Celui que vous connaissez chante : Seigneur, délivrez-moi de l’homme mauvais.
Cette voix est à mes oreilles comme la voix d’un flageolet, comme l’harmonie
d’une canne et comme le son du cliquetis des pierres. Or, qui pourra répondre à
leur son, vu qu’on ignore ce qu’il signifie ? car son cœur crie à moi comme par
trois voix.
La première dit : Je veux avoir les volontés. Je dormirai et me lèverai quand il
me plaira ; je prendrai plaisir en mes paroles. Ce qui me plaît et délecte
entrera en ma bouche. Je ne me soucie point de la sobriété, mais je cherche
l’assouvissement de la nature ; je lui donnerai à suffisance ce qu’elle désire :
je désire avoir de l’argent en ma bourse, la douceur et la mollesse des
vêtements. Quand j’aurai toutes ses choses, je serai content, et je répute à
félicité d’avoir ce que je désire.
La deuxième voix crie et dit : La mort n’est pas si dure qu’on le dit ; le
jugement n’est pas si sévère qu’il est écrit. Les prédicateurs nous menacent de
plusieurs choses dures pour nous faire prendre garde à bien vivre, mais elles
seront plus douces à raison de la miséricorde divine. Mais pour que je puisse
accomplir ici mes volontés, faire ce qui me plaît et jouir du meilleur, que
l’âme aille où elle pourra.
La troisième voix criait et disait : Dieu ne m’aurait pas créé, s’il ne voulait
me donner le ciel ; il n’aurait pas souffert, s’il ne voulait m’introduire dans
la patrie des vivants. Et pourquoi aurait-il voulu endurer une mort si cruelle ?
Qui l’y a contraint ? Ou bien quelle utilité en résulterait-il ? Je ne puis
entendre ni comprendre que par l’ouïe ce qu’est le royaume céleste ; je ne vois
pas sa bonté ; je ne sais si je le dois croire ou non. Je sais et tiens pour
royaume céleste ce que je tiens.
Voilà quelles étaient ses pensées et ses volontés ; c’est pourquoi aussi sa voix
m’est comme le cliquetis des pierres.
Mais je veux répondre à la première voix de son cœur. Mon ami, votre voix ne
tend point au ciel ; la considération de ma passion ne vous est pas à goût :
c’est pourquoi l’enfer vous est ouvert, d’autant que votre vie désire les choses
basses et les aime.
Je réponds à la deuxième voix : Mon fils, la mort vous sera très-dure ; le
jugement vous sera intolérable ; il est impossible que vous les fuyiez ; vous
aurez une peine très-amère, si vous ne vous amendez pas.
Je réponds à la troisième voix de votre cœur : Mon frère, tout ce que j’ai fait
par amour, je l’ai fait pour l’amour de vous, afin que vous me fussiez, et que,
vous étant retiré de moi, vous puissiez revenir à moi. Or, maintenant, ma
charité été éteinte en vous ; Mes œuvres vous sont pesantes et onéreuses ; mes
paroles vous semblent des fadaises, mes voies vous paraissent difficiles : c’est
pourquoi il vous reste un supplice amer et la compagnie des diables, et vous ne
changez votre cœur en mieux, si vous me tournez le dos, à moi qui suis votre
très-débonnaire Seigneur et Créateur ; vous aimez mon ennemi en me méprisant ;
vous foulez aux pieds mes trophées et dressez ceux de mon ennemi.
Hélàs ! Voici comment ceux qui semblent être à moi sont contre moi ; voyez en
quelle sorte ils s’en sont retirés. Je vois ces choses et les souffrances, et
encore, ils sont si endurcis qu’ils ne veulent prendre garde à ce que j’ai fait
pour eux et comme j’ai été devant eux.
1. J’ai été devant eux comme un homme dont un couteau aigu perçait les yeux ;
2- comme un homme dont un glaive transperçait le cœur ;
3- comme un homme dont tous les membres ont été roidis à raison de l’amertume et
de la douleur de ma douloureuse passion : C’est de la sorte que j’ai été devant
eux.
Or, qu’est-ce que mon œil signifie, sinon mon corps, auquel le ressentiment de
ma passion fut aussi amer que la douleur en la prunelle de l’œil ? Néanmoins, je
souffrais tout cela patiemment avec un grand amour. Mais le glaive signifie la
douleur de ma très-chère Mère, qui affligea plus mon cœur que la douleur même.
En troisième lieu, tous mes membres et toutes les parties intérieures se
roidirent en ma passion, et c’est ce que j’ai pâti pour eux. Mais hélas ! Les
misérables ! Ils méprisent tout cela comme un fils qui méprise sa mère. Eh quoi
! Ne leur ai-je pas été comme une mère qui, ayant dans le ventre son enfant,
désire l’heure de l’enfantement, afin que l’enfant naisse vivant ? Que s’il peut
être baptisé, la mère n’a pas tant de peine de la mort qu’elle en aurait
autrement. J’en ai fait de même : j’ai enfanté comme une mère, par ma passion,
l’homme des ténèbres de l’enfer au jour éternel. Je l’ai porté et nourri comme
dans mon sein avec de grandes difficultés, lorsque j’ai accompli les prophéties
qui parlaient de moi ; je l’ai nourri de mon lait, quand je lui ai montré les
paroles saintes et lui ai donné les préceptes de vie. Mais lui, comme un méchant
fils, méprisant les douleurs de sa mère, me rend haine pour amour ; pour la
douleur, des sujets de pleurs, et surajoute à mes plaies de nouvelles infirmités
; il donne à ma faim des pierres, et pour étancher ma soif, il me donne de la
boue.
Or, quelle est cette douleur que l’homme me cause, vu que je suis sans
changement, impassible et Dieu éternel ? En vérité, lors l’homme me fait comme
endurer, quand il se sépare de moi par le péché, non pas que je sois sujet à
quelque douleur, mais seulement d’une manière ineffable, comme un homme a
compassion d’un autre. Or, l’homme me causait alors de la douleur, quand il
ignorait la gravité et la laideur du péché, lorsqu’il n’avait ni prophètes ni
loi, ni n’avait encore les paroles de ma bouche. Or, il me cause maintenant une
double douleur comme un pleur, bien que je sois impassible, quand, ayant connu
mes volontés, ressenti mon amour, il s’agit contre mes commandements, et pèche
impudemment contre la raison de sa conscience ; et c’est pourquoi plusieurs sont
plus profondément précipités dans l’enfer, ayant la connaissance de mes
volontés, que s’ils ne l’eussent pas eue et n’eussent reçu mes commandements ;
et certes, lors l’homme faisait en moi quelques plaies, bien que je sois
invulnérable, lorsqu’il ajoutait péché sur péché.
Or, maintenant, ils ajoutent sur mes plaies quelque malheur vénéneux, lorsque,
non-seulement ils multiplient les péchés, mais lorsqu’ils s’en glorifient et ne
s’en repentent point. Or, quand l’homme me donne encore des pierres au lieu de
pain, et de la boue au lieu de boisson, remarquez que, par le pain, sont
entendus le profit des âmes, la contrition du cœur, le désir divin et l’humilité
fervente en charité : au lieu de ces choses, l’homme me donne des pierres,
savoir, par l’endurcissement de son cœur. Il me donne de la boue par
l’impénitence et vaine confiance.
Il méprise de revenir à moi par les avertissements salutaires ; et par les adversités, il dédaigne de me regarder,
et de peser et considérer la grandeur de mon amour. Partant, je puis me plaindre
à juste sujet, car je les ai enfantés comme une mère en la lumière par la
douleur de ma passion ; mais ils aiment mieux être plongés dans les ténèbres
palpables. Je les ai repus et je les repais du lait de ma douceur, et ils me
méprisent, et ajoutent impudemment la boue de leur malice à la douleur de
l’ignorance. Ils me rassasient du péché, bien qu’ils me dussent arroser des
larmes de leurs vertus. Ils me présentent des pierres, bien qu’ils soient
obligés de me présenter leur cœur plein de douceur. Partant, ayant patience
comme un juste juge en la justice, et en la justice miséricorde, et en la
miséricorde sagesse, je me lèverai contre eux en leur temps, et leur rendrai
selon leurs mérites ; et ils verront ma gloire dans le ciel, dedans, dehors, de
toutes parts, dans les vallées, sur les collines ; et ceux qui seront damnés
seront confus et honteux de leur propre honte et confusion.
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