INTERROGATION VII

I. Le même religieux apparut, disant : O Juge, je vous demande pourquoi on voit au monde du beau et du vil.

II. Pourquoi ne suivrai-je l’éclat et la beauté du monde, puisque je suis né de sang noble?

III. Pourquoi de m’élèverai-je sur les autres, puisque je suis riche?

IV. Pourquoi ne me préférerai-je pas aux autres, puisque je suis plus honorable que les autres?

V. Pourquoi ne rechercherai-je pas ma louange propre, puisque je suis bon et louable?

VI. Pourquoi n’exigerai-je des récompenses, puisque je fais du plaisir aux autres?

REPONSE DE JESUS-CHRIST
I. Le Juge répondit : Mon ami , ce qui est vil et beau au monde, est doux et mauvais par diverses considérations, car l’utilité du monde, qui n’est autre que le mépris du monde et son adversité, est fort utile pour l’avancement du salut aux justes. Or, la beauté du monde est sa prospérité, et elle est comme une glace qui flatte faussement et trompeusement. Celui qui fuit l’éclat du monde, méprisant sa douceur, ne descendra point à la vilité de l’enfer, ni ne goûtera point ses amertumes qui n’ont point d’égal en malheur, mais montera à mes joies indicibles, qui n’auront jamais de fin. Afin donc de fuir la vilité de l’enfer et d’acquérir la douceur du ciel, il est nécessaire d’aller plutôt après la vilité du monde qu’après sa beauté et son éclat. Certainement ; toutes choses ont été bien créées de moi, et toutes choses sont grandement bonnes ; il faut néanmoins se donner garde de celles qui peuvent donner à l’âme occasion de nuire.

II. Vous avez été conçu dans l’iniquité. Vous avez été, dans le sein de votre mère, comme mort et tout immonde. Il ne fut point en votre puissance de naître de nobles ou de roturiers. Ma main, toute pleine de bonté et de piété, vous a mis au jour, et vous a donné la vie. Donc, vous qui êtes appelés nobles, humiliez-vous sous moi, qui suis votre Dieu, qui a ordonné que vous naîtriez de nobles parents, et conformez-vous à votre prochain, car il est de même matière que vous, bien que vous soyez d’une plus excellente, ma providence disposant de la sorte. En effet, vous n’êtes différents qu’en la manière : il est d’une basse maison, et vous êtes d’une maison illustre. Mais vous qui êtes noble, craignez plus que les roturiers, d’autant que, plus vous êtes noble et riche, plus vous êtes obligé de bien faire et de vous préparer à rendre raison plus étroitement, et le jugement sera d’autant plus rigoureux que plus ils auront reçu.

III. Pourquoi ne dois-je m’enorgueillir de mes richesse ? Je réponds : D’autant que les richesse du monde ne sont point à vous, sinon en tant que vous en avez besoin pour votre nourriture et pour votre vêtement, car le monde est fait, afin que l’homme, ayant la nourriture corporelle, retourne heureusement à moi, son, son Dieu, par la peine et par l’humilité, à moi dont il s’est retiré, et qu’il a méprisé par sa rébellion. Or, si vous dites que les biens temporels sont à vous, je cous dis aussi pour certain que vous usurpez toutes choses avec violence, et celles dont vous n’avez aucune nécessité, car les biens temporels doivent être tous communs, et par charité, doivent être à tous les pauvres également.

Mais vous usurpez sans nécessité et pour la pure superfluité, ce qu’il fallait distribuer aux autres par compassion, bien que plusieurs ont raisonnablement plusieurs choses, qui les distribuent plus discrètement que les autres. De peur donc que vous n e soyez repris plus rudement , aux justes et formidables jugements de Dieu, d’avoir plus reçu que les autres, je vous conseille qu’en vous enorgueillissant et en amassant, de ne vous préférer aux autres, car comme il est plaisant et délectable au monde d’avoir plus de richesses que les autres et d’en abonder, de même, au jugement de Dieu, il est terrible outre mesure de n’avoir disposé même des choses licites aux indigents avec raison.

IV. et V. Pourquoi ne faut-il pas rechercher la louange propre? Je réponds : Pas un n’est bon de soi que Dieu seul ; et celui qui est bon hors de lui, est bon par la participation de ma bonté. Donc, si cous cherchez votre louange, d’où vient tout don parfait et accompli, votre louange est fausse, et vous faites injure à moi, votre Créateur. Partant, comme de moi dépendent tous les biens que vous avez, de même il me faut attribuer toute louange ; et comme je suis votre Dieu, je vous dépars tout ce qui est du temporel : la force, la santé, la sainte conscience, discrétion et jugement, pour choisir ce qui vous est le plus utile, disposer du temps, régir votre vie. Si vous disposez bien raisonnablement et sagement, je suis beaucoup à honorer, puisque je vous en ai donné la grâce. Que si vous en disposez autrement, ce sera votre faute et un argument de votre ingratitude.

VI. Pourquoi ne faut-il pas rechercher une récompense temporelle en ce monde pour les bonnes œuvres ? Je vous réponds :Quiconque fait bien à autrui a intention de ne se souvenir point de la récompense des hommes, mais seulement il attend celle que je lui voudrai donner, celui-là aura une grande chose pour une petite, une chose éternelle pour une chose temporelle. Mais celui qui, pour les choses temporelles, cherche les choses terrestres, aura ce qu’il désire, mais il perdra ce qui est éternel. Partant, afin qu’on obtienne pour une chose passagère ce qui est éternel, il est plus utile de ne rechercher point autre récompense que de moi.