D’un doute qu’avait un évêque de ne résider point en son diocèse, à raison qu’il gouvernait un marquisat aux marches d’Ancone.
Chapitre 29

Que Dieu soit éternellement béni pour ses biens. Ainsi soit-il! Monsieur et mon révérend Père, selon l’humble recommandation que vous en avez faite à Brigitte, que vous ne connaissiez pas, de prier Dieu pour vous avec toute humilité, à quoi je vous dis vraiment en ma conscience que je suis une inutile pécheresse et du tout indigne, vous m’avez écrit que je vous récrivisse quelques conseils spirituels pour le salut de votre âme.

Dieu, ayant égard à votre foi et humilité, a voulu satisfaire à vos saints désirs, n’ayant point égard à vos péchés, mais à votre amoureuse demande, car hier, moi indigne, je priais pour vous Notre-Seigneur. Il m’apparut en esprit, me disant par similitude : Or, vous à qui la faveur est faite d’entendre et de comprendre les choses spirituelles, écoutez, et sachez pour certain que tous les évêques, abbés et tous les bénéficiers ayant charge des âmes, qui, laissant leurs églises, les brebis qui leur sont commises, et qui, tenant d’autres bénéfices ou offices à intention et volonté d’y être plus honorés des hommes et pour être rehaussés à un plus grand éclat dans le monde, bien qu’ils ne dérobent rien en ces offices et qu’ils n’y commettent aucune injustice, néanmoins, d’autant qu’ils se glorifient en ces charges et honneurs, et laissent leurs églises et leurs brebis pour cela, eux et ceux qui se comportent de la sorte, sont devant Dieu comme des pourceaux revêtus des habits pontificaux et des ornements sacerdotaux, comme on dirait par similitude : Il y avait un grand seigneur qui avait invité ses amis à un souper. A l’heure du souper, ces pourceaux, ainsi revêtus, entrèrent dans le palais devant ce seigneur et devant ceux qui soupaient.

Or, le seigneur leur voulant donner des viandes délicates, ils n’en voulurent point, mais ils commencèrent à grogner et à gronder comme des pourceaux, désirant avidement manger du gland ou des viandes viles. Or, le seigneur, voyant cela et ne l’entendant point, détesta leur façon de faire avec abomination; et soudain il dit à ses serviteurs, étant en colère et en indignation : Chassez-les dehors de mon palais, afin qu’ils s’assouvissent et se rassasient de gland sordide, car ils sont indignes de la viande qui est préparée pour mes amis.

Donc, o mon révérant Père et seigneur, j’ai entendu que vous deviez faire de la sorte, savoir, qu’en conscience vous jugiez si les brebis de votre évêché qui vous sont confiées, sont bien et spirituellement gouvernées en votre absence, selon le salut de leurs âmes, ou non; si elles sont aussi bien conduites, et que d’ailleurs vous voyiez que vous êtes fort utile, pour le plus grand honneur de Dieu et le salut des âmes au régiment du marquisat, vous y pouvez demeurer selon la volonté de Dieu, pourvu que le désir d’honneur ou la vanité du gouvernement ne vous séduire.

Or, si votre conscience vous dicte le contraire, je vous conseille qu’ayant quitté le gouvernement du marquisat, vous retourniez à votre église pour gouverner les brebis de Jésus-Christ, qu’il vous a confiées spécialement pour les repaître personnellement par paroles, exemples et œuvres, avec toute sorte de soins, non comme un mercenaire, mais comme un bon pasteur.

Pardonnez-moi, ô mon seigneur, si je vous écris telles choses, étant une femme ignorante et une pécheresse indigne. Je prie notre bon et vrai Pasteur qui a daigné mourir pour ses brebis, de vous donner la grâce du Saint-Esprit, afin que vous gouverniez bien ses brebis, et que, jusques au dernier soupir de votre vie, vous fassiez sa sainte volonté.