Un des anges parlait à Jésus-Christ, disant : Louange vous soit, O Seigneur, de
toute votre troupe, pour l’amour que vous nous portez ! Vous avez commis cette
épouse à ma garde : je vous la recommande aussi, car je l’attirais comme une
petite fille à vous, en lui donnant des pommes ; et après les pommes, je lui
disais : Suivez-moi encore, et je vous donnerai du vin très-doux, d’autant qu’en
la pomme, il n’y a qu’un peu de saveur, mais au vin, il y a une grande douceur
et un sujet de joie à l’âme. Or, ayant goûté le vin, je lui ai dit derechef :
Avancez encore plus avant, car je vous dispose ce qui est éternel et en quoi est
tout le bien.
Ces choses étant dites, Notre-Seigneur dit à l’épouse : Il est vrai que mon
serviteur me parlait de vous, vous l’entendant ; il vous attirait à moi comme
avec des pommes, lorsque vous pensiez que toutes choses venaient de moi et me
rendiez grâces de tout ce que vous aviez reçu de moi ; car comme en la pomme, il
n’y a qu’une petite saveur et un médiocre rassasiement, de même mon amour ne
vous était pas alors à grand goût, si ce n’est que quelque suavité fût en votre
cœur de penser à moi. Mais lors vous avez passe plus outre quand vous pensiez
ceci : La gloire de Dieu est éternelle, et la joie du monde fort courte et trop
inutile à la fin du monde. Que me sert-il d’aimer de la sorte les choses
temporelles?
Après avoir eu cette pensée, vous commençâtes de vous abstenir courageusement
des délectations du monde, et faire les biens que vous pouviez à l’honneur de
mon nom ; et lors vos désirs furent plus grands à mon endroit. Après que vous
eûtes pensé que j’étais tout-puissant et Seigneur, duquel, comme de la source,
dépendent toute sorte de biens, et renonçâtes à vos volontés, faisant miennes,
lors de droit vous été faite mienne ; je vous ai acceptée et ai fait que vous
fussiez mienne.
Cela étant dit, Notre-Seigneur dit à l’ange : Mon serviteur, vous êtes riche en
moi ; votre honneur est éternel ; le feu de votre amour est inextinguible ; ma
vertu est indéficiente ; vous m’avez recommandé mon épouse, mais je veux que
vous la gardiez encore jusqu'à ce qu’elle soit arrivée à l’âge ; gardez-la bien,
afin que le diable ne lui présente à l’inconsidéré quelque chose mauvaise. Ayant
soin de la vêtir des robes des vertus, vêtements de toute sorte d’éclat et de
beauté ; entretenez-la de mes paroles, qui sont comme de la chair fraîche, par
lesquelles le sang est amélioré, la chair infirme s’en porte mieux, et une
sainte délectation est excitée en son ame, car j’ai fait à cette mienne épouse
comme quelqu’un à accoutumé de faire à son ami, lequel il attire et allèche par
amour, lui disant : Mon ami, entrez en ma maison, et voyez ce qui s’y fait et ce
que vous y devez faire à l’entrée.
Celui qui l’a attiré dans la maison ne lui
montre pas d’abord les serpents et les lions farouches qui sont en la maison,
afin que son ami ne soit épouvanté ; mais pour la consolation de son ami, il lui
fait voir les serpents comme des brebis douces, et les lions comme des ouailles
très-belles, disant à son ami : Mon ami, sachez que je vous aime et que je vous
ai attiré pour votre bien. Partant, dites à vos amis tout ce que vous verrez,
car ils vous consoleront et vous garderont, de sorte que ma captivité vous sera
plus agréable que votre propre liberté.
De même en ai-je fait à votre égard, O ma fille bien-aimée ! Je vous ai comme
attirée et captivée, quand je vous ai retirée de l’amour du monde et vous ai
liée au mien ; quand je vous ai retirée des dangers du monde dans ce port de
salut, dans lequel ceux que pensez être vierges par continence, sont vraiment
des lions par malice, ceux que vous croyez des brebis par la contemplation
divine, sont comme des serpents rampants à terre, et par la ventre de la gueule
et cupidités insatiables. Partant, ne rapportez point ailleurs ce que vous
verrez et oirez, mais bien à mes amis qui vous gardent et vous instruisent, car
l’Esprit qui vous a conduite au port, celui-là même vous conduira à la patrie ;
et celui qui vous a conduite à un bon principe, celui-là vous dirigera à une
meilleure fin.
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