Le Fils de Dieu parle à l’épouse , lui disant : Répondez-moi à quatre choses que
je vous demande.
1° Si quelqu’un , dit-il , donnait à son ami une palme fructueuse , laquelle
néanmoins il retiendrait auprès de sa maison , d’autant qu’il recevrait du
plaisir de la vue et de l’odeur d’icelle , que dirait celui qui donne la palme ,
si celui qui l’a reçue la demandait pour la transplanter en un autre lieu auprès
de sa maison , où elle fructifierait mieux?
Sainte Brigitte répondit : Si l’ami avait donné la palme par amour , s’il était
sage et s’il le désirait avoir pour bon ami , il permettrait en vérité à son ami
de faire de la palme tout ce qu’il voudrait , lui disant : O mon ami , bien que
de la proximité de la palme je reçoive un grand plaisir , néanmoins , parce
qu’elle ne m’est pas beaucoup plantureuse , je me réjouis que vous la
transplantiez où vous voudrez , en quelque lieu très fertile.
2° Notre-Seigneur lui demanda : Si des parents avaient promis à quelque
jouvenceau leur fille vierge, la vierge le voulant ainsi , et si ses parents
interrogeaient l’enfant pour savoir si la fille lui agréait ou non , et si
l’enfant ne répondait rien là-dessus , la fille serait-elle épousée ou non ?
Sainte Brigitte répondit : Il me semble que non , puisque l’enfant n’a pas
éprouvé sa volonté.
3° Notre-Seigneur lui proposa encore une autre question , lui disant : Un jeune
et noble garçon , étant entre trois filles , proposa que celle d’entre elles qui
dirait qu’elle l’exciterait plus souvent à l’amour, celle-là obtiendrait l’amour
de ce jeune homme . Lors la première répondit : J’aime ce jouvenceau avec tant
d’amour que j’aimerais plutôt mourir que de m’unir à un autre . La deuxième dit
: Je souffrirais et préfèrerais pâtir toute sorte de peines que de dire une
parole contre sa volonté ou qui l’offensât tant soit peu . La troisième répondit
: J’aimerais plutôt pâtir et endurer toute sorte de peines , quoique amères ,
que de le voir tant soit peu méprisé ou souffrir quelque dommage .
Dites-moi donc , dit Notre-Seigneur , laquelle de ces trois aime plus le
jouvenceau , et quelle est celle qu’il faut préférer en l’amour d’icelui.
Sainte Brigitte répondit : Il me semble que toutes l’aime également , car toutes
étaient d’un même cœur envers lui , et partant , toutes sont dignes de son amour.
4° Notre-Seigneur dit : Il y avait un ami qui en consultait un autre : J’ai ,
dit-il , du blé grandement fructueux ; si on le sème en bonne terre , il
fructifie à foison ; mais d’autant que j’ai grandement faim , que vous
semble-t-il meilleur , ou que je le sème ou que je le mange ? L’ami répondit :
Votre faim se peut rassasier par une autre occasion , il vous est donc plus
utile que vous le semiez.
Lors Notre-Seigneur ajouta : Ma fille , n’êtes-vous pas d’un même avis , que la
faim soit supportée avec patience , et que le grain qui doit profiter à
plusieurs soit semé?
Notre-Seigneur dit derechef : Ces quatre choses vous appartiennent , car votre
fille (1) est comme une palme que vous m’avez vouée et donnée . Or , maintenant
, je sais un lieu plus agréable pour elle: je la veux transplanter où il me
plaira , et pour cela , vous ne devez pas vous troubler , car vous avez consenti
à la transplanter.
Notre-Seigneur dit encore : Vous m’avez donné votre fille , mais moi , je ne
vous ai point montré ce qui m’était plus agréable en elle , la virginité ou le
mariage , ou si votre sacrifice me plaisait ou non . Partant , maintenant ,
ayant connu votre certitude , les choses qui sont faites avec icelle se peuvent
changer et corriger . Notre-Seigneur dit encore : la virginité est bonne et
grande , car elle rend semblable aux anges , si toutefois elle est observée avec
raison et honnêteté . Or , si l’une est sans l’autre , savoir est la virginité
de la chair sans celle de l’esprit , la virginité est difforme , car une mariée
humble et dévote (2) m’est plus agréable qu’une vierge superbe et impudique .
Peuvent être d’un égal mérite , une mariée qui n’est point lascive et qui vit
conformément aux commandements de Dieu en sa crainte , et une vierge pudique et
humble , car bien que ce soit une chose grande d’être au feu de probation et ne
point brûler , néanmoins , il est égal d’être hors du feu de la religion et
vouloir être librement dans le feu du monde , et brûler d’un feu d’amour plus
fervent envers Dieu hors du feu de le religion , que celui qui y est . Voici que
de ces trois je vous propose un exemple.
(1) La fille de sainte Brigitte était sainte Catherine.
(2) Il faut entendre que la mariée peut avoir une plus grande ferveur à la
chasteté que celle de la vierge , car autrement , la virginité et le célibat
sont par-dessus , comme dit saint Paul. (1. Cor .7.)
Certainement , il y eut trois notables personnes : Susanne , Judith , et Tècle ,
vierge . La première fut mariée , la deuxième veuve , la troisième vierge .
Celles-ci eurent une vie et une intention inégales , et néanmoins , elles sont
conformes au mérite de leur action . Susanne enfin , étant troublée et accusée
faussement par les prêtres , aima mieux mourir que se salir contre les défenses
de Dieu ; et d’autant qu’elle m’a craint , m’appréhendant partout présent ,
c’est pourquoi elle a mérité d’être sauvée et d’être glorifiée . Mais Judith ,
voyant mon déshonneur et la ruine de son peuple , en avait si grande compassion,
qu’émue de mon amour , elle aima , non-seulement à s’exposer à toute sorte
d’opprobres , mais encore était disposée à souffrir pour l’amour de moi toute
sorte de peines . Tècle , vierge , aima mieux souffrir les passions très amères
que dire une parole contre moi . Ces trois , bien qu’elles n’aient eu une même
action , néanmoins , sont égales en mérite . Partant , soit vierge , soit veuve
, toutes me peuvent plaire également , pourvu que tout leur désir et bonne vie
tendent à moi.
Notre-Seigneur dit derechef : Votre fille , soit qu’elle soit en virginité ou en
mariage , m’est également agréable , pourvu que le tout soit selon mes volontés
: car que lui servirait-il d’avoir la virginité au corps et non à l’esprit ? ou
qu’est-il plus glorieux , de vivre à soi-même ou de profiter à autrui ? Mais moi
, qui sais toutes choses et qui les prévois , je ne fais rien sans raison .
Partant, elle n’arrivera pas au lieu constitué avec le premier fruit , car il
provient de la crainte , ni avec le deuxième , car il sort de la tiédeur ; mais
elle parviendra au moyen , car elle a la moyenne chaleur de l’amour et fruit de
l’honnêteté .Or , celui qui la prendra aura trois choses : des dons , des
vêtements et de la viande pour elle.
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