Béni soyez-vous, ô mon Dieu, mon Créateur et Rédempteur ! Vous êtes cette
récompense par laquelle nous sommes rachetés, par laquelle nous sommes conduits
et dirigés à toutes les choses salutaires, par laquelle nous sommes unis à
l’unité et à la Trinité. Partant, si j’ai honte de ma laideur et déformité, je
me réjouis néanmoins que vous, qui êtes mort une fois pour notre salut, vous ne
mourez plus, car vous êtes celui-là qui étiez avant les siècles, vous qui avez
puissance de la vie et de la mort ; vous êtes le seul bon et juste ; vous êtes
le seul tout-puissant et formidable. Partant, béni soyez-vous éternellement!
Mais que dirai-je de vous, bienheureuse Marie, le salut entier du monde ? Vous
êtes semblable à l’ami dolent et affligé de quelque chose qu’il a perdue, qui
lui fait voir tout soudain ce qu’il avait perdu ; par lequel la douleur était
soulagée, et la joie indicible croissait, et l’esprit était tout plongé dans la
joie. De même vous, ô très douce Mère, vous avez montré au monde Dieu, que les
hommes avaient perdu ; vous avez engendré dans le temps celui qui était engendré
de toute éternité, de la naissance duquel le ciel et la terre se sont grandement
réjouis. C’est pourquoi, ô très-chère Mère, aidez-moi, je vous en prie, afin que
mon ennemi ne se réjouisse de moi, afin que ses fraudes, ses rudes et ses
déceptions en me surprennent.
La Mère de Dieu lui répondit : Je vous aiderai. Mais pourquoi vous troublez-vous
qu’une chose vous soit montrée spirituellement, et qu’un autre soit ouïe
corporellement, en cela que ce chevalier qui vit corporellement, vous était
montré spirituellement et qu’il avait besoin de secours spirituel. Mais ayez la
certitude de ceci : toute vérité est de Dieu, et tout mensonge est du diable,
car il est père du mensonge ; partant, toute vérité est de Dieu véritable ;
néanmoins, de la malice du diable et du mensonge, que Dieu permet quelquefois
par un juste et occulte jugement, la vertu de Dieu est plus manifeste, comme je
vous le montrerai par un exemple.
Il y avait une vierge qui aimait très tendrement son époux, et semblablement
l’époux aimait cette vierge, de la dilection mutuelle desquels Dieu était
glorifié, et les parents des uns et des autres s’en réjouissaient grandement.
Leur ennemi, considérant cela, pensa ainsi : Je sais que l’époux et l’épouse
s’entretiennent en trois manières : par lettres, par discours mutuels et par
l’union des corps. Afin donc qu’ils ne reçoivent mutuellement des lettres, je
remplirai les chemins d’épines et de crochets ; afin qu’ils ne s’approchent pour
se parler mutuellement, j’exciterai des cris et du bruit, par lesquels ils
seront distraits de leurs colloques, et afin qu’ils ne couchent ensemble,
j’établirai des gardiens de telle trempe, qu’ils observeront tous les trous,
afin qu’ils n’aient occasion de s’unir ensemble.
Or, l’époux, qui était plus fin que l’ennemi, oyant cela, dit à ses serviteurs :
Mon ennemi me dresse des embûches en ces choses : prenez garde en tous ces
lieux-là ; si vous le trouvez faire comme ci-dessus, laissez-le travailler
jusqu’à ce qu’il ait dressé les lacets, et puis, sortant, vous ne le tuerez pas,
mais le trompant et l’attrapant sur le fait, criez contre lui, afin que vos
conserviteurs, voyant les astuces de l’ennemi, soient plus sur leurs gardes en
veillant et se gardant.
De même en est-il des choses spirituelles, car les lettres par lesquelles l’époux et l’épouse, c’est-à-dire, Dieu et une bonne âme,
s’entretiennent, ne sont autre chose que les prières et les soupirs des bons ;
car comme les lettres corporelles signifient l’affection et la volonté de celui
qui les envoie, de même les prières des bons entrent dans le cœur de Dieu, et
unissent l’âme à Dieu par un lien d’amour. Mais le démon empêche souvent les
cœurs des hommes de demander ce qui concerne le salut de l’âme, ou ce qui est
contraire aux voluptés charnelles ; il empêche encore que ceux qui prient pour
les pêcheurs ne soient exaucés, et que les pécheurs ne demandent pour eux ce qui
est utile à leur âme et ce qui profite pour l’éternité.
Or, que sont les mutuels colloques, par lesquels l’époux et l’épouse sont faits
un même cœur et une même âme, si ce n’est la pénitence et la contrition, esquels
souvent le diable fait tant de bruit qu’ils ne se peuvent entendre ? Or, quelle
est sa criaillerie, sinon ses suggestions pernicieuses, pour détourner celui qui
veut faire une pénitence fructueuse, disant par ses fautes ses suggestions : O
âme, vous êtes grandement délicate : il vous sera dur et amer d’entreprendre des
choses non accoutumées. Eh quoi ! Tous ne peuvent-ils pas être parfaits ? Il
suffit que vous soyez du nombre de plusieurs ; pourquoi donc espérez-vous de
plus grandes choses et y tendez-vous ? Pourquoi faites-vous ce que pas un ne
fait ? Vous ne pourrez persévérer ; vous serez l’objet et le sujet des moqueries
d’un chacun, si vous vous humiliez trop et vous vous soumettez de la sorte.
Or, l’âme, étant déçue par telles suggestions malheureuses, pense à part soi :
Il est fâcheux, dit-elle, de laisser ce que j’ai accoutumé ; partant, je me veux
confesser du passé. Il me suffit du reste de suivre la voie de plusieurs ; je ne
puis pas être parfaite ; je ne suis pas assez forte. Dieu est miséricordieux ;
il ne nous aurait pas rachetés par son sang, s’il nous voulait perdre. Par
telles suggestions pestiférées, le diable empêcha l’âme qu’elle n’ouït et
n’écoutât Dieu, non que Dieu n’oie toutes choses, mais Dieu, en oyant telles
choses, ne se plaît pas en l’âme, qui consent plutôt à la tentation qu’à la
raison. Qu’est-ce à dire que Dieu et l’âme sont unis uniment, si ce n’est les
désirs des choses célestes, et la charité pure, de laquelle l’âme doit
incessamment brûler?
Mais cette charité est empêchée en quatre manières : 1- le diable tâche de
porter l’âme à faire quelque chose contre Dieu ; et bien qu’il ne soit réputé,
quand néanmoins cela plaît à l’âme, et d’autant que cette délectation semble
légère, elle est négligée, et partant odieuse à Dieu. 2- Le démon suggère à
l’âme de faire quelque bien pour le plaisir des hommes, et d’omettre, à raison
de la crainte du monde, souvent quelques biens qu’elle pouvait faire pour
l’honneur de Dieu. 3- Le diable met en l’âme l’oubli du bien qu’elle peut faire,
et le dégoût, par lequel l’esprit se ralentit au bien. 4- Le démon infernal
sollicite l’âme, l’inquiète et l’occupe par des songes mondains en des joies
vaines, ou en des craintes dommageables et en des douleurs superflues ; par
telle choses, les communications par lettres, les oraisons des justes et les
colloques mutuels de l’époux et de l’épouse, sont empêchés.
Mais bien que le diable soit feint et cauteleux, Dieu néanmoins est plus sage et
plus fort pour briser et rompre les lacets de Satan, afin que les lettres
envoyées parviennent à l’époux. Or, les lacets sont rompus, quand Dieu nous
inspire de penser aux choses bonnes, et que notre cœur désire ardemment de fuir
ce qui est mauvais et de faire ce qui est agréable à Dieu. Le cri de l’ennemi
capital est aussi dissipé, quand l’âme fait discrètement et sagement pénitence,
ayant volonté de ne faire jamais une autre fois ce dont elle s’est confessée.
Sachez aussi que le diable n’excite pas seulement ses clameurs aux ennemis de
Dieu, mais encore à ses amis, comme vous pourrez l’entendre par un exemple.
Une vierge et un homme parlant ensemble, un gibet apparut devant eux, lequel
l’homme vit, et non pas la vierge. Or, le propos étant fini, la vierge, levant
les yeux, vit le gibet, et craignant, elle pensa à par soi : Dieu nous soit
propice, dit-elle, de peur que je ne sois déçue par les lacets de l’ennemi !
mais l’époux, voyant cette fille triste et abattue, retira soudain le gibet de
devant ses yeux, et lui montra toutes les vérités. De même les hommes parfaits
sont visités par les inspirations divines, par lesquelles le diable excite lors
les clameurs, quand l’âme s’élève à une superbe soudaine, ou qu’elle s’abat par
une crainte servile trop excessive, ou bien quand, avec dérèglement, elle
condescend à souffrir le péché d’autrui, ou bien qu’elle se laisse emporter par
la grande joie ou tristesse.
Il en a été fait de même avec vous, car le diable suggérait à quelques-uns de vous écrire que celui-là qui vivait était mort, d’où
vous avez conçu une grande douleur. Mais Dieu lui montre une mort spirituelle,
de sorte que ce que les écrivains vous ont dit être faux corporellement, Dieu en
vous consolant vous a montré que cela même était vrai. C’est pourquoi ce qui se
dit est vrai, que les tribulations sont vraiment puissantes pour induire au bien
spirituel ; car si vous n’eussiez été affligée à raison du mensonge qu’on vous a
dit, vous n’eussiez pas été affligée, ni partant, une si grande vertu et beauté
de l’âme ne vous eussent pas été montrées.
Partant, afin que vous entendiez la disposition, ordre et dispensation cachée de
la providence divine, il vous était mis en votre âme, et Dieu comme en un gibet
; et d’autant que cette âme vous apparut comme ayant grandement besoin, d’être
secourue, Dieu en toutes ses paroles garda toujours cette conclusion, savoir :
S’il est mort ou vif, vous le saurez en son temps.
Mais la beauté de l’âme et les riches ornements dont elle devait être embellie à
l’entrée du ciel, lui ayant été montrés, soudain le gibet fut ôté de ses yeux,
la vérité lui ayant été montrée que cet homme vivait corporellement, et que
spirituellement il était mort, et que celui qui doit entrer dans le ciel doit
être armé de telles vertus. En vérité, néanmoins, l’intention du diable fut
telle, afin qu’il éprouvât par le mensonge et vous en troublât, et afin qu’étant
marrie et déboutée par la perte d’un si cher ami, il vous retirât de l’amour de
Dieu. Mais après que vous avez dit : Dieu, aidez-moi, lors le voile a été ôté,
et Dieu vous a montré la vérité, tant corporelle que spirituelle.
C’est pourquoi il est permis au diable de troubler les justes, afin que leur
couronne s’augmente.
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