Notre-Seigneur déclare à l’épouse comment il l’a fait nourrir en la vie spirituelle et dans les vertus, par un ange à la façon d’un enfant. Il la recommande encore à la Vierge. Il raconte encore comment, par une subtile ruse, il l’a arrachée au monde et l’a conduite au port du salut, et lui commande de déclarer toutes ses tentations aux pères spirituels, et qu’elle fera une bonne fin.
Chapitre 14

Un des anges parlait à Jésus-Christ, disant : Louange vous soit, O Seigneur, de toute votre troupe, pour l’amour que vous nous portez ! Vous avez commis cette épouse à ma garde : je vous la recommande aussi, car je l’attirais comme une petite fille à vous, en lui donnant des pommes ; et après les pommes, je lui disais : Suivez-moi encore, et je vous donnerai du vin très-doux, d’autant qu’en la pomme, il n’y a qu’un peu de saveur, mais au vin, il y a une grande douceur et un sujet de joie à l’âme. Or, ayant goûté le vin, je lui ai dit derechef : Avancez encore plus avant, car je vous dispose ce qui est éternel et en quoi est tout le bien.

Ces choses étant dites, Notre-Seigneur dit à l’épouse : Il est vrai que mon serviteur me parlait de vous, vous l’entendant ; il vous attirait à moi comme avec des pommes, lorsque vous pensiez que toutes choses venaient de moi et me rendiez grâces de tout ce que vous aviez reçu de moi ; car comme en la pomme, il n’y a qu’une petite saveur et un médiocre rassasiement, de même mon amour ne vous était pas alors à grand goût, si ce n’est que quelque suavité fût en votre cœur de penser à moi. Mais lors vous avez passe plus outre quand vous pensiez ceci : La gloire de Dieu est éternelle, et la joie du monde fort courte et trop inutile à la fin du monde. Que me sert-il d’aimer de la sorte les choses temporelles?

Après avoir eu cette pensée, vous commençâtes de vous abstenir courageusement des délectations du monde, et faire les biens que vous pouviez à l’honneur de mon nom ; et lors vos désirs furent plus grands à mon endroit. Après que vous eûtes pensé que j’étais tout-puissant et Seigneur, duquel, comme de la source, dépendent toute sorte de biens, et renonçâtes à vos volontés, faisant miennes, lors de droit vous été faite mienne ; je vous ai acceptée et ai fait que vous fussiez mienne.

Cela étant dit, Notre-Seigneur dit à l’ange : Mon serviteur, vous êtes riche en moi ; votre honneur est éternel ; le feu de votre amour est inextinguible ; ma vertu est indéficiente ; vous m’avez recommandé mon épouse, mais je veux que vous la gardiez encore jusqu'à ce qu’elle soit arrivée à l’âge ; gardez-la bien, afin que le diable ne lui présente à l’inconsidéré quelque chose mauvaise. Ayant soin de la vêtir des robes des vertus, vêtements de toute sorte d’éclat et de beauté ; entretenez-la de mes paroles, qui sont comme de la chair fraîche, par lesquelles le sang est amélioré, la chair infirme s’en porte mieux, et une sainte délectation est excitée en son ame, car j’ai fait à cette mienne épouse comme quelqu’un à accoutumé de faire à son ami, lequel il attire et allèche par amour, lui disant : Mon ami, entrez en ma maison, et voyez ce qui s’y fait et ce que vous y devez faire à l’entrée.

Celui qui l’a attiré dans la maison ne lui montre pas d’abord les serpents et les lions farouches qui sont en la maison, afin que son ami ne soit épouvanté ; mais pour la consolation de son ami, il lui fait voir les serpents comme des brebis douces, et les lions comme des ouailles très-belles, disant à son ami : Mon ami, sachez que je vous aime et que je vous ai attiré pour votre bien. Partant, dites à vos amis tout ce que vous verrez, car ils vous consoleront et vous garderont, de sorte que ma captivité vous sera plus agréable que votre propre liberté.

De même en ai-je fait à votre égard, O ma fille bien-aimée ! Je vous ai comme attirée et captivée, quand je vous ai retirée de l’amour du monde et vous ai liée au mien ; quand je vous ai retirée des dangers du monde dans ce port de salut, dans lequel ceux que pensez être vierges par continence, sont vraiment des lions par malice, ceux que vous croyez des brebis par la contemplation divine, sont comme des serpents rampants à terre, et par la ventre de la gueule et cupidités insatiables. Partant, ne rapportez point ailleurs ce que vous verrez et oirez, mais bien à mes amis qui vous gardent et vous instruisent, car l’Esprit qui vous a conduite au port, celui-là même vous conduira à la patrie ; et celui qui vous a conduite à un bon principe, celui-là vous dirigera à une meilleure fin.