Sainte Brigitte écrit à Monseigneur Bernard archevêque de Naples, disant :
Révérend Père, à cette personne que vous connaissez bien, étant en l’oraison,
ravie et suspendue en la sublime contemplation, la Vierge Marie apparut, lui
parlant en ces termes :
Je suis la reine du ciel qui vous parle.
Je suis comme un jardinier en ce monde, car quand le jardinier voit souffler quelque vent impétueux qui nuit aux plantes
et aux arbrisseaux de son jardin, il y va soudain, les liant et les soutenant
avec des perches et échalas, remédiant autant qu’il peut à ce qu’ils ne se
gâtent, ne se rompent, ne se déracinent : j’en fais de même, étant Mère de
miséricorde, au jardin de ce monde, car quand je vois que les vents impétueux
des tentations s’élèvent, que les orages des suggestions de Satan soufflent
contre les cœurs des hommes, soudain j’ai recours à Dieu, mon Fils, avec mes
prières, les aidant et impétrant qu’il verse dans leurs cœurs des inspirations
du Saint-Esprit, par lesquelles ils soient aidés, appuyés, confirmés, et enfin
conservés des vents impétueux des tentations du démon infernal, afin que le
diable ne surmonte point les hommes, dissipant leurs âmes et l’esprit de
dévotion, et que les hommes, acceptant mon aide et mon secours avec humilité de
cœur, soient soudain affranchis des tentations du diable, et demeurant constants
en l’état de grâce, apportent à Dieu et à moi le fruit de suavité en temps et
saison.
Mais ceux qui méprisent les secours de mon Fils et les miens, et se laissent
emporter au vent des tentations par les instigations de Satan et par ses œuvres,
sont déracinés de l'état de grâce, et sont conduits par le diable, par les
désirs et les œuvres illicites, jusques à ce qu’ils soient plongés dans les
fondrières de l'enfer, pour y endurer les peines éternelles.
Or, maintenant, sachez qu’en la cité de Naples sont commis des péchés divers en
nombre, horribles en qualité, abominables et cachés, lesquels je ne nommerai
pas. Mais je vous parlerai de deux espèces de péchés manifestes, qui déplaisent
grandement mon Fils, à moi et à toute la cour céleste : le premier est qu’ils
achètent des païens et infidèles pour leur service, et même quelques seigneurs
ne se soucient point ni ne veulent point qu’ils soient baptisés ni qu’ils se
convertissent à la foi chrétienne. Que si quelques-uns d’iceux sont baptisés,
après le baptême, leurs maîtres ne se soucient point de les faire instruire en
la foi chrétienne et de les disposer à la réception des autres sacrements de
l’Église, non plus qu’avant leur conversion, d’où vient qu’ils commettent mille
péchés et ne savent revenir au sacrement de pénitence et de la sainte et auguste
communion pour être restaurés et rétablis en l’état de salut, de la divine
réconciliation et de la grâce. D'ailleurs, quelques autres tiennent leurs
servantes esclaves avec autant d’abjection et d’ignominie que si elles étaient
des chiennes, les vendant, et qui pis est, les exposant aux vilenies et ordures,
pour gagner de l’argent, argent de turpitude et d’abomination.
D’autres les tiennent en leurs maisons comme des prostituées pour eux et pour
les autres, et cela est grandement abominable devant Dieu et devant moi, devant
les anges et devant les hommes. D'autres exaspèrent et rudoient tellement leurs
esclaves par paroles et coups, que quelques-uns viennent en de grands désespoirs
et en volonté de se suicider. Ce péché déplaît grandement à Dieu et à toute la
cour céleste car Dieu aime ces esclaves comme ses créatures, et pour les sauver,
il est venu au monde, prenant la chair humaine, souffrant la mort et la passion
en la croix.
Sachez aussi que ceux qui aiment ces païens et infidèles à intention de les
faire chrétiens avec volonté de les instruire et de les former en la foi
chrétienne et en la vertu, et avec intention de leur donner la liberté en la
vie, ou quand les maîtres mourront, en telle sorte néanmoins qu’ils ne soient
point hérétiques, tels maîtres méritent beaucoup et me sont agréables; mais
sachez pour certain que ceux qui font le contraire seront grandement punis de
Dieu.
La deuxième espèce de péché est que la plus grande partie des hommes et des
femmes consultent les sorciers, les devins et autres infâmes enchanteurs, pour
diverses intentions et desseins, car quelques-unes leur demandent qu’ils fassent
en sorte qu’elles puissent engendrer, d’autres afin d’être aimées avec passion,
d’autres pour savoir les choses futures, d'autres la santé en leurs maladies.
Tous ceux qui s’en servent et les tiennent en la maison sont haïs de Dieu, et
tant qu’ils persévéreront en ces mauvais desseins, ni la grâce ni l’amour du
Saint-Esprit ne seront jamais répandus en leur cœur.
Mais ceux qui feront pénitence de tels péchés et s’amenderont avec humilité,
avec propos de n’y retomber jamais, obtiendront miséricorde de mon Fils.
Et la vision disparut.
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