Que si vous vouliez ouïr les faits des seigneurs et considérer les actions
magnifiques, vous devriez occuper votre esprit en la considération de mes faits,
qui sont incompréhensibles et prodigieux à la pensée des hommes, et admirables à
l’ouïe. Or bien que le diable meuve les grands du monde à sa volonté ; bien
qu’ils prospèrent par un mien juste jugement, néanmoins, je suis leur Seigneur,
et ils seront jugés par mon juste jugement. Ils ont entrepris et formé une
nouvelle loi contre ma loi, et ils emploient tout leur soin à être honorés du
monde, à savoir comment ils pourront acquérir des richesses, en quelle manière
ils pourront accomplir leur volonté, dilater leur race.
C’est pourquoi je jure en ma Divinité et humanité que, s’ils meurent en tel état, ils n’entreront point
en cette terre qui était promise en figure aux enfants d’Israël, terre où
découlaient le lait et le miel ; mais il arrivera comme à ceux qui désiraient
les pots de viandes, qui mouraient d’une soudaine mort ; car comme ceux-là
mouraient d’une mauvaise mort corporelle, de même ceux-ci meurent d’une mort de
l’âme.
Mais ceux qui font mes volontés entreront en la terre où découle le miel,
c’est-à-dire, en la gloire, en laquelle il n’y a point de terre dessous ni
dessus, ni de ciel plus haut ; mais moi-même, Seigneur et Créateur de toutes
choses, je suis au-dessous, au-dessus, aux côtés, dehors et dedans, d’autant que
je remplis toutes choses de ma gloire, et rassasie mes amis d’une gloire, non de
miel, mais d’une admirable suavité, de sorte qu’ils ne désirent que moi, n’ont
besoin que de moi, en qui est tout le bien. Mes ennemis ne goûteront jamais ce
bien, s’ils ne se convertissent de leur méchanceté, car s’ils considéraient ce
que j’ai fait pour eux ; s’ils pensaient à ce que je leur ai donné, ils ne me
provoqueraient jamais de la sorte à ire et à indignation. Certes, je leur ai
donné tout ce qui était nécessaire, utile et désirable, avec la due tempérance ;
je leur ai permis d’avoir des honneurs avec modération.
Quiconque penserait à part soi : Puisque je suis en honneur, je veux avoir avec
modération et honnêteté ce dont j’ai besoin, selon mon état. Je rendrai à Dieu
honneur et révérence ; je n’opprimerai personne ; je fomenterai les moindres ;
j’aimerai tout le monde : un tel, certes, me plaît en son degré d’honneur. Mais
celui qui a des richesses et s’entretient en ces pensées : Puisque je suis
riche, je ne prendrai rien injustement ; je ne ferai injure à pas un ; je me
donnerai garde des péchés mortels, j’aiderai les pauvres : celui-ci m’est
agréable en ses richesses. Mais celui qui est plongé dans les voluptés, s’il
pense : Ma chair est fragile, ni ne pense pas me pouvoir contenir : c’est
pourquoi soudain que j’aurai une femme légitime, je ne désirerai point la femme
de mon prochain et me préserverai de la turpitude, celui-là me peut aussi
plaire.
Mais d’ordinaire, tous ceux-là préfèrent leur loi à la mienne, d’autant qu’en
leurs honneurs, ils ne veulent point avoir de supérieurs ; ils ne se peuvent
jamais rassasier de leurs richesses ; ils excèdent en leurs voluptés par-dessus
les manières louables. Partant, s’ils ne s’amendent et ne commencent une autre
voie, ils n’entreront point en ma terre, en laquelle le lait et le miel sont
spirituels, c’est-à-dire, ma douceur et l’admirable assouvissement ; ceux qui
les goûtent ne désirent rien de plus et n’ont besoin de rien.
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