Quelques-uns sont comme un homme pauvre, indigent, qui souffre la soif, ce que
le père de famille sachant, il lui donne la meilleure boisson qu’il a. Or, ayant
reçu la boisson et l’ayant goûtée, il dit : Ce breuvage ne me plaît point, et je
ne vous en rends point grâces ; et il jette la boisson en présence de celui qui
la lui a donnée, lui rendant contumélie pour charité. Le père de famille, ayant
reçu une telle injure d’icelui, étant tout plein de douceur et de bénignité,
pense à part soi : Voici que mon hôte m’a fait une grande injure, mais je ne
veux pas pourtant me venger de lui avant de venir au jugement et que le temps en
soit arrivé, car lors les taches, les notes et les injures seront ôtées de sa
face.
De même m’en font plusieurs religieux, car en leur pauvreté et humiliation, ils
crient à moi et disent : Seigneur, nous sommes accablés de mépris et de
tribulations ; donnez-nous quelque consolation. Lors, j’en ai compassion, et
leur donne pour consolation le meilleur vin que faire se peut, c’est-à-dire, mon
Esprit, la douceur duquel remplit les âmes, et l’ardeur duquel fait qu’ils ne se
soucient point ni du mépris ni de la pauvreté. Or, ayant goûté le vin du
Saint-Esprit et l’ayant eu quelque temps en leur cœur, ils le négligent et ne me
remercient point, mais le jettent en ma présence, lorsqu’ils choisissent les
délectations du monde, et quand ils se rendent orgueilleux de mes grâces et de
mes faveurs.
Celui que vous connaissez s’est comporté de la sorte avec moi, lequel étant
pauvre et délaissé, mon Saint-Esprit le consolait ; quand il était méprisé et
qu’il n’avait point la joie de son cœur, je le réjouissais, car bien que je ne
lui parlasse point d’une voix corporelle et qu’il ne l’ouît pas sensiblement,
néanmoins, mon Saint-Esprit l’avertissait de faire bien, et je l’excitais, en le
réjouissant, à ce qui était le meilleur. Mais lui, ayant goûté mon Esprit et
ayant reçu les grâces de mes consolations, répute à néant ce que je lui ai
donné, et délibère en son esprit de jeter devant ma face les divines et
amoureuses liqueurs ; Il ne les a pas pourtant jetées encore.
Voyez et considérez en ce fait combien je suis patient et miséricordieux, car je
ne le souffre pas seulement avec patience, mais je lui distribue des biens pour
ses ingratitudes ; car il est maintenant plus honoré et plus estimé des hommes,
et les biens qu’il avait accoutumé de recevoir, lui arrivent avec plus
d’abondance qu’auparavant, mais lui me sert moins pour cela qu’auparavant. Il
répute mes grâces pour néant et ma dilection à nulle estime. Or, il s’arrête
comme un homme qui délibère de jeter les faveurs devant la face de celui qui
l’en a enrichi, et ce, d’autant que le monde qu’il aime lui plaît plus que moi ;
la vie spirituelle qu’il avait embrassée lui est onéreuse et à dégoût, et afin
que vous éprouviez ceci, expérimentez que l’odeur qui sortait de ses vêtements
pendant qu’il me servait, n’est plus, ni n’est pas de merveilles, car les anges
tous pleins de force et de vertu, protégent mes amis.
Or, maintenant, sa volonté étant changée, l’odeur l’est aussi, et cette odeur montre aujourd’hui quelles
sont son intention et sa volonté. Or, qu’est-ce que je dois faire, quand on
jette devant ma face, mes grâces et mes faveurs ? Véritablement, je le
souffrirai patiemment comme un homme débonnaire, jusqu'à ce que le jour de
jugement arrive et sentence générale, afin qu’alors apparaissent l’ingratitude
et la présomption de ce présomptueux, et la patience du Seigneur qui l’a
souffert.
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