Le Fils de Dieu parle : Il est écrit que Jacob servit pour avoir Rachel en
épouse; et les jours lui semblaient courts, à raison de la grandeur de l’amour
qu’il lui portait, d’autant que la ferveur de l’amour soulageait ses peines.
Mais Jacob, pensant jouir du fruit de ses peines, fut déçu et trompé; néanmoins,
il ne cessa point de servir pour avoir Rachel.
Certes, l’amour ne se plaint jamais des difficultés, jusqu’à ce qu’il ait acquis ce qu’il désire : de même en
est-il dans les choses spirituelles, car plusieurs, pour obtenir le ciel,
travaillent généreusement en prières et en œuvres pies; mais hélas! lorsqu’ils
pensent arriver au sommet d’une sublime contemplation, ils se trouvent
accueillis d’un monde de tentations importunes, et assaillis d’une armée de
tribulations; et lors, là où ils pensaient être parfaits, ils se trouvent en
tout imparfaits, ni n’est pas merveille, car ces tentations nous font voir clair
en nous-mêmes, nous éprouvent, nous purifient; d’où vient aussi que ceux qui
sont assaillis par les tentations au commencement, sont, dans le progrès et à la
fin, solides en leur dévotion. D’autres sont rudement tentés au milieu et à la
fin, et ceux-là prennent soigneusement garde à eux-mêmes, et ne présument jamais
d’eux-mêmes, mais travaillent avec plus de courage, comme Laban disait à Jacob :
La coutume est de prendre pour femme la fille aînée; comme s’il disait qu’il
faut plutôt exercer la peine, et puis, on jouira du repos tant désiré.
Partant, n’admirez plus, ô ma fille, si les tentations croissent, même en la
vieillesse, car comme il est licite de vivre, de même il est possible d’être
tenté, car le diable ne dort jamais. Et certes, la tentation est occasion pour
arriver à la perfection, afin que l’homme ne présume de soi; je vous en montre
un exemple de deux personnes : l’un fut rudement tenté au commencement de sa
conversion; il persista, il profita, et il a acquis ce qu’il désirait; l’autre,
en sa vieillesse, a expérimenté de grandes tentations, lesquelles il aurait pu
avoir en sa jeunesse, et par lesquelles il fut si enveloppé qu’il oublia toutes
les premières tentations. Mais d’autant qu’il a suivi le conseil d’autrui en ses
tentations, et n’a point laissé ses exercices, bien qu’il se soit senti froid et
lâche, il est néanmoins parvenu au comble de ses désirs et au repos de l’esprit,
connaissant en soi-même que les jugements de Dieu sont occultes et justes, et
que, si les tentations ne l’eussent agité, à grand’peine serait-il parvenu au
salut éternel.
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