Ce prélat pour lequel vous priez détourne ses yeux de moi et se convertit au
monde avec l’ornement et l’éclat de la dignité. S’il voulait être à moi, il me
regarderait tous les jours ; il lirait mon livre avec plus d’attention, et
considérerait non avec tant de soin du monde ma loi, qu’est ce qui est dit à
l’Église.
Elle lui répondit : La loi de l’Église n’est-elle pas votre loi?
Notre-Seigneur répondit. Elle était ma loi, tant que les miens l’ont lue et
observée pour l’amour de moi. Or, maintenant, elle n’est point à moi, d’autant
qu’on la lit en la maison des dés qui jettent trois points sur un dé, qui, pour
une petite justice qu’ils trouvent en la loi de l’Église, en acquièrent une
grande somme d’argent. On ne la lit plus pour mon honneur, mais pour acquérir
des richesses.
Aux maisons des joueurs de dés se trouvent les courtisanes et les ivrognes :
tels maintenant sont ceux qui lisent les lois de mon Église ; tels maintenant se
nomment savants et sages, quoiqu’ils soient vraiment fous : car qu’est-ce qu’une
courtisane a accoutumé de faire ? certainement, elle est babillarde, légère en
ses mœurs, belle de face par le plâtre, et bien vêtue : tels sont maintenant
ceux qui apprennent mes lois : ils sont babillards en plaisanteries, muets à
prêcher ma parole et à me louer, si légers en leurs mœurs, que même les
séculiers ont honte du dérèglement de leurs mœurs ; et non-seulement ils se
perdent , mais ils ravagent et précipitent les autres par leurs pernicieux
exemples ; ils n’affectionnent ni n’affectent rien tant que d’être vus du monde,
d’être honnêtes et honorés , et d’aller pompeux en leurs vêtements , d’acquérir
richesses et honneurs.
Mes paroles et mes préceptes leur sont fort amers ; ma
vie et ma voie leur sont abominables. En vérité, leur conversation et leur vie
sont aussi puantes devant moi qu’une courtisane, qui est la plus vile et la plus
abjecte des femmes. De même ceux-là me sont odieux par-dessus les autres ; ils
disent et se glorifient de savoir mes lois, mais c’est pour décevoir et tromper
les simples, pour assouvir leurs voluptés.
En la maison où ma loi se lit, il y a des ivrognes et des incontinents, la
gloire desquels est d’exceller, voire excéder les autres, et de pousser leur
nature aux superfluités : tels sont maintenant les maîtres de la loi, qui se
réjouissent des superfluités, qui ont bien peu honte de leur excès, et qui ne
s’affligent nullement des offenses et des péchés d’autrui. Néanmoins, s’ils
lisaient vraiment ma loi, ils trouveraient qu’ils doivent être plus continents
que les autres, et qu’ils sont plus obligés de vivre plus parfaitement.
Or, je suis comme un seigneur puissant, aimant les brebis de plusieurs cités,
lequel, bien qu’il soit puissant, n’usurpe point les brebis des cités
circonvoisines ; il n’en veut d’autres que celles que la justice l’oblige
d’avoir. De même moi, qui suis Créateur de toutes choses et suis très-puissant,
je ne reçois pas pourtant, sinon ceux que je dois avoir par justice, et qui se
connaissent être à moi par amour. En vérité, quiconque se sera retiré de moi,
voudra retourner à moi et voudra ouïr ma voix, pourra être sauvé. Une brebis
errante de son propre bercail, si elle oyait la voix de sa mère, ne
retournerait-elle pas soudain à sa mère?
Et semblablement, quand la mère entend la voix de celui qu’elle a enfanté, elle court de toute sa force au-devant de
lui, de sorte que, s’il est en sa puissance libre, il n’y a ni labeur ni peine
qui l’empêche de courir : de même, moi, Créateur de toutes choses, je reçois
librement ceux qui oient ma voix, et je leur vais au-devant avec joie, et je me
réjouis d’avoir retrouvé l’enfant perdu, et comme une mère, je me réjouis du
retour de mon agneau.
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