La Reine du ciel apparut à l’épouse, disant : Oyez , vous qui comprenez ce qui
est spirituel, et venez avec moi ès colloques du Saint-Esprit. Je suis un vase
rempli et remplissant , car comme le vase, étant sous le torrent, se remplit
d’eau, et comme l’eau s’écoule , toutefois le vase est toujours rempli du
coulant du torrent , de même mon âme , quand elle fut créée et conjointe au
corps , fut remplie du coulant du torrent du Saint-Esprit , duquel elle n’a
jamais été vide. Partant , quiconque vient à moi avec humilité et pureté de cœur
, aura le secours du Saint-Esprit.
C’est pourquoi je puis être fort bien appelée un vase rempli, car
quand j’étais au monde, au cour de son torrent , le Fils de Dieu vint en mon
corps , prenant de moi la chair et mon sang ; il a demeuré en moi jusques à la
naissance ; et étant né et venant en mes mains , les anges se réjouirent et
annoncèrent la paix en terre.
Après cela , mon Fils tomba en la peine de la mort , quand sa peau fut déchirée
de coups de fouets , que les os furent serrés par les clous, et quand le cœur se
creva , tous les autres membres étant morts. Or , le cas fut grand, d’autant que
par là la puissance du diable était diminuée et les portes du ciel s’ouvraient.
Je compare la passion de mon Fils au tonnerre, dont on voit la lueur avant qu’on
en entende le bruit : de même la passion de mon Fils était annoncée par la
bouche des prophètes longtemps avant qu’elle vînt. Mais après que mon Fils fut
mort, un grand bruit a été excité, qu’on a ouï longtemps et prêché après sa
passion, et pour cela plusieurs donnèrent joyeusement leur vie. Or , maintenant
mon Fils est tellement oublié et méprisé que quelques-uns estiment sa mort comme
rien.
D’autres disent qu’il ne savent pas s’il y a un Dieu ou non ; d’autre le
savent , mais ils ne s’en soucient pas, et il y en a peu qui se souviennent de
sa passion avec amour ; et afin que la passion de mon Fils vienne en ma mémoire
, les paroles que je vous ai manifestées sont venues au monde , et partant ,
vous avez été envoyée au roi de Suède, qui , étant enveloppé dans les filets
d’une quantité de péchés, après avoir été séparé du diable, a été par moi reçu
pour mon fils , désirant en faire un généreux combattant pour l’honneur de Dieu.
Le diable, voyant cela, lui porta envie, comme jadis à Moïse jeté en l’eau, le
berceau duquel Notre-Seigneur conduisit au port, lequel , bien qu’il fût empêché
en sa langue, disait néanmoins tout ce que Dieu voulait ; et fuyant de crainte
d’Egypte, il retourna à pharaon , la divine Providence l’ordonnant de la sorte :
de même le diable en a fait au roi , car il a jeté un grand orage en son cœur ,
afin qu’ayant assemblé une grande multitude de combattants , il se retirât de
son entreprise à cause de la pauvreté et de la famine ; et partant, il était
établi un certain nombre de personnes.
D’ailleurs, Le roi, par la suggestion du diable, considéra de la sorte : Les
amis de Dieu n’ont point de science de batailler et combattre, c’est pourquoi
j’irai chercher des gens aguerris au combat, à qui le diable envoya ensuite
plusieurs des siens , par le conseil desquels il fut gouverné, bien qu’il fût
manifesté au roi à quels conseils il devait obéir. Il lui avait été aussi
conseillé d’amener quand et soi des prêtres et religieux de bonne vie , et cela
fut fait par la providence du Saint-Esprit contre les astuces de diable.
Certainement, il sait qu’en peu de temps Dieu lui voulait montrer comment il
fallait entrer en bataille. Le diable savait aussi qu’il y en a plusieurs dans
le paganisme qui s’estiment grands dans leur secte , et il n’ignore point qu’il
y en a plusieurs qui désirent savoir la foi sainte et catholique. Partant , le
diable désire qu’au temps de grâce , on envoie chez eux des gens pleins
d’ignorance et de cupidité. Donc, les amis de Dieu, les prêtres et les
religieux, doivent être prêts , avec une sapience spirituelle , à répondre aux
païens qui viennent à eux avec leur secte.
Beaucoup d’autres choses vous sont dites, qui ne se feront pas sitôt ; mais ces
paroles doivent être gardées jusques au temps fixé , car Dieu montra à Moïse
plusieurs choses qui n’ont pas été accomplies en une heure. David fut manifesté
roi longtemps avant d’en avoir la puissance , et partant, que les amis de Dieu
attendent patiemment et qu’ils ne se dégoûtent pas en l’œuvre.
Nous disons aussi que les frères de l’ordre de Saint-Dominique , de
Saint-François et les Bernardins, sont sortis avec le roi, d’autant que ces
trois ordres sont appelés pour la conversion des païens. Les monastères doivent
certainement se faire pour ceux qui méprisent véritablement le monde , qui n’ont
d’autre volonté que celle d’honorer Dieu et de trouver son amitié.
Mais quelques-uns de ces frères considèrent et disent : Où est ce peuple à qui
il fallait prêcher ? Où est le lieu où il fallait édifier ? Le peuple d’Israël
disait pareillement à Moïse : Où est la terre promise ? Il eût mieux valu pour
nous être en Egypte sur les pots de chair que d’être exposés aux danger de
mourir de faim et d’angoisse. Le peuple néanmoins arriva en Israël au temps
qu’il plut à Dieu, bien que quelques-uns murmurassent.
Que le roi donc ait toujours avec soi des prêtres dévots et tels qu’ils le
suivent volontairement, poussés par la charité divine , et qu’il se donne garde
d’amener des prêtres cupides comme des oiseaux de rapine.
Mais écoutez maintenant ce que je dois dire, moi , Mère de miséricorde : Ce roi
que j’ai appelé mon fils est maintenant fils de rébellion , à qui , quand il
était petit enfant , étaient gardés deux royaumes. Etant arrivé aux ans de
discrétion, il gouvernait injustement et sans discrétion ; néanmoins, Dieu , le
souffrant, lui donnait même des dons spirituellement, quand il convertit son
cœur à Dieu. D’ailleurs, il lui remet en mémoire ce que Dieu lui a fait, car il
arriva souvent qu’étant enfant au ventre de la mère , il était si lié avec la
mère qu’il ne pouvait aucunement en être séparé. Ce que la femme sage
considérant sagement , elle dit : S’il demeure davantage au ventre de la mère ,
tous deux mourront ; si on les sépare, la mère mourra et l’enfant vivra.
Et soudain la femme sage sépara l’enfant de la mère , avec laquelle il était
collé : de même ce roi était lié à sa mère le monde ; que s’il y fût demeuré
davantage , il y fût mort et serait descendu aux peines de l’enfer. Or , moi ,
Reine du ciel , j’allai au roi , le séparant de l’amour du monde. Or , j’allai à
lui par l’inspiration du Saint-Esprit qui entra dans son cœur, car là où le
Saint-Esprit entre , là entre le Père , le Fils et le Saint-Esprit ; et comme il
est impossible que les trois personnes puissent être séparées en la Trinité ,
aussi est-il impossible ( la loi et le décret divin de grâce , de prédestination
et de gloire ) , que moi, étant Mère de Dieu , puisse être séparée de Dieu. En
vérité , j’ai eu en moi le Fils de Dieu avec sa Divinité et son humanité.
Partant , Dieu le Père m’a en sa Divinité , et le Saint-Esprit est le lien de
notre dilection, où le Saint-Esprit, qui est dans le Père et le Fils , est en
moi , et nous ne pouvons être séparés. En ce doute , quand j’allai au roi , Dieu
donna à son cœur la contrition, et à leur yeux les larmes spirituelles,
qu’aucune ne peut obtenir que par la grâce divine.
Le deuxième bien : je remets en mémoire au roi quelle grâce a été faite en son
royaume , car mon Fils, qui est assis au souverain trône de la Majesté
souveraine, vous parle souvent, ô Brigitte, vous qui êtes née de son royaume ;
et j’ai mérité cette grâce au roi, afin qu’il rendît honneur à Dieu et ce fruit
à son âme ; à qui j’ai montré aussi par vous comment il gouvernerait sagement
son royaume , et d’aimer charitablement son peuple , et en quelle manière il
devrait se gouverner corporellement et spirituellement pour l’honneur de Dieu.
En troisième lieu, le lui remets en mémoire la manière dont il a été élevé ,
afin que, s’il voulait, il portât la foi catholique aux païens.
Mais oyez maintenant ce que le roi a fait, car moi, Mère de miséricorde, j’ai
appelé ce roi mon nouveau fils, oui, nouveau , d’autant qu’il était venu
nouvellement à la sainte obéissance. Je lui avais promis par vous que je voulais
être la maîtresse et la défenderesse de son camp et de son royaume, et que je
serais devant lui aux terres de ses ennemis , et il a été fait de la sorte , car
la paix était en sa terre par la divine Providence, par mes prières , et avant
lui, j’ai été en la terre des ennemis, quand je les ai amassés en un lieu que je
lui devais donner.
Un peu de temps s’étant écoulé , les instruments du diable vinrent à ce roi ,
pleins d’un cœur malin et d’un esprit méchant, qui se confiaient ès mains des
hommes plus qu’au secours de leur Créateur, la cupidité desquels fut plus grande
aux possessions terrestres que pour le secours des âmes , les langues desquels
excita à parler celui-là qui poussa Judas à vendre son Créateur ; les dents
desquels étaient élevées par les doigts du diable ; les lèvres froides desquels
furent ointes du venin de Satan : c’est pourquoi la charité divine ne leur fut
point à goût, mais crachant les paroles de vérité , ils eurent la fausseté en
leur bouche.
Le roi , obéissant à leurs pernicieux conseils, a retiré mes ennemis de mes
mains , résistants à la sainte foi, et lors je demeure le sein vide et toute
seule. Ce roi fit aller les loups çà et là , assignant les agneaux ès mains des
serpents, qui sont tous prêts à les déchirer, et lors ils se sont remplis du
venin d’une plus grande malice.
Telles choses ont procédé des trompeuses suggestions de Satan. Le roi , ayant
méprisé le conseil des amis de Dieu , obéit aux conseils charnels des hommes ;
et ne considérant point la force divine et ne pensant point à mes conseils , il
s’en retourna sans aucun fruit , et il foula le peuple de son royaume , étant
désobéissant à Dieu et aux hommes , et violateur de sa promesse par sa malice.
Mais comme la mère s’apaise bientôt, son fils lui demandant miséricorde, je lui
en dis de même maintenant : Mon fils, convertissez-vous à moi, et je retournerai
à vous. Sortez de votre chute, selon le conseil des amis de Dieu.
Cette lettre est la dernière que je lui enverrai.
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