesseur . De même en est-il dans les choses spirituelles .

En premier lieu , la très grande peine du purgatoire , ce sont les ténèbres , où vous avez vu cette âme être purifiée , où il y a l’attachement des diables . Là en figure paraissent des vers vénéneux et des animaux farouches . Là est la chaleur , là est le froid en extrémité ; là sont les ténèbres et la confusion , qui sortent des peines de l’enfer . Là quelques âmes ont une grande peine , les autres une petite , selon que les péchés ont été amendés pendant que le corps était avec l’âme .

Après , le maître , c’est-à-dire , la justice divine , porte les âmes en un autre lieu où il y a quelque défaut de forces , lieux où elles demeureront jusqu’à ce que le réfrigère éternel leur arrive , ou par les prières de leur amis spéciaux , ou par les continuelles œuvres de la sainte Eglise , car l’âme , plus elle sera aidée de ses amis , plus tôt sera-t-elle soulagée et affranchie de ce lieu .

Après , l’âme est portée en un troisième lieu , où elle n’endure point de peine , mais où elle désire d’arriver à Dieu et à la vision béatifique . En ce lieu demeurent plusieurs et très longtemps , d’autant qu’il y en a peu qui , pendant qu’ils ont vécu , aient eu un parfait désir de parvenir à la présence de Dieu et à la vision béatifique . Sachez aussi qu’il y en a au monde qui vivent si justement et si innocemment , qu’ils arrivent soudain à la présence et vision de Dieu , quelques-uns ayant tellement amendé leurs péchés par des bonnes œuvres , que leurs âmes n’endurent aucune peine . Mais il y en a qui n’arrivent au lieu où les âmes ont des désirs de parvenir .

Partant , toutes les âmes qui arrivent en ces trois lieux et y demeurent , participent aux prière de la sainte Eglise et aux bonnes œuvres qui se font par tout le monde , principalement à celles qu’elles ont faites pendant qu’elles ont vécu , et de celles qui se font par leurs amis après la mort . Sachez aussi que , comme les péchés sont de plusieurs et de diverses sortes , de même aussi les peines sont diverses et différentes . Partant , comme le famélique se réjouit de la viande qui vient à sa bouche , le sitibonde de la boisson , le triste de la joie , le nu du vêtement , l’infirme de trouver un lit , de même les âmes se réjouissent et participent aux biens qui se font pour eux dans le monde .

Ensuite l’ange ajouta : béni soit celui qui , étant dans le monde , aide les âmes par ces oraisons , par ses bonne œuvres et par le travail de son corps ! car la justice de Dieu ne peut mentir , elle qui dit que les âmes se doivent purifier après la mort par la peine du purgatoire , ou être bientôt affranchies par les bonnes œuvres de leurs amis .

Après cela , on entendait plusieurs voix du purgatoire , disant : O Seigneur Jésus-Christ , juste Juge , envoyez votre amour et votre charité en ceux qui , dans le monde , ont une puissance spirituelle , car lors , nous y participerons avec plus d’abondance qu’a leur chant , lecture et oblation . Or , sur l’espace d’où était ouïe cette plainte on voyait comme une maison en laquelle on oyait plusieurs voix qui disaient que Dieu récompense ceux qui nous envoient du secours en nos besoins.

On voyait encore en cette maison comme une aurore qui allait croissant peu à peu ; sous l ‘aurore apparut une nuée qui n’avait rien de la lumière de l’aurore , d’où il sortit une grande voix , disant ; O Seigneur Dieu , donnez de votre incompréhensible puissance à un chacun une centième récompense à ceux , qui , étant au monde , nous élèvent avec leurs bonnes œuvres en la lumière de votre Divinité et à la vision de votre face.