Révélation touchant l’instruction d’Elzéar, fils de la comtesse d’Arian.
Chapitre 5

Louange et gloire soient au Dieu tout-puissant, de qui toutes choses bonnes procèdent, et spécialement pour les choses qu’il a faites, étant petit enfant, par la grâce duquel il nous faut demander, afin que l’amour que vous avez envers Dieu s’augmente de jour en jour jusques à la mort!

Certainement ce roi puissant et magnifique édifia une maison en laquelle il mit sa fille bien-aimée, la confiant à la garde d’un certain homme, lui parlant en ces termes : Ma fille a de mortels ennemis, c’est pourquoi vous la devez garder avec toute sorte de soins. Il y a donc quatre choses auxquelles vous devez diligemment prendre garde avec une grande attention et soin : 1° qu’on ne fouille le fondement de la maison; 2° qu’aucun ne passe par-dessus les murs; 3° que personne ne perce les murailles; 4° qu’aucun ennemi n’entre par les portes.

Vous devez, Monsieur (1), entendre spirituellement cette parabole, que je vous écris de la part du divin amour, Dieu, scrutateur des cœurs, m’en est témoin! Par la maison, j’entends votre corps, que le Roi du ciel a fait de terre; par la fille du Roi, j’entends votre âme, créée par la vertu de Très-Haut et mise en votre corps; par le gardien, j’entends la raison humaine, qui gardera votre âme selon les arrêts et décrets du Roi éternel; par le fondement, une bonne, ferme et constante volonté, car il faut bâtir sur icelle toutes les bonnes œuvres par lesquelles l’âme est très-bien défendue.

Partant, puisque telle est votre volonté, que vous ne voulez vivre pour autre fin que pour suivre les volontés de Dieu, lui rendant tout l’honneur que vous pourrez par paroles et par œuvres, lui obéissant et le servant de corps, de biens et de toutes vos forces, afin de garder votre âme de toute impureté et la consigner ès mains de votre Créateur, oh! qu’avec une grande vigilance il vous faut garder ce fondement, c’est-à-dire, votre volonté, avec le gardien, qui est la raison, de peur que quelqu’un avec ses machines ne le fouille, au grand dommage de l’âme.

J’entends par ceux qui s’efforcent de fouiller ce fondement, ceux qui vous disent : Monsieur, soyez laid; épousez une femme belle, noble et riche, afin que vous vous réjouissiez des enfants et des héritages, et soyez affranchi des tentations et afflictions de la chair. D’autres vous disent que, si vous voulez être prêtre, vous tâchiez d’être docteur, de vous enrichir des biens de l’Église, les ayant ou par prières ou par présents, car lors vous aurez l’honneur mondain pour être savant, et serez glorifié par vos amis et honoré des serviteurs, à raison des richesses.

(1) Elzéar.

Que si quelqu’un s’efforce de vous persuader ces choses, faites soudain réponse à la raison, disant que vous préférez endurer toutes les afflictions de la chair que perdre la chasteté. Répondez aussi qu’à l’honneur de Dieu et à la défense de la foi catholique, pour le bon exemple de tous, pour la réduction des errants et pour tous ceux qui auront besoin de science, vous voulez étudier et être docteur, que vous ne voulez rien désirer par-dessus la nécessité de votre corps et de votre famille en cette vie, et voulez rejeter les superfluités qui ne servent qu’à ostentation.
Dites aussi que si quelque dignité ecclésiastique vous arrive, la divine Providence en disposant ainsi, vous désirez disposer sagement de cela même à l’honneur de Dieu et l’utilité du prochain, et de la sorte, la raison pourra chasser tous les ennemis qui désirent fouiller le fondement, c’est-à-dire, la bonne volonté. La raison doit aussi prendre garde incessamment et soigneusement que quelqu’un ne surpasse et ne franchisse la hauteur des murs, par laquelle j’entends la charité, qui est la plus sublime de toutes les vertus.

Sachez donc pour certain que le diable ne désire rien tant que de sauter par-dessus ces murs; de là vient qu’il s’efforce tant qu’il peut que la mondaine charité et l’amour charnel surmontent l’amour divin; de là vient, Monsieur, que toutes fois et quantes que l’amour mondain voudra supplanter l’amour divin dans votre cœur, vous devez lui envoyer soudain au-devant le jugement, avec les commandements divins, disant que vous aimez mieux souffrir la mort du corps que vivre pour offenser par paroles ou par œuvres un Dieu si clément et si doux, voire que vous ne voulez épargner ni la vie, ni les biens, ni les amis, ni les âmes, afin de pouvoir plaire à Dieu seul et l’honorer en tout, et que vous choisissez les plus grandes tribulations plutôt que d’apporter aucun dommage, peine ni désolation à votre prochain, de lui causer scandale ou affliction, mais que vous voulez plutôt aimer votre prochain, selon le commandement de Dieu.

Si vous faites de la sorte, vous témoignerez que vous aimez Dieu plus que vous-même, et votre prochain comme vous-même. Lors la raison, qui est ce gardien, peut assurément se reposer en cela, savoir, que pas un ne pourra franchir la hauteur des murailles. Par les murailles, j’entends les quatre délectations de la cour céleste, que l’homme doit avec une grande considération voir et désirer intérieurement : la première est désirer avec ferveur de voir Dieu en la gloire éternelle, et de posséder les richesses qui ne manquent jamais. La deuxième est désirer d’entendre les accords et les voix mélodieuses des anges, qui louent sans fin ce grand Dieu et l’adorent incessamment. La troisième est souhaiter de tout son cœur et d’un fervent amour de louer éternellement Dieu comme les anges.

La quatrième est désirer jouir des consolations éternelles des anges et des saints, d’où il faut noter que comme, l'homme étant en la maison, de quelque côté qu’il se tourne, les murailles l’environnent, de même aussi, qui désire ces quatre choses, savoir, voir Dieu en sa gloire, ouïr louer Dieu par les anges, le louer avec eux et jouir de leurs consolations, certainement, de quelque côté qu’il se tourne, de quelque œuvre qu’il s’occupe, lors il sera toujours conservé entier, de sorte qu’il semblera que, demeurant en cette vie avec les anges, il conversera avec Dieu.

Oh! Que votre ennemi, Monsieur, désire de percer ces murailles, d’arracher du cœur tels désirs et plaisirs, d’embrouiller votre esprit, et de lui suggérer de bien différentes choses qui peuvent nuire à votre âme!
Partant, le gardien, c’est-à-dire, la raison, doit prendre garde à deux chemins par lesquels l’ennemi a accoutumé d’entrer dans le cœur : 1° l’ouïe; 2° la vue. Par l’ouïe, il y vient suggérer des chants de syrène et des plaisirs séculiers, la musique de divers instruments, sonnant mélodieusement; ouïr des fables et des discours inutiles, par lesquels tout autant que l'homme s’élève en soi-même par la superbe, tout autant il s’éloigne de Jésus-Christ. Que la raison donc y visite, disant : Comme le diable en a haine l’humilité que le Saint-Esprit inspire aux cœurs des hommes, de même, avec la grâce de Dieu, j’aurai en haine toute sorte de pompe et toute la superbe du monde, que le malin esprit suggère aux cœurs des hommes par son inflammation pestifère et mortifère, et il me sera aussi odieux que la puanteur des animaux morts et corrompus.

Par la vue, l’ennemi a accoutumé d’entrer pour percer lesdites murailles, portant avec soi plusieurs instruments, savoir, de toutes sortes de métaux, diverses choses diversement diversifiées, des pierres précieuses, des vêtements honorables, des palais, des châteaux, des héritages, des étangs, des bois, des vignes, et autres choses grandement estimées par les mondains. Si on désire passionnément les choses susdites, les murailles seront bientôt dissipées, c’est-à-dire, les plaisirs célestes. Il faut donc que la raison, comme un gardien, les prévienne avant que la délectation de ces choses surprenne le cœur, disant : Si jamais j’ai en ma puissance quelques choses de ce que nous avons vu ci-dessus, je les mettrai en coffre, où les larrons et la teigne ne sont point à craindre; et Dieu aidant, je ne l’offenserai point en aucune de ces choses, ni ne me séparerai point de Jésus-Christ et de la société de ceux qui le servent pour toutes ces choses-là.

Par les portes de cette maison j’entends toutes les choses nécessaires au corps, lesquelles le corps ne peut refuser, comme manger, boire, dormir, etc. être triste quelquefois, quelquefois joyeux. Il faut donc que la raison prenne soin à ces portes nécessaires, et avec crainte résiste incessamment aux ennemis, afin qu’ils n’entrent en l’âme. Partant, comme en la réfection, il faut se donner garde que l’ennemi ne s’y glisse par la superfluité, qui rend le corps paresseux au travail et au service de Dieu, il faut de même prendre garde que, par la grande abstinence, qui rend le corps impuissant à rien faire, l’ennemi n’y entre.

Que la raison prenne encore garde que, pour l’amour mondain, faveur et amour des hommes, soit que vous soyez seul, soit que vous soyez avec votre famille, soit quand les hôtes arriveront, vous fassiez multiplier avec raison les mets, et fassiez du bien à tous par amour divin, ne recherchant point pourtant la pluralité des viandes trop délicates. Après, prenez garde avec raison que, comme il faut prendre le boire et le manger avec modération, il faut aussi avec autant de crainte modérer le sommeil, afin que le corps soit prompt au service de Dieu et mieux rangé, afin que le temps des veilles soit bien employé au service de Dieu et à des œuvres sortables, chassant la stupidité d’un sommeil intempéré.

Or, si quelque trouble vous attaque ou quelque rancune, que la raison et la crainte de Dieu y remédient promptement, de peur que, par colère ou impatience, vous ne soyez privé de la grâce divine et que vous n’attiriez sur vous l’ire de Dieu. Si quelque consolation ou joie remplit votre cœur, que la raison imprime profondément dans votre cœur la crainte de Dieu, afin que, par l’aide de Jésus-Christ, votre consolation soit modérée, selon qu’il verra vous être plus utile.

ADDITION
Sainte Brigitte étant à Naples, les secrets du cœur d’Elzéar, qui fut ensuite cardinal, lui furent révélés, et quelques autres choses signalées qui lui devaient arriver, lequel, les ayant ouïes, vécut mieux.