Sainte Brigitte voyait comme la personne d’un cardinal défunt qui était assise
sur une porte de bois, à qui quatre Éthiopiens préparaient quatre chambres par
lesquelles il fallait que l’âme de ce cardinal passât.
En la première, il y avait des vêtements de diverses manières que cette âme
avait aimés en sa vie. En la deuxième, il y avait des vases d’or, d’argent, et
divers autres ustensiles, esquels cette âme s’était plue pendant qu’elle vivait.
En la troisième étaient des viandes et des parfums aromatiques esquels elle se
plaisait. En la quatrième, il y avait des chevaux et autres animaux desquels
elle se servait autrefois.
Mais quand l’âme passait par la chambre, elle endurait un froid rigoureux, et
elle était accablée d’un grand poids, et criant, elle dit en pleurant : Malheur
à moi, d’autant que j’ai plus aimé ce qui est beau que ce qui est utile ! J’ai
aimé d’être aimée, d’être exaltée et louée : il est donc raisonnable que je sois
déprimée sous l’escabeau du diable.
Et passant par la deuxième chambre, elle ressentit un torrent de poix et une
flamme qui s’épandait et s’étendait partout. Et lors l’âme s’écria : Malheur à
moi ! malheur éternellement, d’autant que j’ai vu, revu et cherché ce qui reluit
et éclate, et partant, je suis abreuvée des torrents des voluptés du diable!
Et quand l’âme passait par la troisième chambre, elle sentit une puanteur
insupportable et des serpents envenimés ; et lors elle cria horriblement, disant
: Hélas ! hélas ! j’ai aimé la servante et j’ai méprisé la maîtresse. J’ai aimé
les douceurs, il est raisonnable que j’endure les amertumes.
Mais passant par la quatrième chambre, elle ouït un son terrible comme un
tonnerre, et elle cria de peur : Oh ! que digne est ma récompense!
Après, on ouït une voix qui disait : Qu’est ce que l’homme pense en terre ? ou
le Fils de Dieu mentira-t-il, que l’homme rendra raison de la moindre maille ?
voire je vous dis de plus qu’il rendra compte de tous les moments, de chaque
denier, viande, boisson, des pensées en détail et des paroles, s’il ne les
amende par contrition et par la pénitence. Eh quoi ! les cardinaux et les
évêques croiront-ils ne rendre pas compte de mes aumônes, qu’ils ne mangent pas
avec crainte et dévotion, mais qu’ils dévorent sans fruit ? ou bien pensent-ils
que les âmes desquelles ces biens étaient, et desquels ils s’enorgueillissent,
n’en demandent vengeance devant Dieu?
Véritablement, ma fille, j’en ferai exact jugement, et sonderai en quelle manière ils prennent mes oblations ; et les
anges les jugeront, car moi et mes amis avons doté l’Église, afin que les
ecclésiastiques ne vivent point comme mes amis ni ne prient pour être exaucés.
Partant, je secourrai et pourvoirai les âmes dont les biens étaient de la table
de ma grâce et de ma passion, et je leur ferai miséricorde.
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