Une âme damnée pour de grands péchés et pour n’avoir eu douleur des plaies que Jésus-Christ souffrit en sa passion. Cette âme est damnée comme un enfant abortif. Ceux qui gardaient le sépulcre sont marques par ceux qui poursuivaient malicieusement Jésus-Christ en ses prédications, et par ceux qui le crucifiaient.
Chapitre 28

Une grande troupe paraissait être devant Jésus-Christ, à laquelle il parlait, disant : Voilà que cette âme n’est plus à moi. Elle ne s’est non plus souciée de mes plaies et de la blessure de mon cœur que si on eût percé le bouclier de son ennemi ; elle s’est autant souciée des trous de mes mains que si un drap fripé était rompu; elle a eu autant en estime les plaies de mes pieds que si on eût coupé une pomme pourrie.

Lors Notre-Seigneur parlait à elle, disant : Vous avez souvent en votre vie demandé pourquoi j’avais voulu mourir : Or, maintenant, je vous demande pourquoi vous êtes morte.
Elle répondit : D’autant que je ne vous ai point aimé.
Vous m’avez été, dit-il, comme un enfant abortif est à sa mère, pour lequel elle endure tout autant que s’il était vivant. De même je vous ai rachetée avec tant de prix et d’amertume comme un des saints, bien que vous vous en soyez souciée bien peu. Mais comme l’enfant abortif ne goûte point la douceur des mamelles de sa mère, ni consolation de ses paroles, ni n’est échauffé en son sein, de même vous ne jouirez jamais de la douceur ineffable de mes élus, d’autant que vous n’avez recherché autre douceur que le vôtre. Vous n’oyez jamais ma parole pour votre avancement. Les paroles de votre bouche et celles du monde vous plaisaient trop, et les paroles de ma bouche vous étaient amères. Vous ne ressentirez jamais les effets de mon amour ni de ma bonté, d’autant que vous avez été froide à faire toute sorte de biens. Allez donc au lieu où on a accoutumé de jeter les abortifs, où vous vivrez en votre mort éternelle, car vous n’avez pas voulu vivre en la lumière et en ma vie.

Après, Dieu parlait à la troupe : O mes amis, si toutes les étoiles et planètes étaient changées en langues ; si tous les saints me priaient, je ne lui ferais point miséricorde, d’autant qu’elle oblige ma justice à la damper.

Cette âme fut semblable à trois sortes de gens : Premièrement à ceux qui suivaient de malice mes prédications, afin de pouvoir trouver occasion en mes paroles et en mes faits de m’accuser et de me trahir ; ils ont vu mes bonnes œuvres et mes merveilles qu’autre que Dieu ne pouvait faire ; ils ont ouï ma sapience, ont approuvé ma vie louable et néanmoins, ils enrageaient d’envie contre moi, et ils conçurent de la haine ; mais pourquoi cela ? d’autant que mes œuvres étaient bonnes et que leurs œuvres étaient mauvaises, et parce que je n’approuvais, mais je reprenais aigrement leurs péchés : de même cette âme me suivait avec son corps, non pas par le mouvement et l’attrait du divin amour, mais icelle était traînée à me suivre encore pour paraître devant les hommes ; elle oyait mes commandements et les voyait de ses yeux ; elle prenait de là sujet de se fâcher et s’en moquait ; elle ressentait ma bonté, et elle n’y croyait point ; elle voyait mes amis profiter, et elle les envoyait, mais pourquoi ? d’autant que mes paroles et celles de mes élus étaient contre sa malice, mes préceptes et mes avertissements contre sa volupté, mon amour et mon obéissance contre sa volonté ; néanmoins, sa conscience lui dictait que je devais être honoré par-dessus tout.

Par les mouvements des astres, elle entendait que j’étais son Créateur, et par les fruits de la terre et par le bel ordre et la disposition de toutes les choses, elle savait que j’en étais l’auteur ; et bien qu’elle le sut, elle s’en fâchait et abhorrait mes paroles, d’autant que je reprenais ses mauvaises œuvres.

En deuxième lieu, il était semblable à ceux qui me tuèrent, et qui disait ensemble : Faisons-le mourir sans crainte ; il ne ressuscitera point le troisième jour. Or, moi, j’avais prédit à mes disciples que je ressusciterais le troisième jour ; mais mes ennemis, les amateurs du monde, ne croyaient point que je ressuscitasse avec ma justice, et ce, d’autant que les Juifs me virent comme homme pur, et ne percèrent point jusques à la Divinité, qui était en moi : c’est pourquoi ils péchèrent, non avec tant de gravité, car s’ils eussent su que j’étais Dieu, ils ne m’eussent jamais occis.

Cette âme pensait en elle-même : Je fais ma volonté comme il me plait. Je le ferai mourir sans craindre par mes volontés et par les œuvres qui me plaisent et lui déplaisent ; elles ne me nuisent en rien : pourquoi ne les ferai-je donc ? car il ne ressuscitera pas pour juger ; il ne jugera pas selon les œuvres des hommes, car s’il voulait juger si rigoureusement, il nous eût pas rachetés ; et s’il avait tant de haine contre le péché, il ne supportait pas les pécheurs avec tant de patience.

En troisième lieu, il est semblable à ceux qui gardaient ma sépulture, qui s’armèrent et environnèrent de soldats mon tombeau, afin que je ne ressuscitasse point, disant : Gardons diligemment de peur qu’il ne ressuscite et qu’il faille le servir. De même en faisait cette âme : elle s’armait de l’endurcissement du péché, car elle gardait diligemment le sépulcre, c’est-à-dire, la conversation de mes élus, sur lesquels je me repose ; elle les gardait avec grand soin, afin que mes paroles et leurs avertissements n’entrassent en son cœur, pensant en soi-même : Je prendrai garde de n’entendre point leurs discours de peur qu’étant piqué de quelque juste ressentiment, je ne vienne à laisser mes voluptés, et que je n’entende ce qui déplairait à ma volonté ; et de la sorte, par la malice, il se sépara d’eux, avec lesquels la charité le devait unir.

DÉCLARATION
Cette personne damnée fut noble et se souciant peu de Dieu. Un jour, étant à table, blasphémant les saints, éternuant, elle mourut soudain sans les sacrements, et son âme a été vue comparaître en jugement, à laquelle le Juge disait : Vous avez parlé comme vous avez voulu, et avez fait comme vous avez pu : il est donc raisonnable que vous gardiez le silence maintenant et que vous écoutiez.
Répondez-moi donc, sainte Brigitte l’entendant.
Bien que je sache toutes choses, n’avez-vous pas ouï ce que j’ai dit ? Je ne veux point la mort du pêcheur, mais sa conversion. Pourquoi donc, le pouvant, n’êtes-vous pas revenue à moi?

L’âme répondit : Certes, je l’ai ouï, mais je ne m’en suis pas souciée.
Le Juge lui dit derechef : N’avez-vous pas ouï : Allez au feu, maudits ! et venez, mes élus ! Pourquoi ne veniez-vous donc pas?
Je l’ai ouï, dit-elle, mais je n’en croyais rien.

Le Juge lui dit encore : N’avez-vous pas ouï que j’étais juste Juge et éternellement formidable ? Pourquoi donc ne m’avez-vous pas eu en crainte?
Je l’ai ouï, dit-elle, mais je m’aimais trop, et j’ai clos mes oreilles, afin de n’ouïr le jugement ; j’ai endurci mon cœur, afin de ne pas y penser.
Le Juge dit : Il est donc juste que la tribulation et l’angoisse ouvrent votre esprit, puisque vous n’avez pas voulu entendre quand vous le pouviez.

Lors l’âme a été rejetée du jugement, gémissant et criant : Hélas ! Hélas ! Quelle récompense ! Mais aura-t-elle fin?
Soudain une voix a été ouïe qui disait : Comme le premier principe de toutes choses n’aura point de fin, de même votre misère n’en aura point.