Le Fils de Dieu parle, disant : Un seigneur épousa une fille à laquelle il
édifia une maison, lui donnant des serviteurs et des filles de chambre, et tout
ce qui était nécessaire pour la nourriture, et lui après s’en alla fort loin.
Or, revenant, il ouït que sa femme était une infâme, que ses serviteurs étaient
rebelles, que ses filles étaient impudiques. Courroucé de cela, il mit sa femme
en jugement, les serviteurs à la torture et les servantes au fouet.
Je suis ce seigneur-là, qui, ayant, par ma toute-puissante main, fait éclore du
néant l’ame de l’homme, l’ai prise en épouse, désirant prendre avec elle les
plaisirs indicibles. Or, je l’ai épousée en foi, dilection et en persévérance de
vertus. J’ai bâti une maison à cette âme, quand je lui ai donné le corps mortel,
dans lequel elle devait être éprouvée et exercée de vertus.
Cette maison a quatre propriétés : la noblesse, la mortalité, mutabilité et
corruptibilité. Ce corps est noble, d’autant que c’est l’œuvre de Dieu, et il
participe à tous les éléments, et ressuscitera au dernier jour pour vivre
éternellement ; mais l’âme surpasse sa noblesse, d’autant qu’il est terrestre et
que l’âme est spirituelle. Mais d’autant qu’il a quelque espèce de noblesse, il
doit être orné de vertus, afin qu’au jour du jugement, il puisse être glorifié.
Le corps est mortel, d’autant qu’il est de terre, c’est pourquoi il doit
s’opposer fortement aux plaisirs au milieu desquels, s’il succombe, il perd
Dieu. Le corps est encore changeant, et partant, il doit être constant par la
raison, car s’il suit ses mouvements, il n’est point différent des bêtes brutes
; il est corruptible : partant, qu’il se tienne en pureté, car le diable le
pousse à l’immondicité, afin d’éloigner de lui la garde des anges.
Que celui donc qui habite en cette maison de ce corps, qui est l’âme, dans
lequel elle est enfermée comme dans une maison, vivifie ce corps, car sans
l’union de l’âme, il est puant, horrible et affreux à regarder.
L’âme a aussi cinq serviteurs qui la servent pour le soulagement de la maison :
Le premier c’est la vue, qui doit être comme une bonté échauguette qui discerne
les amis et les ennemis. Or, lors les ennemis viennent, quand les yeux désirent
de voir des faces belles, ce qui est délectable à la chair et ce qui est
nuisible et déshonnête. Or, lors les amis viennent, quand l’âme se plaît à voir
et à contempler ma passion, les œuvres de mes amis et ce qui touche à l’honneur
de Dieu.
Le deuxième serviteur est l’ouïe, qui est comme un bon portier qui ouvre la
porte aux amis et la ferme aux ennemis ; or, il ouvre lors aux amis, quand il
prend plaisir a ouïr la parole divine, et la ferme ; quand il n’écoute point les
médisantes et les paroles excitant au rire.
Le troisième serviteur est le goût au manger et au boire, et celui-là est comme
un bon médecin qui range et ordonne la réfection pour la nécessité, non à la
superfluité et volupté, car on doit prendre les aliments comme des médicaments.
Partant, on doit considérer deux choses au goût, savoir, qu’on n’en prenne plus
grande ni plus petite quantité qu’il ne faut, car la quantité nous cause
l’infirmité, l’abstinence téméraire nous engendre le dégoût au service de Dieu.
Le quatrième serviteur est l’attouchement qui doit être comme un bon laboureur
gagnant sa vie de ses propres mains pour sustenter le corps, travaillant avec
discrétion pour les délices de la chair, travaillant avec amour pour obtenir la
béatitude éternelle.
Le cinquième serviteur est l’odorat de ce qui est délectable ; celui-ci se peut
mortifier en plusieurs choses pour la gloire éternelle : partant, que ce
serviteur soit comme un bon dispensateur ; qu’il veille à ce qui est expédiant à
son âme, à ce qu’elle mérite, si le corps pourra subsister avec cela ou cela ;
que si l’âme considère que le corps peut subsister sans ces parfums, qu’elle
s’en prive pour l’amour de Dieu, et ainsi elle méritera une grande récompense
devant Dieu, car la mortification est grandement agréable à Dieu, quand l’âme
s’abstient même de ce qui lui est licite.
Or, puisque l’âme a tels serviteurs, elle doit avoir aussi cinq servantes bien
ornées, qui la gardent et la défendent des dangers et plaisirs :
Que la première soit la crainte affectueuse, afin que l’époux ne soit en rien
offensé ou que l’épouse ne soit trouvée négligente.
Que la deuxième soit la dévote, afin qu’elle ne cherche que l’honneur de l’époux
et l’utilité de sa maîtresse.
Que la troisième soit la modestie et la constance, afin que l’épouse ne s’écoule
en joie ni qu’elle succombe en adversités.
Que la cinquième soit la pudeur et la chasteté, afin qu’on ne trouve en elle
quelque chose d’indécent ou de dissolu en la parole ou en l’action.
Que si donc l’âme a une telle maison que dessus, des servitudes si vertueux, des
servantes si honnêtes, il serait déshonnête si l’âme, qui est la maîtresse,
était déshonnête et n’était belle.
Partant, je vous veux montrer l’ornement de l’âme et son éclat : elle doit être
raisonnable à discerner ce qu’elle doit au corps et à Dieu, car elle participe
avec la raison et en la dilection : partant,
1. qu’elle traite la chair comme un âne, lui donnant avec modération les
nécessités de la vie, l’exerçant par le travail, la corrigeant par la crainte et
par l’abstinence, prenant garde à ses mouvements, afin qu’elle ne condescende
aux infirmités de la chair, en telle sorte que Dieu en soit offensé.
2. Que l’âme soit céleste, puisqu’elle a l’image de Dieu : c’est pourquoi elle
ne doit jamais chercher ses plaisirs ni ses goûts en la chair, de peur qu’elle
ne se conforme à l’image du diable.
3. Qu’elle soit fervente en l’amour divin, d’autant qu’elle est sœur des anges,
immortelle et éternelle.
4. Qu’elle soit belle et enrichie en toute sorte de vertus, car elle verra la
beauté éternelle du Dieu vivant.
Que si elle consent au corps, elle sera éternellement difforme. L’âme a aussi
besoin des viandes, qui sont la mémoire des bienfaits de Dieu, la considération
de ses terribles jugements, et la délectation en l’amour et commandements divins
; et partant, que l’âme prenne diligemment garde qu’elle ne soit jamais
gouvernée par la chair, car lors tout sera déréglé : oui, lors les yeux veulent
voir les objets plaisants, les oreilles ouïr les cajoleries ; le goût cherche
les choses douces, et le corps veut travailler pour l’honneur du monde. Lors
aussi la raison est séduite ; l’impatience domine ; la dévotion diminue, la
lâcheté s’y glisse ; les fautes sont rendues légères, et on ne considère point
les choses éternelles. Lors aussi la viande spirituelle est rendue vile et tout
le service de Dieu est onéreux, car comment pourrait être agréable la
continuelle mémoire de Dieu, là où règne la délectation de la chair ? ou comment
pourrait se conformer l’âme à la divine volonté, là où sont seulement les
plaisirs de la chair ? ou comment le vrai peut-il être discerné du faux, là où
tout ce qui est de Dieu est chargé ? De telle maison on peut dire qu’elle est
péagère et tributaire de Satan.
Telle est l’âme du défunt que vous voyez, car le diable la possède par neuf
sortes de droits :
1. d’autant que volontairement elle a consenti au péché.
2. D’autant qu’elle a méprisé la qualité et la dignité de son baptême.
3. D’autant qu’elle ne se soucia point de la confirmation que l’évêque lui avait
donnée.
4. D’autant qu’elle n’a point considéré le temps qui lui était donné pour faire
pénitence.
5. D’autant qu’elle ne m’a point craint en ses œuvres, ni mes jugements, mais à
dessein elle s’est retirée de moi.
6. D’autant qu’elle a méprisé ma patience, comme si je n’étais ou comme si je ne
voulais point juger.
7. D’autant qu’elle se souciait moins de mes conseils et de mes préceptes que
des hommes.
8. D’autant qu’elle ne rendait point grâces à Dieu de cœur des bienfaits dont
Dieu l’avait enrichie, d’autant que son cœur était tout au monde.
9. D’autant que ma passion était comme morte dans son cœur.
C’est pourquoi elle souffre aussi neuf sortes de peines :
1. tout ce qu’elle pâtit, elle ne le pâtit pas par amour, mais avec une mauvaise
volonté.
2. D’autant qu’elle laisse le Créateur et suit les créatures, toutes les
créatures l’auront en abomination.
3. La douleur d’avoir perdu tout ce qu’elle aimait, et tout cela est contre
elle.
4. Une ardeur et soif, d’autant qu’elle désirait plus les choses périssables que
les choses éternelles.
5. Une terreur et puissance des démons, parce qu’elle n’a pas eu, quand elle
devait, la crainte de Dieu.
6. La privation de la vision divine, d’autant qu’en son temps, elle n’a point
considéré la passion de Dieu.
7. Un désespoir de pardon, d’autant qu’elle ne sait pas si elle sera sauvée ou
non .
8. Un remords de conscience, d’autant qu’elle a perdu le bien et a fait le mal.
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9. Le froid et les larmes, d’autant qu’elle ne désirait point l’amour de Dieu.
Mais d’autant que cette âme a eu deux sortes de biens, l’un est que cette âme a
eu une grande foi à ma passion, et résista autant qu’elle put à ceux qui en
médisaient ; l’autre qu’elle aimait ma Mère et mes saints, et les honorait par
des jeûnes : partant, pour l’amour des prières des saints qui prient pour elle,
je vous dirai comment elle pourra être sauvée :
1. par ma passion, car elle a eu la foi de l’Église ;
2. par le sacrifice de mon corps, qui est l’antidote des âmes ;
3. par les oraisons des saints qui sont au ciel ;
4. par les bonnes œuvres qui se font continuellement en l’Église ;
5. par les prières de ceux qui vivent au monde ;
6. par les aumônes faites des biens bien acquis ;
7. par le travail des justes qui sont en pèlerinage en ce monde pour le salut
des âmes ;
8. par les indulgences concédées par les souverains pontifes ;
9. par les pénitences des vivants.
Voilà, ma fille, que saint Ericus, que cette âme a servi autrefois, vous a
mérité cette révélation. Viendra le temps où le zèle des âmes s’excitera dans
les cœurs de plusieurs et où la malice se refroidira.
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