Un docteur en théologie, de Suède, qui a composé le prologue de ce livre,
prêchant un jour, un soldat s’écria, comme furieux, disant : Si mon âme ne va
point au ciel, qu’elle s’en aille comme une bête, mangeant la terre et l’écorce
des arbres. La demeure jusques au jour du jugement est trop longue, car avant ce
jour-là, pas un ne verra la gloire de Dieu.
Ce qu’oyant, l’épouse sainte Brigitte, qui assistait à ce sermon, pleura et dit
: O Seigneur, Roi de gloire, je sais que vous êtes miséricordieux et fort
patient, car tous ceux qui taisent la vérité et dissimulent la justice, sont
loués au monde ; mais ceux qui ont votre zèle et le montrent, sont méprisés ;
partant, ô Seigneur, donnez, donnez à ce docteur la constance et la ferveur de
parler.
Lors l’épouse vit en un excès d’esprit le ciel ouvert, l’enfer ardent, et une
voix lui disait : Voyez le ciel ; voyez de quelle gloire les âmes sont revêtues.
Dites donc à ce maître : Dieu, Créateur et Rédempteur, dit ces choses : Prêchez
assurément ; prêchez constamment ; prêchez importunément et opportunément que
les âmes purifiées voient Dieu ; prêchez avec ferveur, car vous en serez
récompensé, comme un enfant qui ouït la voix de son père. Si vous doutez qui je
suis, moi qui parle, sachez que je suis celui-là qui vous retire des tentations.
Or, ayant ouï ces choses, elle vit encore l’enfer, de la part duquel tremblant
d’effroi, elle ouït une parole disant : Ne craignez point les esprits que vous
voyez : leurs mains, c’est-à-dire leurs puissances, sont liées et ne peuvent
rien sans ma permission. Qu’est-ce donc que les hommes présumant d’eux pensent ?
Ne prendrai-je pas vengeance d’eux, moi qui assujettis même les démons à ma
volonté?
L’épouse répondit : O Seigneur, ne vous indignez pas si je parle. Vous qui êtes
tout miséricordieux, le punirez-vous éternellement, lui qui ne peut pécher
perpétuellement ? Les hommes ne peuvent croire que cela soit convenable à votre
Divinité, vous qui surexaltez la miséricorde par le jugement, ni les hommes ne
punissent point perpétuellement les hommes qui les ont offensés.
L’esprit répondit : Je suis la vérité et la justice, qui donne à chacun selon
ses œuvres, qui sonde les cœurs et les volontés ; et comme le ciel est distant
de la terre, de même mes voies et mes jugements sont éloignés des conseils et
conceptions des hommes. Partant, puisque l’homme ne se corrige point pendant
qu’il vit et qu’il peut, qu’est-il de merveilles s’il est puni où il ne peut
rien ? ou comment peuvent demeurer en mon éternité très-pure ceux qui veulent
éternellement vivre et éternellement pécher ? Et partant, celui qui corrige son
péché quand il peut, doit demeurer éternellement avec moi, qui puis tout et vis
de toute éternité.
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