La Sainte Vierge , Mère de Dieu , parle à sa fille de la passion de son Fils béni , la narrant par ordre , et de sa forme et beauté corporelle.
Chapitre 70

Pour le jour de la passion.
La Mère de Dieu parle , disant que Jésus-Christ , son Fils , pleurait et suait en son corps , la passion s’approchant , pour la crainte et appréhension d’icelle ; et soudain il a été arraché de ma présence , et je ne l’ai vu davantage jusqu’à ce qu’on le conduisait pour être fouetté . Or , lors il fut tellement traîné et jeté par terre avec tant de cruauté , que sa tête ayant heurté , que ses dents tremblaient , et il fut si fortement frappé au col et à la joue , que le son et le contrecoup en parvinrent jusqu’à mes oreilles et à mon cœur . Après , par le commandement du bourreau , il se dépouilla lui-même de ses vêtements , embrassant franchement la colonne.

Il y fut lié , et son corps fut déchiré et sillonné de coups souvent réitérés de fouet , de rosettes et de pointes . Au premier coup, je fut frappée dans le cœur par le contrecoup , et quasi tirée hors des sens (1) ; et puis après , revenant à moi , je vis son corps tout déchiré , car il était tout nu quand il fut fouetté . Lors un des bourreaux ennemis qui assistaient là , disait :Eh quoi ! le voulez-vous faire mourir sans jugement , et faire la cause de votre mort par sa mort ? Et disant cela , il coupa la corde. Et mon Fils étant délié de la colonne , la première chose qu’il fit , ce fut de prendre ses vêtements ; et néanmoins , on ne lui en donna pas le temps de s’habiller ; mais pendant qu’on l’entraînait , il mis ses bras en ses manches. Les vestiges qui étaient à l’entour de la colonne étaient tellement plein de sang , que je pouvais les connaître tous , et je connaissais le lieu où il était passé par les signes du sang . Lors il frotta avec sa tunique son visage , qui était tout ruisselant de sang . Après , étant jugé et portant sa croix , il est emmené au mont de Calvaire ; mais par le chemin , on lui donna un autre homme pour aider à porter la croix.

Etant donc arrivé au lieu où on le devait crucifier , voici tout à l’instant un marteau et quatre clous bien aigus ; et on lui commande tout à l’instant de se dépouiller de ses vêtements , à quoi il obéit ; et il attacha un petit linge à ses parties honteuses , dont il fut en quelque sorte consolé , et il s’en alla pour ce faire crucifier . Or , la croix était fichée en terre , et les bras étaient élevés en haut , de sorte que le nœud de la croix était entré en ses épaules ; sa tête était appuyée sur la croix , et la table où était écrit le titre était attachée plus haut sur la tête et sur les bras . Ses bras étaient attachés plus haut que la tête.

(1) il ne faut pas ici conclure que la Sainte Vierge se soit pâmée , car on dit quasi , et non pas tout à fait.

Soudain donc qu’on lui eut commandé de se mettre sur la croix , il s’y mit , lui tournant le dos . On lui demanda la main : il étendit la droite la première ; et la main gauche ne pouvant arriver jusques au trou , on la tira pour l’y faire atteindre ; et les pieds semblablement ne pouvant arriver aux trous , on les tire et on les croise un peu plus bas que les cuisses ; étant distingués , on les cloue à la croix avec deux clous qu’on fiche sur l’os solide , comme on l’avait fait aux mains.

Donc , au premier coup de marteau , j’ai été comme ravie en extase , et veillant , je vis mon Fils , et oyais parler de lui diversement les hommes les uns aux autres , disant : Qu’est-ce qu’il a fait ? A-t-il commit larcin , rapine ou mensonge ? Les autres répondaient qu’il était un menteur . Et lors on mit cruellement la couronne d’épines sur sa tête , qui descendait jusqu’à demi front . Plusieurs ruisseaux de sang , excités par les pointes d’icelles , découlaient tout au long de sa face , remplissaient les cheveux , les yeux et la barbe , de sorte que tout me semblait sang ; ni lui ne me put voir assistant à sa croix , à raison que le sang avait coulé et avait rempli ses yeux . M’ayant donc recommandée à son disciple , ayant haussé sa tête et levé ses yeux si plein de larmes vers le ciel , il s’écrie d’une voix tirée du fond du cœur , disant : Mon Dieu ! Mon Dieu ! pourquoi m’avez-vous délaissé ? voix que je ne pus jamais oublier , jusqu’à ce que je fusse arrivée au ciel ; aussi avait-il prononcé ces mots, étant plus ému de ma souffrance que de la sienne.

Lors la couleur de la mort le couvrit en toutes ses parties , de sorte qu’on pouvait voir à travers du sang ses mâchoires , et ses joues étaient jointes aux dents ; ses côtes étaient tellement énervées qu’on les pouvait nombrer ; son ventre (les humeurs étant consommées) , était appliqué à son dos ; son cœur , étant auprès de la plaie , fit trembler tout le corps, et sa barbe tomba sur sa poitrine . Et lors , moi , réduite quasi à rien , je tombai par terre.

Sa bouche donc étant ouverte , comme il était expiré , on pouvait voir sa langue , ses dents et son sang en la bouche , et ses yeux à demi clos , tournés en bas , et son corps déjà mort pendait tout avalé, ses genoux étant courbés en une part , et ses pieds de l’autre sur les clous qui s’abaissaient en bas comme des gonds.

Cependant , les autres hommes qui étaient la présents , lui disaient comme en se moquant ; O Marie , maintenant ton Fils est mort . O Dame , la peine de votre Fils a été payée pour sa gloire éternelle.

Un peu de temps après , le côté étant ouvert et la lance étant arrachée , apparut en sa pointe comme une couleur brunette , afin que de là on entendît que son cœur était outrepercé ; et ce coup pénétra tellement mon cœur que c’est merveille , s’il ne se creva . Les autres donc se retirant , je ne pouvais me retirer , mais j’ai été un peu consolée , que son corps étant déposé et descendu de la croix , je le pusse toucher , le recevoir en mon sein , sonder ses plaies et en ôter le sang . Après , je portai mes doigts pour clore sa bouche et ses yeux . Or , les bras étant roides , je ne les pus courber pour les croiser sur sa poitrine , mais seulement sur le ventre ; ses genoux aussi ne purent être étendus , mais ils étaient rehaussés comme s’ils étaient roidis en la croix.

Derechef la Sainte Mère de Dieu parle , disant à sainte Brigitte : Vous pourrez voir mon Fils au ciel en ses qualités et excellences ; mais reconnaissez quel il était au monde selon le corps , car il était si beau de face qu’aucun ne le voyait qu’il n’en fût consolé , bien que son cœur fût opprimé de douleur. Et non-seulement les justes étaient consolé d’une consolation spirituelle , mais même les mauvais étaient relâchés de la tristesse du siècle , tout autant de temps qu’ils le voyaient , d’où vient que les affligés voulaient dire : Allons voir le Fils de Marie , afin que nous soyons soulagés pour le moins autant de temps que nous le verrons.

Donc , l’an 20 de son âge , il était parfait en grandeur et force d’homme ; il était grand , non pas charnu comme les hommes du temps présent , mais fourni d’os et muni de nerfs . Les cheveux de ses sourcils et sa barbe étaient bruns ; la longueur de sa barbe au travers était d’une paume de la main ; son front n’était pas rehaussé ni enfoncé , mais droit ; son nez était égal , non petit ni trop grand ; ses yeux étaient si purs que ses ennemis mêmes se plaisaient à les voir ; ses lèvres n’étaient pas épaisses, mais d’un rouge éclatant ; son menton n’était pas enflé ni trop long , mais d’une modérée beauté ; ses joues étaient modestement pleines de chair d’une couleur candide parsemée d’un rouge empourpré ; sa stature était droite , et en tout son corps , il n’y avait aucune tache , comme le témoignent ceux-la qui l’ont vu entièrement nu , lorsqu’on le fouettait à la colonne ; jamais vermine n’est arrivée à son corps , ni quelque immondice en ces cheveux.