Notre-Seigneur Jésus-Christ parlait à son épouse ; il lui disait entre autre
choses : Ecoutez , et sachez que l’état des hommes laïques était bien rangé
autrefois. En effet , quelques-uns labouraient la terre et y étaient assidus ;
les autres parcouraient les mers , allaient aux marchandises et transportaient
en d’autres régions , afin que la fertilité d’une région aidât à la stérilité de
l’autre. Les autres s’occupaient aux ouvrages manuels et à divers arts et
artifices. Entre ceux-ci il y avait quelques défenseurs de la foi et de
l’Eglise, qui sont appelés curiaux ou porte-épée , d’autant qu’ils avaient pris
les armes pour la vengeance des injures qu’on fait à l’Eglise sainte et à la foi
, et pour combattre et abattre les ennemis de Dieu.
Entre ceux-là apparut un bon homme et mon ami , qui ruminait ces pensées en son
esprit : Je ne laboure point la terre, comme un laboureur : je ne cingle pas sur
la mer ; je ne m’occupe point aux œuvres manuelles, comme un excellent ouvrier .
que ferai-je donc, ou par quelles œuvres apaiserai-je mon Dieu ? Je ne suis pas
fort pour les œuvres de l’Eglise : mon corps est débile et mol pour souffrir les
plaies ; ma main est lâche pour frapper les ennemis ; mon esprit est dégoûté
pour considérer les choses célestes : que ferai-je donc ? Certainement je sais
ce que je ferai : je me lèverai, et m’obligerai , par un serment stable , sous
un prince temporel , à défendre de toutes mes forces et de tout mon sang la foi
de la sainte Eglise.
Mais cet homme, venant à ce prince ou roi , lui dit : Je suis des défenseurs de
l’Eglise. Mon corps est trop mol pour souffrir les plaies, ma main trop lâche
pour frapper, mon esprit trop léger et trop inconstant pour considérer le bien
et pour agir; ma volonté propre me plaît ; le repos, qui m’est si cher, ne me
permet pas de m’opposer fortement aux ennemis pour la maison de Dieu. Partant,
je m’astreins avec jurement public, sous l’obéissance de notre Mère la sainte
l’Eglise, et de la vôtre , mon prince , à la défendre tous les jours de ma vie.
Que si mon esprit et ma volonté se refroidissent au combat, j’y suis tenu à
cause de mon jurement, et j’y puis être contraint.
Le prince répondit : J’irai avec vous en la maison de Dieu , et je serai témoin
de votre jurement et promesse.
Or , tous deux venant à mon autel , mon ami, étant agenouillé devant l’autel ,
dit : je suis trop faible en ma chair pour pâtir les plaies ; ma volonté propre
m’est trop chère ; ma main est trop lâche pour frapper : c’est pourquoi je
promets maintenant obéissance à Dieu, et à vous qui êtes le chef , promettant
avec jurement de défendre la sainte Eglise contre ses ennemis , d’affermir les
amis de Dieu , de faire du bien aux veuves , aux orphelins et à ceux qui sont
fidèles à Dieu, de ne rien faire contre l’Eglise de Dieu et la foi.
Et d’ailleurs , je m’oblige à votre correction, si je me fourvoie, afin qu’étant
obligé , je puisse mieux fuir le péché et mes volontés propres, et d’autant plus
facilement et avec plus de ferveur faire la volonté de Dieu et la vôtre , et que
je sache qu’il m’est autant damnable par-dessus les autres et suis plus
méprisable, qu’ayant violé l’obéissance , je présume d’aller encore contre vos
commandements.
Or , ayant fait cette profession devant mon autel, le prince, considérant
sagement, se disposa un habit différent de ceux des séculiers, en signe de
l’anéantissement et de la résignation de sa volonté propre ; et afin qu’il sût
qu’il avait un supérieur à qui il devait obéir , le prince lui donna un glaive
en sa main , disant : Avec ce glaive , vous taillerez les ennemis de Dieu. Et
lui donnant au bras le bouclier, il lui dit : Avec ce bouclier , vous vous
mettrez à couvert des coups de vos ennemis, et souffrirez patiemment les injures
qu’on vous fera ; et plutôt que de fuir, que votre bouclier se crève. Il promit
au prêtre qui était là présent de garder le tout fidèlement. La promesse étant
faite, ce prêtre le communia en force et affermissement, afin que mon amis,
étant uni avec moi, ne se séparât jamais de moi.
Tel fut mon ami Georges et plusieurs autres ; tels devraient être les chevaliers
qui devaient avoir un nom à raison de leur dignité, un habit pour régir et
défendre la sainte foi.
Ecoutez maintenant, ô mon épouse, ce que mes ennemis font contre ce que mes amis
auraient fait auparavant. Certainement les chevaliers qui portaient mes armes
étaient prêts à donner leur vie pour la justice et à répandre leur sang pour la
sainte foi ; ils annonçaient la perfection de la justice à ceux qui en avaient
besoin , et ils déprimaient et humiliaient les mauvais. Mais écoutez maintenant
comment il sont différents de leur première institution : autrefois ils
mouraient pour la foi , maintenant ils meurent pour la vanité, cupidité et
envie, selon les diverses suggestions , et ne vivent pas selon mes commandements
, pour obtenir la joie éternelle.
Donc, tous les chevaliers qui meurent en telle volonté, leur stipende leur sera donnée par le jugement de la divine justice ,
savoir, que leurs âmes seront en l’éternelle conjonction avec le diable. Mais
ceux qui me servent doivent avoir la stipende avec la milice céleste qui est
sans fin.
Moi, Jésus-Christ, ai dit ces paroles, moi qui suis vrai Dieu et vrai homme, un
Dieu avec le Père et le Saint-Esprit.
|