INTERROGATION XV |
I. Le même religieux apparut en disant : O Juge, je vous demande pourquoi
plusieurs choses qui semblent de nulle utilité, sont créées.
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REPONSE DE JESUS-CHRIST |
I. Le Juge répondit : Mon ami, comme mes œuvres sont en grand nombre, aussi
sont-elles admirables et incompréhensibles. Que si mes œuvres sont en grand
nombre, elle ne le sont pas sans sujet. Certainement, l’homme est semblable à un
enfant nourri dans la prison et dans les ténèbres, qui , si on lui disait qu’il
y a une belle lumière et des astres, ne le croirait pas, d’autant qu’il ne les a
jamais vus : de même, quand il a laissé une fois la lumière vraie, il ne se
plaît que dans les ténèbres, conformément à la maxime vulgaire :
Celui qui est accoutumé au mal, le mal lui est doux. Donc, bien que l’esprit de l’homme soit aveuglé en moi, néanmoins, il n’y a pas obscurité ni changement tel que je n’ai disposé avec tant de tempérance, sapience et honnêteté toutes choses, qu’il n’y a rien qui soit fait sans sujet et sans utilité, voire même les montagnes les plus hautes, les déserts, les lacs, les bêtes , les reptiles voire les animaux venimeux. Mais comme je pourvois à l’homme, de même ai-je soin des animaux. Je suis semblable à l’homme qui a des lieux pour se promener ; d’autres pour la garde des animaux apprivoisés ; d’autres pour les animaux farouches ; d’autres pour tenir soin conseil ; d’autres parce que la disposition de la terre le requiert ainsi ; d’autres pour la correction des hommes. De même j’ai range toute choses avec raison, les unes pour l’utilité de l’homme ; les autres pour son plaisir ; les autres pour le divertissement des animaux ; quelques autres pour retenir dans les bornes de la raison la cupidité des hommes ; les autres pour la congruité des éléments ; quelques autres pour l’admiration de mes œuvres ; quelques autres pour la punition des péchés ; d’autres pour la convenance des supérieurs et des inférieurs ; d’autres pour des causes et sujets réservés et connus de moi seul. Car voici une abeille petite qui sait choisir des fleurs le miel en grande quantité, comme un nombre d’autres petites créatures qui font leur fonction, et surpassent l’homme en industrie et au choix des herbes, et en la considération et acquisition de leur utilité, et plusieurs choses leur sont utiles, qui sont néanmoins nuisibles à l’homme. Qu’est-il donc de merveille si les soins des hommes sont faibles pour discerner et entendre mes merveilles, vu de petites créatures les surpassent ? Qu’y a-t-il de plus difforme que la grenouille et le serpent ? Quoi de plus contemptible que l’ortie et autres herbes ? et néanmoins, elles sont fort utiles à ceux qui savent discerner et connaître l’excellence de mes œuvres. Et partant, tout ce qui sert à quelque usage et utilité, et tout ce qui a mouvement, cherche sa conservation et son affermissement. D’autant que toutes mes œuvres sont admirables et toutes me louent en leur manière, l’homme, qui est plus excellent que les autres créatures, est plus obligé de rechercher en tout mon honneur. Certainement, si les montagnes ne bornaient les digues des rivières, l’impétuosité des eaux vous submergeaient tous, et si les bêtes n’avaient ou se retirer, comment pourraient-elles échapper à l’insatiable cupidité des hommes ? Que si toutes choses étaient soumises à la dévotion de l’homme, il ne désirerait pas lors les richesse célestes. Si les bêtes ne travaillaient ni ne craignaient, elles se perdraient et s’affaibliraient. Partant, plusieurs de mes œuvres ont été cachées afin que moi, Dieu admirable et incompréhensible, sois connu et honoré des hommes, par l’admiration de la créature de tant de diverses et différentes créatures. II. Pourquoi l’homme ne voit-il pas les âmes ? L’âme est d’une meilleure nature que le corps, d’autant qu’elle a été créée par la vertu de ma main toute puissante, et qu’elle a l’immortalité avec les anges. Elle est plus excellente que toutes les planètes, plus éminente que tout le monde. D’autant donc que l’âme est d’une excellente nature, donnant au corps le vivification et la chaleur , et d’autant plus qu’elle est spirituelle, elle ne peut être vue corporellement ni entendue que par des similitudes corporelles. III. Pourquoi mes amis ne sont-ils pas toujours exaucés quand ils me prient ? Je suis comme la mère qui, voyant que son fils la prie comme son salut, diffère d’exaucer sa demande, retenant ses pleurs avec quelque menace d’indignation, laquelle n’est pas colère, mais grande miséricorde. De même moi, Dieu, je n’exauce pas toujours mes amis, d’autant que je vois mieux ce sui est utile pour leur salut. Eh quoi ! saint Paul et d’autres ne m’ont-ils pas prié efficacement, et néanmoins, ils n’ont point été exaucés, pourquoi ? d’autant que mes amis même ont quelques faiblesse et quelque chose à purifier en l’abondance des vertus ; c’est pourquoi ils ne sont point exaucés, afin qu’ils en soient d’autant plus humbles et plus fervents qu’ils sont conservés par ma grâce sains et saufs en la charité ès tentation du péché. C’est donc un jugement de grande dilection que mes amis ne soient pas exaucés en leur oraison, pour leur plus grand mérite et pour éprouver leur constance, car comme le diable s’efforce de corrompre la vie du juste par le péché ou par la mort contemptible, afin qu’il puisse relâcher la constance des fidèles, de même je permets, non sans grand sujet, que le juste soit éprouvé, afin que sa constance soit connue aux autres, et que lui soit plus excellemment couronné ; et comme le diable ne craint point de tenter les siens, qu’il voit enclin à pécher, de même je n’épargne point mes élus, que je vois préparés au bien. IV. Pourquoi n’est-il pas toujours permis de faire le mal que quelques-uns veulent ?Quiconque a deux enfants, l’un obéissant, l’autre rebelle, le père résiste au rebelle autant qu’il lui plaît, afin qu’il n’excède en sa malice, et il éprouve l’obéissant, l’excitant à de plus grandes choses, afin que le rebelle en soit excité à des choses meilleures. De même je ne permets pas que les mauvais pèchent, qui font bien parmi leur malheurs, avec lesquels ils profitent, ou à eux, oui aux autres. Partant, ma justice veux qu’ils ne soient pas soudain donnés au diable, et qu’ils n’aient pas toujours la puissance d’accomplir leurs pernicieux desseins. V. Pourquoi les maux assaillent-ils ceux qui ne les ont point pas mérités ? Celui qui est bon est connu de moi seul, et je sais ce qu’il mérite. Certes, plusieurs choses semblent belles, bien qu’elles ne le soient pas. Le feu éprouve l’or. Or , le juste est souventefois affligé, afin qu’il serve d’exemple aux autres et soit richement couronné. Job a été éprouvé de la sorte, qui était néanmoins bon avant l’affliction ; mais dans les afflictions, il fut épuré et connu des hommes. Mais qui et celui qui voudra sonder et éplucher pourquoi je l’ai affligé, si ce n’est moi-même qui l’ai prévenu de mes bénédictions, qui l’ai conservé afin qu’il ne péchât point, qui l’ai soutenu en ses tentations ? et comme je l’ai prévenu de ma grâce dans aucun sien mérite, de même je l’ai éprouvé avec ma justice et ma miséricorde, car pas un ne sera justifié devant moi, sinon par ma grâce. VI. Pourquoi ceux qui ont mon Esprit pèchent-ils ? L’Esprit divin n’est pas attaché, mais il inspire où il veut, se retire quand il veut, et il n’habite point en un vase plein de péché, mais en celui qui est plein de charité et d’amour, d’autant que moi, Dieu, je suis la charité, et là où je suis, la liberté se trouve. Celui donc qui reçoit mon Esprit peut pécher s’il veut, car tout homme a le libéral arbitre. C’est pourquoi quand l’homme est averti d’amender sa volonté, Balaam voulut maudire mon peuple, mais je ne le permis pas. Bien qu’il fût mauvais et ambitieux prophète, il parlait néanmoins, et disait quelque chose de bon, non de soi, mais de mon Esprit, car souvente fois le don de mon Esprit est donné aux bons et aux mauvais ; autrement ces grands éloquents n’eussent pas tant disputé des choses sublimes, s’ils n’eussent eu mon Esprit, ni les fous n’eussent pas tant déliré, s’ils n’eussent fait contre moi, et se fusent laissés emporter à la superbe, voulant savoir plus qu’il ne fallait. VII. Pourquoi le diable est-il plus présent aux uns qu’aux autres ? Le diable est comme le bourreau et l’épreuve des bons, c’est pourquoi, par ma permission, il vexe quelques âmes lesquelles pèchent contre la raison , s’abandonnent à l’immondicité , à l’avarice , à l’infidélité . Il trouble leurs consciences et leur corps, qui sont ici tourmentés et purifiés pour quelques péchés. Cette vexation et peine sont communes à tous les enfants, tant des païens que des chrétiens, et cela à raison du peu de soin des parents, ou le défaut de la nature, ou bien pour épouvanter les autres, ou pour l’humiliation d’autrui, ou bien pour quelques péchés, ma justice en disposant et permettant des peines, afin que ceux auxquels l’occasion du péché est ôtée, ne soient punis plus rudement, ou afin qu’ils soient couronnés plus richement. De semblables choses arrivent aux autres animaux, ou bien à raison des péchés des hommes , ou bien pour abréger leur vie , ou bien l'intemperie de leur nature. Quant à ce que le diable est plus voisin et plus près des uns que des autres , je le permets de la sorte pour une plus grande humiliation et pour qu'ils soient mieux sur leurs gardes , ou pour une plus grande couronne , ou pour exciter un plus grand soin à me rechercher , ou pour purifier leurs péchés en cette vie , ou bien que la peine de quelques-uns , à raison de leur méchanceté , commence déjà en ce monde pour ne finir jamais. |