Le Fils de Dieu parlait à l’épouse : Vous avez vu, dit-il, l’âme de ce moine
rayonnante comme une étoile, et à bon droit, car il était luisant et ardent en
sa vie comme une étoile, et il m’a aimé par-dessus toutes les créatures. Il a
vécu en l’observance et en la fidélité de ses résolutions. Cette âme aussi vous
était montrée avant qu’elle mourût en cet état, où elle était avant qu’elle fût
arrivée au dernier période de sa vie, et quand les signes évidents de la mort
commençaient à paraître.
Cette âme donc, s’approchant du dernier période de sa vie, vint en purgatoire,
et ce purgatoire était son corps, dans lequel elle était purifiée par le feu de
ses douleurs et de ses infirmités. Et c’est pourquoi elle vous était montrée
comme une étoile enclose dans un vase, et cela, pour montrer comme elle avait
brûlé des feux de mon amour ; c’est pourquoi elle est maintenant en moi et je
suis en elle ; car si une étoile venait en un feu très-lumineux, elle ne
paraîtrait pas plus éclatante, de même ce religieux enclos en moi et moi en lui
d’une manière ineffable, se réjouira de cette joie qui n’a point de fin. Or,
étant en purgatoire, il brûlait d’un si grand amour en mon endroit, et moi
envers lui, qu’il réputait la véhémence de la douleur très-légère. Sa joie a
commencé en tristesse et a fait son progrès en l’éternité. Ce que le diable
regardant, et voulant trouver en elle quelque formalité de droit pour l’amour
qu’elle m’avait porté, il eût volontiers donné toutes les âmes pour celle-ci.
Une autre âme vous était montrée, que le diable possédait par neuf sortes de
droits. Je vous ai montré son jugement ci-dessus ; maintenant, je vous veux
montrer son supplice, et comme toutes choses se sont passées en un point devant
Dieu, bien que, pour votre intelligence, elles ne puissent être représentées que
corporellement.
Cette âme donc étant parvenue au supplice, soudain sept démons allèrent
au-devant de leur prince, disant : Cette âme est à nous.
Le démon de superbe disait en premier lieu : Elle est mienne, d’autant qu’elle
n’a réputé personne être légal, et a autant voulu être sur les autres que je le
suis.
Le démon de cupidité disait : En deuxième lieu, elle n’a jamais pu être assouvie
comme moi : partant, elle est à moi.
Le troisième démon de rébellion disait : Cette âme était liée et obligée à
l’obéissance ; mais elle a été en tout rebelle à Dieu et obéissante à la chair :
partant, elle est à moi.
Le quatrième démon de la gourmandise disait : elle a excédé à manger ès heures
illicites, comme je lui suggérais, et n’a point voulu l’abstinence : partant,
elle est à moi.
Le cinquième démon de vaine gloire disait : Elle a chanté pour la vaine gloire
et ostentation ; et lorsque la voix lui manquait, elle se fâchait, et lors,
j’élevais sa voix et l’aidais à chanter plus haut : partant, elle est à moi.
Le sixième démon de propriété disait : Elle devait être pauvre au monde et
n’avoir rien de propre ; mais au contraire, elle amassait comme une fourmi tout
ce qu’elle pouvait, et le possédait sans l’avoir demandé à son supérieur :
partant, elle est à moi.
Le septième démon, qui est le mépris de la religion, disait : Elle était obligée
d’observer en certain temps, et toutes ses actions, les temps ordonnés ; mais au
contraire, elle avait tout déréglé : elle mangeait et buvait quand elle voulait
; dormait, veillait, parlait quand il lui plaisait, et le tout sans discipline
régulière : partant, elle est à moi.
Lors, le prince des démons disait : Par exemple, vous, ô esprit de superbe !
d’autant que vous l’avez possédée dedans et dehors, entrez en elle ; et partant,
entrez en elle, et serrez-la si fortement que, si elle avait le corps, le
cerveau et la moelle des os, les yeux, les os et les jointures, tout s’écoulât
et se fracassât.
Il dit au deuxième démon : Esprit de cupidité, vous l’avez possédée selon votre
désir, et elle n’était jamais rassasiée : partant, entrez en elle avec un venin
très-ardent, et comme un plomb fondu, brûlez-la si misérablement qu’elle en soit
et tout et partout affligée sans fin et sans repos.
Il dit au troisième diable : Esprit de rébellion : Vous l’avez possédée en tout,
et elle vous a plutôt obéi qu’à Dieu : partant, entrez en elle comme un glaive
très-aigu, et demeurez en elle sans en sortir, comme un glaive qui perce le
cœur, qui ne peut sortir.
Il dit au quatrième démon, c’est-à-dire, à l’esprit de gourmandise : Elle a
consenti à toutes les intempérances : partant, brisez-la de vos dents et
déchirez son cœur, afin que les sept esprits ci-dessus mentionnés en aient
chacun sa part, et qu’ils l’affligent sans cesse et sans la consommer.
Il dit au cinquième démon de vaine gloire : Entrez en elle, et ne permettez pas
qu’en toute sa vie, elle jouisse tant soit peu de quelque repos ; et pour la
vanité du chant, ne sortez jamais de sa bouche. Toute la joie qu’elle cherchait
au monde sera changée en pleurs et misères éternelles.
Il dit au sixième diable : Esprit de propriété, entrez en elle avec l’amertume,
et faites qu’elle ne jouisse jamais d’aucun contentement ; mais en son lieu,
elle sera riche des confusions éternelles, des damnations horribles, et des
malheurs qui n’auront jamais de fin.
Il dit au septième diable, c’est-à-dire, à l’esprit de mépris de religion :
D’autant qu’elle a aimé et pratiqué le dérèglement, qu’elle ait un temps tout
déréglé, où la rigueur du froid et l’ardeur du chaud ne finiront jamais.
Lors soudain en un moment apparurent deux démons devant le prince des diables,
disant : Nous avons aussi part en cette âme. Le premier dit : Cet homme fut un
prêtre, et il n’a pas vécu comme un prêtre, et partant, il est ma part.
Le deuxième démon dit : Il avait en sa tête quelque lieu où la couronne de
gloire devait être posée, et il ne l’a pas eue, et partant, il est à moi.
Le prince des démons répondit et dit : Qu’on lui change le nom de prêtre et
qu’il soit appelé Satan. Et d’autant qu’il a négligé d’avoir la couronne de
gloire, qu’on pose en sa place l’opprobre de malédiction et de déjection
éternelle.
Après, Notre-Seigneur parlait à son épouse : Voici, mon épouse, quelle est cette
récompense et combien elle est différente de l’autre : ces deux âmes ont été
d’une même profession, mais bien inégales en leur récompense. Ne savez-vous pas
pourquoi je vous montre ces choses ? Certainement, c’est afin que les bons
soient récompensés, et que les mauvais, sachant cet horrible jugement, ses
convertissent. En vérité je vous dis que les hommes de cette profession se
retirent grandement de moi, comme vous le pourrez entendre par un exemple.
Je suis semblable au père de famille qui a pris des ouvriers auxquels il a
commis le fossoir pour cultiver la terre, la pelle pour nettoyer les fossés, et
le vase pour transporter la boue. Mais les ouvriers, méprisant le commandement
de leur maître, rapportèrent les ustensiles à leur Seigneur, et dirent : Le
fossoir n’est point aigu et la terre est trop sèche, et nous ne pouvons point
travailler en icelle ; le balai est trop faible et le vase trop pesant : nous ne
le saurions porter.
Ces professeurs en font de même, car je leur ai commis comme à ceux qui
cultivent la terre, la parole pour la prêcher, et la puissance de cultiver les
cœurs par la terreur de mes jugements ; mais hélas ! ils ne s’en servent point,
mais ils les méprisent et en prennent d’autres, d’autant qu’ils emploient mes
paroles et mon institution au soulagement du corps, à plaire aux hommes et à
s’enrichir de plus en plus ; les cœurs des hommes sont maintenant trop durs, et
les paroles de Notre-Seigneur moins aiguës pour exciter la dévotion : et
partant, ils proposent aux hommes des sujets agréables ; ils cachent ma justice
; ils dissimulent de reprendre les péchés, en quoi ils font que les pécheurs
croupissent confidemment en leurs péchés, et s’en repentent avec moins de
douleur.
En deuxième lieu, je leur ai commis le balai pour nettoyer la terre du fossé,
c’est-à-dire, je voulais qu’ils aimassent l’humilité et la pauvreté, mais elle
est maintenant trop faible, car ils disent : Si nous ne voulons rien avoir,
comment vivrons-nous ? Si nous sommes entièrement humiliés, qui nous retirera ?
Trompés donc et déçus de ce faux prétexte, ils sont autant superbes sur les
autres qu’ils devraient être humbles.
Je leur ai encore donné un vase pour porter la terre, c’est-à-dire, afin qu’ils
pratiquassent l’abstinence des choses corporelles ; mais ils ont jeté ce vase à
mes pieds, disant : Si nous voulons vivre en mêmes labeurs que nos pères, nous
défaudrons et seront méprisés du tout en cette abstinence, de sorte donc que
tout ce qu’il y a de bon dans la religion leur est pesant, et ils font ce que
bon leur semble.
Or, qu’est-ce que je dois faire, mes instruments étant jetés par terre, et eux
refusant de travailler ? Certainement je leur dirai : Vivez selon votre volonté,
faites vos œuvres propres, et vous trouverez votre fruit ; ayez l’honneur du
monde pour l’honneur éternel, ses richesses et son amitié pour les choses
célestes, les voluptés du siècle pour les délices qui n’auront jamais de fin. Je jure en
ma vérité que si je n’avais égard à deux biens qui me les font souffrir, une
maison de ceux-là ne demeurerait pas sur pied : le premier est la prière de ma
très-chère Mère, qui me prie incessamment avec leur patron ; le second est ma
justice, car bien que je sois tenu de leur faire aucune miséricorde à raison de
leur malice, néanmoins, pour les offrandes qui me sont agréables, je les tolère,
car elles sont comme des instruments qui profitent aux autres ; car de leur
chant et prédication, les autres sont excités de plus en plus à la dévotion, et
prennent sujet et occasion de profiter ; mais ceux-là s’abaissent jusques aux
fondrières infortunées, d’autant que, non pour l’éternité, mais véritablement
pour le lucre, ils sont serviteurs ; et peu s’en trouvent d’autres, et si peu
qu’à peine s’en trouve-t-il un sur cent!
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Une âme apparut, revêtue du scapulaire et horriblement difforme en tout. Lors
Jésus-Christ dit : Quelque peuple ouït le peuple d’Israël remporter la victoire
partout, et craignant de lui être sujet, envoya des légats ayant aux pieds de
vieux souliers, et du pain fort dur en leurs sacs, afin qu’en mentant, ils
feignissent d’être des terres les plus lointaines. Mais la vérité étant connue,
ils furent réduits en perpétuelle servitude.
De même plusieurs religieux, feignant de ne l’être pas, servent le monde sous
l’habit de religion, sont exclus de l’héritage éternel, du nombre desquels est
celui-ci, dont l’âme est possédée du diable par neuf sortes de droits.
1. D’autant qu’étant superbe, il se préfère aux autres, faisant semblant d’être
vertueux, étant néanmoins tout plein de vices.
2. D’autant qu’il désirait ce qu’il voyait, n’étant pas content du nécessaire.
3. D‘autant qu’il obéit seulement à ce qui le contente ; le reste, il le fait
par contrainte, ou il cherche l’occasion de fuir.
4. D‘autant qu’il se plaît à l’intempérance, compagne de ceux qui font un Dieu
de leur ventre.
5. D‘autant qu’il cherche à être loué de tous, et non de Dieu ; c’est pourquoi
il prêche des choses sublimes, chante les hauts accords, fait des choses
signalées.
6. D‘autant qu’il se glorifie dans les choses superflues et a un habit étranger,
la propriété duquel devait être la vraie pauvreté.
7. D‘autant qu’il ne se réglait pas aux heures, mais suivait en tout les désirs
de la chair.
8. D‘autant qu’il allait à l’autel impudiquement et effrontément, sanctifiant et
absolvant les autres, et lui, croupissant dans les liens du péché, et étant en
tout digne de répréhension.
9. D‘autant qu’indignement il porte le signe de gloire en sa tête, ayant
confédération et alliance avec mon ennemi : partant, s’il ne s’amende, il boira
et sentira les rigueurs de ma justice.
Elle répondit : O mon Dieu ! Il dit les messes, il prêche, et ses prédications
agréent à plusieurs : Peut-il donc être ailleurs qu’en votre Esprit?
Notre-Seigneur répondit : Ses prédications sont de mon Esprit ; mais quand il ne
prêche point avec charité ni avec la pure intention avec lesquelles un
prédicateur doit prêcher, il n’a pas l’effet de la prédication ; et lors mon
Esprit n’opère point en lui ; il mâche le fourrage, il suce la queue du serpent
et cherche les fleurs périssables.
Lors elle repartit : O Seigneur, je n’entends pas ce que vous dites : partant,
expliquez-le moi, je vous en supplie.
Notre-Seigneur lui dit : Lors il mâche le fourrage, quand pain éternel ne lui
est point à goût, quand la divine sapience n’entre point dans son cœur, ma
sapience qui dit : Venez à moi, humbles, et je vous réfectionnerai. Or, lors il
suce la queue du serpent, quand la boisson de la divine intelligence ne lui est
point à goût, mais bien la prudence du diable, qui dit : Mangez, et vos yeux
vous seront ouvert. Il cherche les fleurs périssables, quand il ne se soucie
point du fruit de la divine et éternelle douceur, mais a incessamment en la
bouche les paroles du monde et de la chair.
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