Réponse de la Sainte Vierge à l’épouse touchant trois hommes , pour lesquels l’épouse intercédait auprès de Dieu . Quelles sont les larmes méritoires , et quelles non . Manière dont l’amour de Dieu s’augmente par la méditation de l’humilité de Jésus-Christ . Comment la crainte non filiale ici commençant est bonne.
Chapitre 81

Cet homme-là est comme un sac plein d’arêtes ,duquel , si on en ôtait une , dix y seraient remises . Oui , vraiment , tel est celui pour lequel vous me priez , dit la Sainte Vierge Marie , attendu qu’il laisse un péché pour la crainte de Dieu , et en commet dix pour l’honneur du monde . Quand à l’autre homme pour lequel vous me priez , je vous dis que la coutume n’est pas de donner de bonnes sauces à chair pourrie et puante . Vous demandez que des tribulations lui soient données pour l’utilité de son âme, mais sa volonté est contraire à votre demande , car il désire ardemment les honneurs du monde , et souhaite plus les richesses périssables que la pauvreté , et son cœur est confit en volupté , à raison de quoi son âmes est pourrie et puante devant moi ; et partant , les sauces précieuses , c’est-à-dire , les tribulations de la justice , ne doivent pas lui être appliquées.

Quant au troisième , dans les yeux duquel vous voyez flotter les larmes , je vous dis que vous voyez le corps , et moi je sonde le cœur ; car comme vous voyez que quelquefois une nuée ténébreuse s’élève de la terre et monte jusques au ciel , obscurcissant le soleil , et que cette nuée produit la pluie, la neige largement, et la grêle, et après , la nuée se dissipe et se perd , d’autant qu’elle avait pris connaissance des immondices de la terre, de même tout homme est comparé à cette nuée , quand il se nourrit dans le péché et se plonge dans les infâmes et abominables voluptés jusques à sa vieillesse . Mais la vieillesse arrivant, il commence à craindre la mort, et pense au danger qui le menace ; mais néanmoins , le péché demeure par délectation dans son esprit.

Donc , comme ces nuées tirent les immondices de la terre jusques au ciel , de même la conscience de cet homme se tire des immondices corrompues et puantes du corps et des péchés abominables, et elle donne trois sortes de larmes . Les premières larmes sont comparées aux eaux , qui sont pour les choses charnellement , qui l’aime comme par exemple , il pleure quand il perd ses amis , ou les biens temporels , qui ne servaient point pour son salut ; lors il se dépite et se chagrine contre l’ordre des disposition divines , et lors il jette de grands ruisseaux de larmes , avec une grande indiscrétion.

Les secondes larmes sont comparées à la neige, car quand l’homme commence à penser aux périls de son corps qui s’approchent, les peines de la mort affreuse et les misères incomparables De l’enfer, lors il commence à pleurer, non d’amour et de charité, mais de crainte et d’effroi. Et partant, comme la neige se fond , de même ses larmes cessent soudain.

La troisième sorte de larmes est comparée aux nuées, car quand l’homme pense combien douce lui est et lui était la volupté charnelle, et que , l’ayant eue à horreur, combien de consolation lui en resterait au ciel, il commence à débonder les larmes, se lamentant sur sa perte et sa damnation, ne se souciant de pleurer d’avoir déshonoré Dieu par ses détestables abominations ; ni ne considérait pas qu’il perdait une âme qu’il avait rachetée par son précieux sang, ne se souciant si elle verra et possèdera Dieu ou non après la mort, ne considérant ni ne désirant que d’avoir une demeure au ciel ou en terre , où il ne sentirait aucune peine, mais où elle jouirait d’une volupté éternelle. C’est pourquoi telle larmes sont fort à propos comparées aux nuées , d’autant que le cœur d’un tel homme est trop dur, et n’a aucun sentiment ni mouvement d’amour envers Dieu . Partant, telles larmes ne le portent pas au ciel.

Mais maintenant , je vous veux montrer les larmes qui ravissent l’âme au ciel et qui sont semblables à la rosée, car quelquefois, quelque vapeur sort de la douceur de la terre et monte au ciel sous le soleil, laquelle, étant dissoute par les rayons du soleil , descend derechef en terre , et rend plantureux tous les fruits de la terre , et cela est appelé par vous rosée , comme il paraît aux feuilles des roses, lesquelles , opposées à la chaleur , donnent de l’humidité, et puis, l’humeur descend. De même en est-il de l’homme spirituel.

En vérité, tous ceux qui considèrent la terre bénie, qui est le corps de Notre-Seigneur , et les paroles que Jésus-Christ, Fils de l’Eternel , prononçait de sa bouche propre , quelles grâces il a faites au monde, et quelle peine dure et amère il a soufferte, mû à cela par les ardeurs des divines amours dont il brûlait pour les âmes, lors l’amour qu’il a envers Dieu monte au cerveau, qui est comparé au ciel ; son cœur aussi , qui est comparé au soleil , se remplit des divines amours ; ses yeux s’abîment dans les larmes, pleurant d’avoir offensé un Dieu infiniment bon, qui n’aura jamais d’égal en clémence , désirant maintenant plutôt d’endurer toute sorte de supplices pour l’honneur de Dieu , que de jouir de tous les autres plaisirs et être séparer de Dieu. C’est pourquoi ces bonnes larmes sont comparées à la rosée qui tombe des cieux, d’autant qu’elles donnent la vertu de faire des bonnes œuvres fructueuses devant Dieu, et que , comme les fleurs écloses et croissantes attirent à elles la rosée qui tombe, et que la rosée est enclose en la fleur, de même les larmes.

Qui sont épanchées par les feux de la divine charité , enferment Dieu en l’âme d’une manière du tout signalée , et Dieu , d’un pouvoir amoureux , attire et ravit l’âme à soi : néanmoins , il est bon de craindre à raison de deux choses : 1° d’autant que l’abondance des œuvres faites avec crainte peut être si grande en quantité qu’elles attirent après quelque scintille de grâce au cœur pour obtenir la charité. Vous le pourrez comprendre par similitude.

Par exemple : il y avait un orfèvre qui mettait quantité d’or sur les balances , auquel le charbonnier vint, lui disant : Monsieur, j’ai du charbon pour l’usage de vos œuvres ; donnez-moi ce qu’il vaut.
Il lui répondit : Le charbon est taxé en sa valeur.

Et lui ayant donné de l’or pour son paiement, l’orfèvre disposa les charbons selon la règle de son art, et l’or pour son entretien.
De même en est-il des choses spirituelles , car les œuvres faites sans charité sont semblables aux charbon , et la charité à l’or. Partant, celui qui fait ses bonnes œuvres, par l’esprit de crainte , ayant néanmoins le désir d’acquérir le salut de son âme avec ses œuvres , cet homme-ci , bien qu’il ne souhaite voir Dieu au ciel , mais craint seulement de loger en enfer, a néanmoins de bonne œuvres, mais froides, et qui apparaissent devant Dieu comme des charbons. Mais Dieu est comparé à un orfèvre, qui sait en la justice spirituelle par quelles manières il faut récompenser les œuvres, ou par quelle justice divine la charité divine est acquise ; Il l’ordonne ainsi de la sorte dans les arrêts et décrets de sa providence divine, que l’homme ait la charité pour les bonnes œuvres faites avec crainte, laquelle l’homme dispose pour le salut de son âme.

Comme donc l’orfèvre , plein d’amour et de charité , se sert de charbons pour son ouvrage, de même Notre-Seigneur Jésus-Christ use des œuvres froides pour son honneur et sa gloire.
Le deuxième : il est bon de craindre , d’autant que tout autant de péchés que l’homme laisse pour la crainte, il sera délivré et affranchi d'autant de peines du péché dans l'enfer ; néanmoins, d'autant qu'il n'a pas eu de la charité, il n'a pas aussi de la justice pour monter au ciel, car sa volonté est telle que, s'il pouvait, il voudrait vivre éternellement en ce monde.

Hélas, au cœur de celui-la la charité n'y est point, et les faits de Notre-Seigneur et Rédempteur sont quasi aveugles devant lui; partant, il pèche mortellement et sera jugé et condamné à l'enfer. Néanmoins, n'est pas tenu de brûler dans l'enfer, mais d'être assis et plongés dans les ténèbres épaisses, celui qui a cessé de pécher à raison des peines et supplices, mais il ne ressentira pas les joies indicibles du ciel, d'autant qu'il ne les a pas désirées pendant le cours de sa vie; c'est pourquoi il sera assis comme un aveugle et muet comme un homme qui n'a ni pieds ni jambes, car son âme comprend les peines de l'enfer, et bien peu les joies indicibles du ciel.

DECLARATION
Cette déclaration est de trois chevaliers: le premier fut de Scania, duquel a été faite une telle révélation. Sainte Brigitte vit cette âme comme revêtue d'écarlate deux fois teinte, mais parsemée un peu de noir comme de petites gouttes; et l'ayant vue soudain, elle sortit de sa présence. Trois jours après, elle vit la même âme toute rouge mais reluisante en pierreries et perles enlacées en or. Tandis qu'elle admirait cela, l"Esprit de Dieu lui dit : Cette âme a été occupée aux soins du monde; mais ayant une vraie foi, elle est venue gagner les indulgences à Rome, à intention d'obtenir la charité, la divine dilection et la volonté ferme de ne pécher à l'avenir à escient.

L'âme que vous avez vu revêtue d'écarlate, signifie qu'avant la mort du corps, elle a obtenu la divine dilection, bien qu'imparfaite. Quant à ce que vous l'avez vue parsemée de gouttes noires, cela signifie qu'elle avait quelques mouvements et ressentiments d'amour charnel envers ses parents, et de retourner en son pays; néanmoins elle résigna sa volonté a la mienne, c'est pourquoi elle a mérité d'être purifiée et d'être disposée à des choses sublimes. Quant à ce que vous l'avez vue entre les pierres éclatantes en couleur rouge, cela signifie que pour la bonne volonté et par l'effet des indulgences , il s'approchait de la couronne tant désirée.

Voyez donc ma fille, et considérez quels biens apportent les indulgences de cette ville aux hommes qui viennent ici avec l'intention sainte de les gagner; car si on donnait à quelqu'un mille milliers d'années, comme elle sont données à raison de la foi et dévotion de ceux qui y viennent, la proportion et le poids ne seraient pas encore digne d'obtenir la divine charité sans la grâce divine, laquelle charité est vraiment donnée et méritée à raison de ces indulgences que mes saints ont méritées par leur sang.

Le Fils de Dieu parle en la même révélation de deux chevaliers qui ont été de Mallande. Que vous a dit ce babillard plein de vanité, ce souffle du vent ? N'est-ce pas que plusieurs doutent de mon suaire, s'il est vrai ou non? Mettez-lui constamment quatre choses que je vous dis : 1° que plusieurs thésaurisent et ne savent pour qui; 2° que celui qui n'expédie et n'exploite le talent que Dieu lui a commis avec joie et plaisir, et le retient au contraire inutilement, tombe dans les jugements effroyables de Dieu Tout-Puissant ;
3° que celui qui aime plus la terre et le sang que Dieu, ne sera point en la compagnie de ceux qui ont faim et soif de la justice; 4° que celui qui n'exauce point ceux qui crient a lui, criera lui-meme et ne sera point exaucé.
Quant à mon suaire, qu'il sache que, comme la sueur de mon sang coula de mon corps, lorsque je m'approchais de ma passion très amère et quand je priais mon Père, de même cette sueur coula de ma face, pour la grandeur et qualité de celui qui priait pour la consolation de la postérité.

Le troisième chevalier fut de Suède, duquel telle révélation a été faite. Le Fils de Dieu parle: Il est écrit que l'homme est sauve par la femme fidèle: de même la femme de ce soldat s'est avancée et a conçu promptement pour délivrer son mari de la gueule de Satan, car d'une main, elle l'a arrache des mains du diable, savoir, avec des larmes, oraisons et œuvres de charité. De l'autre main, elle l'a affranchi de la captivité du dragon infernal, par ses salutaires avertissements, par son exemple et sa doctrine, de sorte qu'il s'approche de la voie du salut.

Partant, il faut considérer trois choses qui sont écrites en la loi vulgaire, car en elle il y a trois choses remarquables : l'une est portée en titre au frontispice : posséder ; l'autre s'appelle vendre ; la troisième acheter . Au premier, qui est posséder, je dis: Rien n'est justement possédé, si ce qui est justement acquis, car tout ce qui est acquis par des inventions frauduleuses, par des occasions de malice, par des prix inégaux, n'est pas agréable à Dieu. Au deuxième, qui est vendre, je dis que quand quelque chose est vendue par pauvreté et crainte, et quelquefois par violence et jugement injuste, une conscience doit être sondée pour voir si la compassion et la charité sont en son cœur.

Au troisième qui est acheter je dis que celui qui veut acheter quelque chose doit sonder si la chose qui se vend est justement acquise, et aussi ce avec quoi on l'achète . Et de fait, en la loi, rien n'a été agréable de ce qui a été acquis par exaction injuste. Partant, celui-ci doit sonder diligemment en son esprit et savoir pour certain qu'il me rendra raison de toutes choses, voire de ce que ses parents lui ont laisse, s'il dépend tout cela plus pour le monde , et en outre, s'il l'a dépendu plus pour l'utilité raisonnable que pou Dieu. Qu'il sache aussi qu'il me rendra raison de sa malice , avec quelle intention il la reçoit en son cœur, pourquoi et comment il la conserve, et en quelle manière il accomplit le vœu qu'il m'a fait.