Le Fils de Dieu , engendre de toute éternité , parlait à sa chère épouse , lui
disant : vous avez
composé aujourd’hui cette maxime merveilleuse , qu’il était meilleur de prévenir
que d’être prévenu: de même je vous ai prévenue par les douceurs indicibles de
ma grâce , de peur que le diable ne dominât tyranniquement en votre âme.
Et soudain , saint Jean-Baptiste , apparaissant , dit : Béni soyez-vous ô mon
Dieu , qui êtes avant toutes choses , avant que jamais pas un n’a été Dieu , ni
ne sera , d’autant que vous êtes , étiez et serez éternellement Dieu ! Vous êtes
la vérité promise par les prophètes , celui dont je me suis réjoui avant qu’il
fût né , et que je connaissais entièrement quand je le montrais et disais : Vous
êtes notre joie indicible et notre gloire infinie . Vous êtes l’objet de nos
désirs et la jouissance de nos contentements , d’autant que vous voir , cela
nous remplit d’une indicible suavité , que personne ne connaît , si ce n’est
celui qui l’a goûtée . Vous êtes aussi notre seul dilection.
Ce n’est pas de merveille si nous vous aimons , car vous , qui êtes la charité même , aimez ,
non-seulement ceux qui vous aiment , mais aussi , étant Créateur de toutes
choses , vous chérissez ceux mêmes qui dédaignent de vous connaître . Or ,
maintenant , ô mon seigneur ! puisque nous sommes enrichis par vos libérales et
adorables mains , par vous et en vous , nous vous prions de départir de nos
richesses spirituelles à ceux qui n’en ont point , afin que , comme nous nous
réjouissons en vous , non en nos mérites , de même plusieurs participent à nos
biens.
Notre-Seigneur répondit : Vous êtes le souverain membre avec la tête et auprès
de la tête ; néanmoins , la gorge est plus proche et plus excellente : de même
je suis le chef et la tête de tous , et ma très-chère Mère est la gorge ; après
, les anges le sont ; mais vous et mes apôtres êtes comme les palerons du dos ,
d’autant que , non-seulement vous m’aimez , mais aussi vous m’honorez , en
avançant et en poussant ceux qui m’aiment . Partant , ce que j’ai dit et arrêter
est constant : Les œuvres que je fais , vous les ferez , et votre volonté est ma
volonté , car comme la tête de chair ne se meut point sans les membres , de même
en l’union et conjonction spirituelle que vous avez avec moi, il n’y a point de
vouloir sans pouvoir , mais tout est pouvoir ; c’est ce qu’un chacun de vous
veut . Partant , que ce que vous demandez soit fait.
Ces choses étant dites , saint Jean apporta un chevalier à demi mort , et lui
dit : O mon Seigneur ! celui qui est ici présent vous avait voué la milice qui
s’efforce généreusement de combattre et d’abattre ; mais il ne peut surmonter ni
vaincre son ennemi , d’autant qu’il est désarmé , et que d’ailleurs il est
infirme . Quant à moi , je suis obligé de lui aider pour deux raisons , tant à
considération des mérites de ses parents , qu’en contemplation de l’amour dont
il est atteint et touché par mon honneur . Donnez-lui donc , pour l’amour de
vous-même , les vêtements de la milice , afin que la confusion honteuse de sa
nudité ne paraisse.
Notre-Seigneur lui répondit : Donnez-lui ce qu’il vous plaît , et revêtez-le
selon votre contentement.
Lors saint Jean lui dit : Venez , ô mon enfant , et recevez de moi le premier
vêtement de votre milice, par lequel vous pourrez plus facilement prendre et
supporter les autres vêtements de la milice . Il appartient donc au chevalier
qu’il ait plus près de la chair ce qui est plus mol et plus doux, savoir , un
vêtement double . Je vous revêtirai donc de celle-là , puisque Dieu le veut de
la sorte , car comme cette double robe corporelle est douce et molle , de même
l’âmes a une double robe spirituelle , quand elle a Dieu très cher en son cœur ,
et le ressent doux et suave en ses affections.
En vérité , la douceur qu’on ressent en Dieu provient de deux choses : de la
considération éminente des bienfaits de Dieu , et de la souvenance des péchés
abominables commis en la vie passée avec contrition .(S. Jean .) J’ai eu ces
deux choses étant enfant , d’autant que j’ai mûrement considéré de quelle grâce
et faveur Dieu m’avez prévenu avant de naître ; de combien grandes bénédictions
il m’a accueilli après ma naissance.
Et considérant tout ceci , j’ai gémi ,voyant que je ne pouvais rendre à Dieu quelque choses digne de tant de
bénédictions . J’ai considéré aussi l’instabilité et l’inconstante volubilité du
monde : c’est pourquoi , les connaissant , je me suis enfui dans les déserts les
plus affreux , là où mon Jésus m’était autant doux consolateur que toutes les
choses désirables du siècles m’étaient fâcheuses et à dégoût , même à mes
pensées et à charge à mes désirs.
Venez donc ô chevalier ! et revêtez-vous de cette robe double , d’autant que le reste vous sera donné en son temps .
Après , apparut saint Pierre l’apôtre , disant : Saint Jean vous a donné une
robe double , mais moi , qui suit tombé grandement et me suis fortement relevé
par la grâce , je vous impétrerai une cotte de mailles , c’est-à-dire , la
divine charité ; car comme la cotte de mailles est faite de petits anneaux de
fer , pour la défense contre les traits acérés des ennemis , et rend l’âme
paisible et généreuse pour endurer fortement les torrents de maux qui fondent
sur elle , elle la rend plus prompte pour honorer Dieu , plus fervente aux
travaux et labeurs divins , la fait invincible dans les pressantes adversités ,
patiente en l’espérance et persévérante en ses entreprises.
Cette cotte de maille doit donc reluire comme l’or et être forte comme l’acier
et le fer , attendu que tout homme qui est blessé des flèches de l’amour divin
doit être maniable comme l’or , par la patience contre l’adversités ; il faut
qu’il soit éclatant et brillant par la sagesse et discrétion , de peur qu’il
n’embrasse l’hérésie pour la pureté de la foi , et les choses douteuses pour les
choses certaines.
Que sa cotte de mailles soit aussi forte , et que comme le fer dompte toutes
choses , de même l’homme , se servant de la charité , humilie ceux qui résistent
à la foi et aux bonne mœurs ; qu’il ne s’en retire pour les détractions ; qu’il
ne fléchisse pour les amitiés ; qu’il ne s’attiédisse pour ses commodités
temporelles ; qu’il ne dissimule pour le repos de la chair ; qu’il ne craigne à
cause de la mort , car personne ne lui peut ôter la vie , si ce n’est que Dieu
le permette . En vérité , bien que la cotte de mailles soit faite de plusieurs
anneaux , néanmoins , il y en a deux signalés par lesquels la cotte de mailles
de la charité est composée.
Donc , le premier cercle de la divine charité est la connaissance de Dieu et la
fréquente considération des bienfaits et des préceptes divins , afin que l’homme
sache ce qu’il faut faire pour Dieu , pour le monde et pour le prochain . Le
second cercle du divin amour est retenir et contenir dans les bornes de la
raison sa propre volonté pour l’amour de Dieu . En vérité , celui qui aime Dieu
entièrement et parfaitement , ne se réserve rien de ses propres volontés , qui
sont contraires à celle de dieu . Voici , ô mon fils , que Dieu vous donne cette
cotte de mailles , et je vous l’ai méritée , prévenu de l’amour de Divin.
Après , saint Paul apparut , disant : O mon fils , saint Pierre , le souverain
pasteur des brebis , vous a donné la cotte de mailles ; mais moi , par la
charité divine je vous donnerai le pourpoint , qui est la charité envers le
prochain , savoir : vouloir mourir librement et franchement ,Dieu nous aidant
par ses grâces pour le salut du prochain ; car comme au pourpoint , il y a
plusieurs lames proportionnées et plusieurs clous qui l’unissent , de même en la
charité du prochain , plusieurs vertus y concourent.
Certainement , celui qui aime son prochain est tenu et obligé d’avoir douleur
que tous ceux qui ont été affranchis et réduits par le sang de Jésus , ne
rendent pas un mutuel amour à Dieu . En deuxième lieu , il doit être marri que
la sainte Eglise , épouse de Dieu , ne soit en sa louable disposition ; en
troisième lieu , qu’il y en a peu qui se souviennent de la passion amère de
Jésus , avec ressentiment , amertume et douleur . En quatrième lieu , il doit
prendre garde que son prochain ne soit corrompu par quelque mauvais exemple . En
cinquième lieu , il doit donner à son prochain son bien avec joie , et prier
Dieu pour lui , afin qu’il profite et avance en toute sorte de biens , et y soit
en tout accompli.
Or , les clous qui unissent les âmes sont les paroles divines , car l’homme
charitable doit consoler son prochain affligé en tout lieu par des paroles
charitables , et défendre celui qui est injustement lésé , visiter les infirmes
, racheter les captifs , n’avoir point honte des pauvres , aimer toujours la
vérité , ne préférer rien à la charité , ne s’écarter ni se fourvoyer de la
justice.
J’ai donc été revêtu de ce pourpoint , moi qui ai été infirme avec les infirmes
, qui n’ai eu honte de dire la vérité en la présence des rois et des princes ,
et ai été préparé à mourir pour le salut du prochain.
Après apparut la Mère de Dieu qui dit à ce chevalier : Que vous manque-t-il
encore , ô mon fils?
Je n’ai point de heaume en ma tête , dit-il.
Lors la Mère de miséricorde dit à l’ange gardien de l’âme de ce chevalier : Que
sert votre garde à son âme , ou qu’avez-vous pour offrir et présenter à
Notre-Seigneur?
L’ange répondit : j’ai quelques choses , bien que petites , car souvent il fait
des aumônes et fait des prières avec charité et amour de Dieu ; souvent il
laisse sa propre volonté pour suivre la volonté divine , priant Dieu avec une
grande sincérité , afin que le monde lui soit vil et à mépris , et que Dieu lui
soit très cher et très-aimable sur toutes choses.
La Mère de Dieu répondit : Il est bon d’apporter quelque chose . Nous voulons
donc faire comme fait un bon orfèvre , qui , voulant faire un grand vase d’or ,
et la matière lui manquant , en demande à ses amis qui en ont , lesquels lui en
donnent , afin qu’il achève son vase et son ouvrage . Or , qui donnera de l’or à
celui qui fais son ouvrage de boue , puisque la boue est indigne d’être mêlée
avec l’or ? Or donc , tous les saints qui sont riches en or vous mériteront avec
moi un heaume d’or que vous recevrez bientôt . Or , ce heaume est la volonté de
plaire à Dieu seul ; car comme le heaume défend la tête des coups et des flèches
, de même une bonne volonté de plaire à Dieu en tout , défend l’âme , afin que
les tentations du démon infernal ne la surmontent , et introduit Dieu en l’âme .
. Saint Georges et saint Maurice ont eu cette bonne et sincère volonté , et
encore plusieurs autre , voire même le larron , quand il était pendu au gibet de
la croix . Certes , sans cette bonne volonté , pas un ne jette un bon fondement
pour sa vie , ni ne parvient à la couronne immortelle.
En ce heaume , il faut qu’il y ait deux trous devant les yeux , par lesquels on
prévoie ce qui arrive . Ces deux trous sont la discrétion de ce qu’il faut faire
et la prudence de ce qu’il faut omettre , car sans la discrétion et
préméditation attentive , on fait beaucoup de choses à la fin qui soit mauvaises
, qui semblent néanmoins bonnes au commencement.
Derechef , la Mère de Dieu parla au chevalier , lui disant : Que vous faut-il
encore?
Il répondit : Mes mains sont nues et n’ont point d’armure.
La Mère de Dieu lui dit : je vous aiderai et ferai en sorte que vos mains ne
soient pas nues . Comme il y a deux mains de chair , il y a aussi deux mains
d’esprit : la main droite , avec laquelle il faut tenir et manier le glaive ,
signifie les œuvres de justice ; en cette main doivent être cinq vertus comme
cinq doigts.
La première vertu est qu’un chacun soit juste en soi-même , prenant
soigneusement garde qu’il n’apparaisse en sa parole , œuvre , exemple , quelque
chose qui puisse offenser et mal édifier le prochain , de peur que ce qu’il
reprend en autrui par droit et par justice , il ne le détruise par ses mœurs
déréglées.
La deuxième vertu est qu’il ne rende ou fasse la justice ou les œuvres de
justice pour la faveur des hommes ou pour la cupidité du monde , mais bien pour
le seul et pur amour de Dieu.
La troisième est qu’il ne craigne personne pour la justice , afin qu’en son
jugement se trouvent la miséricorde et la justice , et afin que celui qui a
moins péché et offensé Dieu , soit autrement puni que celui qui l’a gravement
offensé , autrement celui qui a péché par ignorance , autrement celui qui a
péché à dessein ou par malice.
Or , quiconque aura ces cinq doigts doit prendre soigneusement garde que
l’impatience n’aiguise son glaive , que la délectation humaine ne l’émousse ,
que l’imprudence ne le fasse jeter , et que la légèreté de l’esprit ne le
noircisse.
Or , la main gauche est l’oraison divine , qui aura aussi cinq doigts.
Le premier est croire fermement les articles de la foi , de la Déité et humanité
de Jésus , la marquant dans les œuvres ; croire ce que confesse la sainte Eglise
, épouse de Dieu.
La deuxième est ne vouloir pécher et offenser Dieu à dessein et sciemment , et
désirer que les fautes commises soient amendées par la sainte contrition.
le troisième est de prier Dieu afin que l’amour charnel se change en l’amour
spirituel.
Le quatrième est ne vouloir vivre au monde pour autre chose que pour honorer
Dieu et pour diminuer les péchés.
Le cinquième est ne présumer rien de soi , mais craindre toujours Dieu et
attendre la mort à toute heure.
Voilà , ô mon fils , les deux mains que vous devez avoir , la droite pour
brandir et manier le glaive de justice contre les transgresseurs et violateurs
de la justice , et la gauche d’oraison , par laquelle vous demandez justement à
Dieu l’aide et le secours , afin que vous ne vous confiiez jamais de votre
justice , ni ne soyez insolent contre votre Dieu.
La Sainte Vierge Marie apparut derechef et dit au chevalier : O mon fils , que
vous manque-t-il encore?
Il répondit : L’armure de mes pieds.
Et elle lui dit : J’ai ouï autrefois , ô chevalier du monde , mais qui êtes
maintenant mon chevalier , que Dieu a créé tout ce qui est compris dans le
pourpris de l’univers , du ciel et de la terre ; mais entre toutes les choses
intérieures , la plus sublime et la plus digne , la plus belle et la plus
éclatante , c’est l’âme , qui est semblable en ses images à sa bonne volonté ;
car comme d’un arbre procèdent plusieurs rameaux , de même , de l’exercice et de
l’œuvre spirituelle d’une âme sort et dérive votre perfection.
Afin donc que vous obteniez l’armure spirituelle de vos pieds , la bonne volonté
, moyennant la grâce de Dieu , doit être le commencement , en laquelle il doit y
avoir deux considérations comme deux pieds sur des vases d’or . Le premier pied
de l’âme parfaite doit avoir cette considération et résolution de ne vouloir
offenser Dieu , bien que la peine ne suivît le péché ; le second pied est fait
de bonnes œuvres , bien qu’elle sut qu’elle serait damnée pour répondre à la
grande patience et à l’amour de Dieu.
Les genoux de l’âme sont la joie et la force de la bonne volonté , car comme les
genoux se courbent et fléchissent pour l’usage des pieds, de même la volonté de
l’âme se doit fléchir , retenir et contenir, selon la raison et vouloir divin ,
car il est écrit que l’esprit et la chair se contrarient eux-mêmes , c’est
pourquoi saint Paul : je ne fais pas le bien que je veux ; comme s’il disait :
Je veux quelque bien selon l’âme , mais je ne le fait pas à raison de
l’infirmité de la chair , et quand je le fais , ce n’est pas avec joie ; quoi
donc ! L’Apôtre était-il privé de la récompense , d’autant qu’il a voulu et n’a
pas pu , ou parce qu’il faisait le bien , mais non pas avec joie ? Non , mais sa
couronne s’augmentait au double :
1° elle s’augmentait à raison de l’homme extérieur , car son œuvre était pénible
, à cause de la chair qui s’oppose au bien ;
2° elle s’augmentait à raison de l’homme intérieur , car il n’avait pas
toujours les consolations intérieures et spirituelles ; c’est pourquoi plusieurs
séculiers travaillent corporellement , mais ils ne sont pas pour cela couronnés
, d’autant qu’ils sont mus à cela par un motif charnel . Certainement , si Dieu
commandait ce labeur , ils ne seraient pas si ardents à leur travail.
Il faut donc armer les pieds de l’âme de ces gens-là , c’est-à-dire , leur
résolution de ne vouloir point pécher et de vouloir faire de bonnes œuvres ,
bien qu’ils fussent assurés qu’ils seraient armés d’une double armure , savoir ,
la discrétion en l’usage des choses temporelles , et la discrétion et désir des
choses célestes.
Or , l’usage discret et prudent des choses temporelles consiste à avoir des
biens pour se substanter et se nourrir avec modération , et non avec superfluité
; et l’usage prudent , sage et discret , et le désir des choses célestes , est
de vouloir mérité des choses céleste
avec labeur et bonnes œuvres , car véritablement l’homme s’est éloigné de Dieu
par son insupportable ingratitude et son intolérable lâcheté . Partant , il doit
retourner à Dieu par l’humilité et par la diligence des bonnes œuvres . Partant
, ô mon fils ! puisque vous n’avez eu tout ceci , prions les martyrs et les
confesseurs , qui abondent en telles richesses , de vous aider et de vous
secourir.
Lors soudain les saints , apparaissant , dirent : O Dame très bénie , vous avez
porté en vous Notre-Seigneur et vous êtes Dame de l’univers : qu’est-ce que vous
ne pouvez pas vous- même ?
Vraiment , ce que vous voulez est fait . Votre volonté est toujours la nôtre ,
disaient les saints . Vous êtes à bon droit Mère de charité , d’autant que vous
visiter tout le monde par charité.
Derechef la Mère de Dieu apparut et dit au chevalier : Mon fils , il vous manque
encore le bouclier . Deux choses conviennent au bouclier , savoir , la force ,
et le signe empreint en lui du seigneur sous lequel il milite.
Donc , le bouclier spirituel signifie la considération de la passion très amère
de fertile , qui doit être au bras gauche auprès du cœur , afin que toutes les
fois que la volupté de la chair délecte l’esprit , on considère attentivement
les plaies de Notre-Seigneur ; que toutes les fois que le mépris de l’esprit et
les adversités ordinaires du monde nous piquent et nous contristent , la
pauvreté et les opprobres de Jésus-Christ soient médités par celui-là même , et
que toutes les fois que l’honneur et le plaisir passager de cette vie mourante
nous plaisent , on considère et on contemple la passion et la mort amère de
Jésus.
Un tel bouclier doit avoir la force de la persévérance au bien et la longitude
de la charité . Or , le signe gravé sur le bouclier doit être de deux couleurs ,
car on ne voit rien de si loin et de si clair que ce qui est fait de deux
couleurs . Or , les deux couleurs du bouclier de la considération de la passion
divine , sont , contenir , retenir et régler les affections immodérées , et la
pureté , et le frein des mouvements de la chair , car de ces deux choses le ciel
est orné et enrichi , et les anges , les voyant , disent en se congratulant :
Voici le signe de pureté et de notre société : nous sommes obligés d’aider ce
chevalier . Mais les démons infernaux , voyant ce chevalier enrichi et embelli
des signes signalés et insignes de ce bouclier , criaient et hurlaient : Que
ferons-nous , ô compagnons de l’enfer?
Ce chevalier est terrible en ses entreprises et excellent en armes ; à son côté
sont les armes des vertus ; au derrière , il a les armées des anges ; à gauche ,
il est très vigilant gardien , savoir , Dieu , de qui les pouvoirs sont
adorables ; à l’entour de lui , il est tout plein d’yeux , avec lesquels il voit
et regarde notre malice . Nous pouvons bien batailler contre lui , mais à notre
confusion , car jamais nous ne le surmonterons.
Oh ! qu’un tel chevalier est heureux , que les anges honorent , de la crainte
duquel les diables tremblent ! Néanmoins , ô mon fils ,
dit la Mère de Dieu , d’autant que vous n’avez pas obtenu un bouclier juste ,
prions les saint anges qui reluisent en pureté spirituelle , de vous aider.
Derechef , la Mère de Dieu parle , disant : Mon fils , il vous manque encore un
glaive.
Deux choses conviennent au glaive :
1° qu’il soit tranchant des deux côtés ;
2° qu’il soit bien effilé.
Or , le glaive spirituel est la confiance en Dieu pour combattre pour la justice
. Or , cette confiance doit avoir deux tranchants , savoir , la rectitude de la
justice en la prospérité riante comme à la droite, et l’action de grâce en
l’adversité , comme à gauche.
Job , miroir de patience , eut un tel couteau , lui qui , en prospérité , offrit
des sacrifices pour ses enfants , qui fut père des pauvres , qui logeait et
ouvrait la porte aux pèlerins , qui ne marcha point en vanité , qui ne désira
jamais le bien d’autrui , mais qui craignait Dieu , comme celui qui est assis
sur les flots impétueux de la mer . Il rendit aussi actions de grâces en
l’adversité , quand , ayant perdu ses enfants et ses biens , injurié de sa femme
, frappé d’une plaie maligne , il endura patiemment tout cela , disant :
Notre-Seigneur l’avait donné , Notre-Seigneur l’a ôté , qu’il soit béni en tous
les siècles!
Ce glaive doit aussi être bien aiguisé , afin de tailler et de briser ceux qui
en veulent contre la justice, comme firent jadis Moïse , David , Phinées , zélés
pour leur loi , afin de parler constamment comme Elie et saint Jean . Oh ! que
maintenant le glaive de plusieurs est émoussé ! Que , s’ils parlent , ils ne
voudraient pas mouvoir le doigt contre les ennemis ; ils cherchent la gloire et
l’amitié des hommes , et ne se soucient point de l’honneur de Dieu . Donc ,
d’autant que vous n’avez pas eu un tel glaive , prions les patriarches et les
prophètes , qui ont eu une telle confiance , et ce glaive vous sera donné
confidemment.
Derechef la Mère de Dieu apparut et dit au chevalier : Mon fils , il vous
manque encore un manteau pour mettre sur vos armes , afin qu’elles soient
conservées de la rouillure et qu’elle ne soient tachées par la pluie . Ce
manteau est la charité , l’amour et le désir de vouloir mourir pour l’amour de
Dieu , et aussi , si faire se pouvait , sans offense , vouloir être séparer de
Dieu pour le salut de ses frères . Cette charité couvre la multitude des péchés
, conserve les vertus , apaise la fureur de la justice divine , rend toutes
choses possibles , déterre et épouvante les démons et est la joie des anges . Or
, ce manteau doit être blanc au dedans , et au dehors reluisant comme de l’or ,
car le zèle du divin amour est la pureté intérieure , et l’extérieure n’est
point négligée . Les apôtres étaient signalés et embrasés des feux de cette
charité ; partant , il les faut prier , afin qu’ils vous aident.
Derechef la Mère de Dieu apparut , disant : Il vous faut encore , ô mon fils ,
un cheval sellé . Par le cheval est entendu spirituellement le baptême : car
comme le cheval porte et avance l’homme pour faire chemin en peu de temps avec
quatre pieds , de même le baptême , qui est entendu par le cheval, porte l’homme
devant le conspect et présence de Dieu , ayant quatre principaux effets
spirituels :
le premier est que les baptisés sont affranchis et délivrés des griffes de Satan
, et s’obligent aux commandements de Dieu et à le servir ;
le deuxième , ils sont purifiés du péché originel ;
le troisième , ils sont faits enfants de Dieu et ses cohéritiers ;
le quatrième , le ciel leur est ouvert.
Mais hélas ! il y en a plusieurs qui , étant arrivés aux ans de discrétion ,
mettent un mors à ce cheval et le détourne de la vraie voie , le conduisant par
la fausse , car lors la voie du baptême est droite et est tenue à droite fil ,
quand l’homme est instruit avant l’âge de discrétion , et est conservé en bonnes
mœurs ; et quand l’homme est parvenu à l’âge de discrétion et considère
sérieusement qu’est-ce qu’il a promis aux fonts du baptême , garde la foi
inviolable et la charité divine , lors le cheval est bien conduit ; mais lors il
le fourvoie et l’écarte du droit chemin et lui met un mauvais frein , quand il
préfère à Dieu le monde et la chair . La selle du cheval , c’est-à-dire , du
baptême , c’est l’effet de la passion très amère et de la mort horrible de
Jésus-Christ , par laquelle le baptême a obtenu son effet , car qu’est-ce que
l’eau , sinon un élément ? Mais après avoir été fait sang de Dieu , il vient à
l’élément du Verbe divin et à la vertu du sang épandu de Dieu , et de la sorte,
l’eau du baptême , par la parole divin , a été la réconciliation de l’homme et
de Dieu , la porte de miséricorde et la chasse des démons infernaux , la voie du
ciel et le pardon des péchés.
Que qui voudra donc se glorifier en la vertu du baptême , considère , en premier
lieu , l’amertume de l’effet de l’institution baptismale , afin que , quand
l’esprit humain s’enflera contre Dieu , il considère mûrement avec combien
d’amertume Dieu mourant l’a racheté , et qu’il pèse aussi combien de fois il a
enfreint le vœu du baptême , qu’est-ce qu’il mérite pour de si horribles chutes.
D’ailleurs , afin que l’homme s’affermisse en la selle du baptême il a besoin de
deux étoiles , c’est-à-dire , de deux considérations en sa prière . En premier
lieu , il doit prier en ces termes : O Seigneur , Dieu tout-puissant , béni
soyez-vous , vous qui m’avez tiré du néant et m’avez racheté par votre sang! Et
lorsque j’étais digne de damnation , vous m’avez souffert en mes détestables et
abominables péchés , et m’avez doucement et puissamment ramené à pénitence.
Je reconnais , ô Seigneur de l’univers , devant votre majesté , que j’ai
inutilement , misérablement et damnablement dépensé et prodigué tout ce que
vous m’avez donné pour mon salut , savoir : j’ai employé le temps de pénitence
en vanités misérables , mon corps en superfluités, la grâce du baptême en
superbe insupportable , et j’ai aimé plus toute autre chose que vous , mon
Créateur et Rédempteur admirable, mon nourricier très soigneux et mon
conservateur très prudent ! C’est pourquoi je demande votre miséricorde , car je
suis misérable , d’autant que je n’ai pas connu votre bénigne et invincible
patience à mon égard . Je ne considérais pas ce que je devais faire pour
répondre aux biens innombrables que vous m’avez faits , mais au contraire , de
jour en jour , j’ai provoqué votre fureur et votre indignation par mes maux .
Partant , je n’ai qu’une parole : Ayez pitié de moi , ô Dieu , selon votre
grande miséricorde!
Derechef , que la seconde oraison soit faite en ces termes : O Seigneur , Dieu
tout-puissant ! je sais que j’ai toutes choses de vous, que je n’ai rien de moi,
que je ne puis rien qui serve à la gloire de moi-même, et que je n’ai que péché
: partant, je supplie humblement votre clémence, que vous ne me fassiez selon
mes péchés, mais selon votre miséricorde. Envoyez-moi votre Saint-Esprit, qui
illumine mon cœur et me confirme en la voie de vos commandements, afin que je
persévère en eux, lesquels j’ai connu par votre sainte inspiration, et qu’aucune
tentation ne me sépare de vous.
Donc, ô mon fils, attendu que tout cela vous manque, prions tous ceux qui ont
empreint en leur cœur l’amertume de la passion de Jésus-Christ, de vous départir
de leur charité.
Ces choses étant dites, soudain apparut comme un cheval harnaché et enrichi
d’ornements dorés. Et la Mère de Dieu dit : Le bel et riche ornement de ce
cheval signifie les dons du Saint-Esprit qui sont donnés au baptême, car par le
baptême, soit qu’il soit administré par un bon ou par un mauvais ministre, le
péché originel est remis, le Saint-Esprit est donné en gage d’amour, les anges
en garde et le ciel en héritage. Voilà, ô mon fils, les ornements du chevalier
spirituel ; celui qui en sera revêtu et enrichi recevra la récompense
incomparable, par laquelle sont achetés la délectation éternelle, l’honneur
paisible, l’abondance éternelle et la vie sans fin.
Ce chevalier fut M. Charles, fils de sainte Brigitte.
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