La Mère de Dieu parle à sainte Brigitte, lui disant qu’il n’y a rien qui plaise
tant à Dieu que quand l’homme l’aime sur toutes choses. Je vous en donnerai une
similitude d’une femme païenne : ne sachant rien de la foi catholique, elle
s’entretenait en ces pensées : Je sais de quelle manière je suis, et je connais
mes parents. Je crois aussi qu’il est impossible que j’eusse le corps, les
membres, les entrailles, les sens, si quelqu’un ne me les eût donnés ; et
partant, il y a quelque Créateur qui m’a faite une si belle créature, et non une
créature difforme, comme les vermisseaux et les serpents.
Il me semble aussi que, bien que j’eusse plusieurs maris, et que, si tous m’appelaient, je courrais
plutôt à mon Créateur qui m’appelle qu’aux voix de tous ceux-là. J’ai aussi
plusieurs fils et filles : néanmoins, si j’avais de la viande en ma main et
savais que mon Créateur en désire, je l’ôterais franchement à mes enfants et la
présenterais à mon Créateur. J’ai aussi plusieurs possessions dont je dispose
selon mes vouloirs : si je savais néanmoins que la volonté de mon Créateur est
autre, je les laisserais, renonçant à ma volonté, et en disposerais à l’honneur
de mon Créateur.
Mais voyez, ma fille, ce que Dieu a fait avec cette femme païenne, car il lui a
envoyé un de ses amis qui l’a instruite en la foi sainte, et Dieu a visité son
cœur de lui-même, comme vous le pourrez entendre des paroles de la susdite
femme, car quand cet homme de Dieu lui prêchait qu’il y avait un seul Dieu sans
commencement et sans fin, créateur de toutes choses, elle lui dit : Il est bien
croyable que celui qui m’a créée et qui a créé toutes choses, n’a pas par-dessus
soi de créateur, et il est vraisemblable que sa vie est éternelle, puisqu’il m’a
pu donner la vie.
Mais quand cette femme ouït que le même Créateur avait pris l’humanité d’une
Vierge, qu’il avait prêché lui-même, elle dit : Il est bien fait de croire que
Dieu fait de bonnes œuvres. Mais vous, ô mon ami ! dites-moi quelles furent les
paroles qui furent proférées de la bouche du Créateur, car je veux renoncer à ma
volonté et lui obéir selon qu’il a parlé.
Or, l’ami de Dieu prêchant et lui parlant de la passion, de la croix et de la
résurrection, la femme, ayant les larmes aux yeux, lui dit : Béni soit Dieu qui
a manifesté son amour en la terre tel qu’il l’avait au ciel ! Partant, comme je
l’aimais auparavant, je suis maintenant obligée de l’aimer comme voie droite et
comme Rédempteur, me rachetant de son propre sang. Je suis encore obligée de
l’aimer de toutes mes forces et de le servir de tous mes membres. D’ailleurs, je
suis obligée d’arracher de moi tous les désirs que j’ai eus en mes passions,
fils et parents, et seulement aimer et désirer mon Créateur en la gloire et en
la vie qui ne finissent jamais.
La Mère de Dieu dit : Voyez, ma fille, que cette femme a eu une grande
récompense, à raison de la dilection : de même la récompense est donnée à un
chacun selon qu’il aime Dieu pendant qu’il vit au monde.
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