La Mère de Dieu parle à l’épouse , disant : Ma fille, je vous ai dit ci-dessus
quelle était la dernière lettre que je devais envoyer à ce roi , mon ami , ce
qu’il faut entendre de celles qui touchent sa personne en particulier , et à moi
. Si quelqu’un entendait chanter quelque chose utile qui appartînt à son ami, et
qu’il le lui rapportât certainement , soit que cela fût un cantique de joie ou
une lettre de répréhension salutaire , ils seraient dignes de récompense l’un et
l’autre , celui qui l’a chantée et celui qui l’a rapportée.
De même en est-il de la justice justifiante de Dieu en l’équité et en la miséricorde , qui veut
chanter la justice et la miséricorde. Quiconque donc voudra ouïr, qu’il oie. Ce
n’est point une lettre de répréhension , mais un cantique de justice et d’amour,
car jadis, quand on envoyait une lettre à quelqu’un, elle contenait répréhension
et avertissement ; elle reprenait d’ingratitude des bénéfices et avertissait de
la conversion des mœurs. Mais maintenant la justice divine chante un beau
cantique qui touche à tous : celui qui l’entendra et le recevra en croyant et en
faisant de bonnes œuvres, trouvera le fruit de salut et le fruit de la vie
éternelle.
Mais vous me pourriez demander pourquoi les paroles divines sont si obscures
qu’on les peut interpréter en diverses manières , et que quelquefois elles sont
autrement entendues de Dieu , autrement des hommes.
Je réponds : Dieu est semblable à un homme qui fait du vin ardent, ou bien de
l’eau ardente , qui se fait du vin : celui-là a plusieurs alambics ou tuyaux,
par lesquels tantôt le vin monte et tantôt descend par l’action de la chaleur,
jusques à ce qu’il soit parfait. Dieu en fait de même en ses paroles , car
quelquefois il monte par les effets de sa justice ; quelques autres fois il
descend par les effets de sa miséricorde, comme cela paraît par le roi à qui le
prophète dit qu’il mourrait et que la justice le voulait. Puis il lui ajouta
plusieurs années de vie par la miséricorde.
Quelquefois Dieu descend par la simple prolation de sa parole
De sa parole et manifestation corporelle, mais il descend aussi par
l’intelligence spirituelle , comme en David , à qui plusieurs choses ont été
dites sous le nom de Salomon ; mais elles ont été accomplies comme elles avaient
été entendues du Fils de Dieu et par lui. Quelquefois il parle des choses
futures comme des choses passées , et touche semblablement le présent et le
futur, d’autant qu’en Dieu toutes choses sont présentes, le passé et le futur,
quasi comme un point.
Vous ne devez admirer si Dieu parle par des manières obscures ; cela se fait
pour quatre raisons:
1° Afin que Dieu montre sa grande miséricorde , de peur que quelqu’un , oyant la
fureur de sa justice, ne désespère de la miséricorde , car quand l’homme change
la volonté de pécher, Dieu change aussi alors la rigueur de sa sentence.
2° Afin que , croyant à la justice et aux promesses, nous soyons couronnés plus
largement, à raison de la foi et de l’espérance amoureuse. Si on savait les
conseils de Dieu avec certitude de temps, quelques-uns se troubleraient pour les
cas et avènements contraires ; d’autres se désisteraient par dégoût de la
ferveur de leurs désirs ; et partant, à raison de ces choses, quand j’écris à
quelqu’un quelques paroles, il n’est pas exprimé en la conclusion, savoir , si
ces paroles seront reçues et crues avec effet ou non ; ni aussi il n’est pas
déclaré s’il les recevra , s’il y croira, et s’il y répondra avec effet ou non ,
car il n’est pas permis de savoir cela.
3°Afin qu’aucun ne présume malheureusement de discuter et éplucher mes paroles ,
car c’est lui qui abaisse et humilie les grands , et qui des ennemis fait des
amis.
4° Afin que celui qui cherche occasion de savoir, la trouve , que ceux qui sont
corrompus , le soient encore, et afin que les bons soient manifestés.
Le Fils de Dieu parlait après et disait : Si quelqu’un parlait à un autre par un
tuyau ayant un trou, et disait à celui qui écoute : Vous n’entendrez jamais plus
ma voix par ce trou , serait-il à reprendre, si après il parlait par les autres
deux ? De même en est-il maintenant en notre pourparler , car bien que ma Mère
la Sainte Vierge ait dit que c’était la dernière lettre qui serait envoyée au
roi, il faut entendre touchant sa personne. Mais maintenant, moi , Dieu , qui
suis en ma Mère et ai ma Mère en moi, j’enverrai mon messager au roi , tant pour
ceux qui vivent que pour la postérité. La justice donc et la miséricorde sont en
Dieu de toute éternité , car de toute éternité cette justice fut en Dieu , car
il est avant le temps tout plein de sapience et de puissance. Il voulut aussi
que plusieurs participassent à sa bonté, et partant, il créa les anges.
Quelques-uns d’eux, considérant leur beauté , désirèrent s’élever par-dessus
Dieu : partant, ils tombèrent et devinrent des démons sous les pieds de Dieu.
Et encore en ces choses, Dieu exerce la miséricorde , car quand le diable accomplit le mal qu’il désire ,
il se console en quelque manière de sa malice , ce qu’il ne pourrait , si Dieu
ne le lui permettait , non que pour cela la peine du Diable diminue , mais comme
un malade se console , voyant que son ennemi est mort, bien que la douleur de sa
maladie ne diminue point pour avoir ouï une telle nouvelle , de même le diable,
à raison de l’envie dont il brûle que Dieu fasse justice contre les hommes , se
réjouit, et quasi la soif de sa malice est étanchée par cela. Mais Dieu , voyant
la diminution de ses troupes angéliques, créa, après la présomption des diables
, l’homme , pour obéir à ses commandements et afin qu’il se sanctifiât, jusques
à ce qu’autant d’hommes montassent au ciel qu’il en était descendu d’anges.
L’homme donc , ayant été créé parfait et ayant eu le commandement de vie, ne
considéra pas Dieu, ne pensa pas à lui ni à l’honneur qui lui est dù , mais
consentant à la suggestion du diable , enfreignit le commandement , disant :
Mangeons du fruit défendu , et nous saurons , comme Dieu , le bien et le mal. Or
, Adam et Eve ne voulaient point mal à Dieu , comme le diable, ni ne voulaient
pas s’élever par-dessus Dieu , mais voulaient être sage comme Dieu : partant ,
ils sont tombés , non certes comme le démon, car il portait envie à Dieu, c’est
pourquoi sa misère n’aura point de fin.
Mais l’homme a voulu autre chose que Dieu , c’est pourquoi il a souffert et
mérité la justice avec la miséricorde. Or, ils ressentirent la justice, quand
ils obtinrent la nudité pour la robe de gloire, la faim pour l’abondance, les
vers et les tentations pour la tranquillité , le labeur pour le repos. Ils ont
encore obtenu soudain La miséricorde , savoir, un vêtement pour la nudité , de la viande pour la faim
, l’assurance de leur union pour la propagation de la prospérité. Certainement
Adam fut d’une vie fort honnête, et n’eut jamais autre femme qu’Eve.
Dieu fait aux âmes miséricorde et justice. Dieu a fait trois choses grandement
excellentes:
1° les anges , qui sont esprit, et non chair ; 2° l’homme, qui a l’esprit et la
chair ; 3° les animaux, qui ont la chair , mais non pas une âme intelligente
et raisonnable comme l’homme. Or, l’ange, qui est un esprit , est uni
incessamment avec Dieu , c’est pourquoi il n’a pas besoin l’aide humain ; mais
l’homme, qui est chair, n’est pas toujours si uni à Dieu que ce qui est mortel
ne soit séparé de l’esprit. Et afin que l’homme subsistât , Dieu lui créa
l’animal irraisonnable , pour le secourir , le servire et lui obéir, Dieu exerce
sa miséricorde en ces animaux en quelque manière : ils n’ont point les
appréhensions de la mort ; il se contentent d’une vie simple.
Après , le déluge étant passé , Dieu fit aussi miséricorde avec justice, car
Dieu pouvait bien, s’il l’eût voulu , introduire en peu de temps son peuple
d’Israël en la terre promise ; mais la justice demandait que les vases qui
devaient tenir et contenir une bonne liqueur, fussent plus tôt nettoyés et
sanctifiés, auxquels aussi Dieu fit de grandes miséricordes, car un homme ,
Moïse, priant, leur péché leur fut pardonné et la grâce divine leur fut donnée.
Semblablement, après l’incarnation , jamais ma justice n’a été sans miséricorde.
Or, lors une voix cria très-haut , disant : O Mère de miséricorde, Mère du roi
éternel ! obtenez-nous la miséricorde. Les prières et les larmes du Roi , votre
serviteur , sont venues à vous. Nous savons que la justice veut que ses péchés
soient punis, mais obtenez-nous la miséricorde, afin qu’il se convertisse, fasse
pénitence et honore Dieu.
L’Esprit répondit : Il y a en Dieu quatre sortes de justice :
La première est que celui qui est incréé et de toute éternité soit honoré sur
toutes choses, car en lui et par lui sont unies et subsistent toutes choses .
La deuxième est que tous servent celui qui a été toujours, qui est, et qui est
né en son temps déterminé, et qu’il soit aimé avec toute pureté .
La troisième justice est qu’à celui qui est de sa nature impassible et a été
passible en l’humanité, et qui, ayant pris la mortalité, a mérité à l’homme
l’immortalité, soit désiré plus que tout ce qui se peut désirer .
La quatrième justice est que ceux qui sont inconstants et volages cherchent la
vraie constance , et que ceux qui sont plongés dans les ténèbres désirent la
lumière , c’est-à-dire , le Saint-Esprit , demandant son aide avec contrition et
vrai humilité.
Mais quand à ce roi, serviteur de la Mère de Dieu , pour lequel est maintenant
la miséricorde, la justice dit qu’il ne lui reste pas assez de temps pour
purifier les péchés commis contre la miséricorde divine , comme la justice
l’exige , ni même son corps ne pourrait souffrir les peines que ses péchés
méritent. En vérité la miséricorde de la Mère de Dieu a impétré et mérité la
miséricorde pour son serviteur , afin qu’il oie et voie ce qu’il a fait, et
comment il se pourra amender , s’il se veut convertir , s’amender et s’exciter à
contrition.
Et soudain je vis au même instant au ciel une maison d’une grandeur et d’un
éclat admirables. En la maison, il y avait un pupitre, et en icelui un livre, et
devant ce livre l’ange et le diable, l’un desquels , savoir , ce diable,
parlait, disant : Mon nom est Hélas. Cet ange et moi suivons une chose désirable
à nous , car nous voyons que Dieu tout-puissant propose de grandes choses pour
bâtir, et c’est pourquoi nous travaillons, l’ange pour la perfection de la
chose, et moi pour sa destruction. Mais il arrive que quand cette chose
désirable vient quelquefois en mes mains, elle est de tant de ferveur et chaleur
que je ne la puis tenir ; mais quand elle vient aux mains des anges , elle est
si froide et si glissante qu’elle retombe soudain de leurs mains.
Et quand je considérais attentivement et regardais sur le pupitre , mon esprit
ne pouvait comprendre avec toute sa considération comme il était, ni mon âme ne
comprit jamais sa beauté ni son éclat, ni l’ange ne le saurait exprimer.
L’aspect de ce pupitre était comme un rayon de soleil , ayant la couleur rouge
et blanche et d’or reluisant. La couleur d’or était reluisante comme un soleil ;
la couleur blanche était comme de la neige très-blanche , et la rouge comme la
rose rouge ; et chaque couleur, par une admirable disposition, était vue en
l’autre. En effet, quand je regardais la couleur d’or, je voyais la blanche et
la rouge en elle, et ainsi dans chaque couleur je voyais les autres ; néanmoins
l’une était distincte et séparée de l’autre , mais en tout elles semblaient
égales. Mais lorsque j’ai regardé en haut , je n’ai pu comprendre sa hauteur ,
largeur et longueur , car toutes choses étaient en ce pupitre d’une grandeur
incompréhensible.
Après , je vis en ce pupitre un livre resplendissant comme l’or très-éclatant.
Ce livre était ouvert ; il n’était pas écrit avec de l’encre, mais chaque parole
était vivante en ce livre et parlait d’elle-même, comme si quelqu’un disait :
Faites cela ou cela ; et soudain cela était fait à l’émission de la parole. Pas
un ne lisait l’écriture du livre, mais tout ce que l’écriture contenait se
voyait tout au pupitre et en ses couleurs.
Je vis devant ce pupitre un roi qui vivait au monde ; à gauche du pupitre, je
vis un autre roi mort qui était en enfer ; à droite je vis aussi un autre roi
mort qui était en purgatoire. Le roi vivant susdit était comme dans un globe de
verre, assis et couronné. Sur le globe pendait un glaive à trois pointes ,
horrible , s’approchant du globe à tous les moments , comme fait l’aiguille de
l’horloge à son signe.
A la droite du même roi vivant était un ange qui avait un vase d’or et un sein ;
à gauche était le diable , ayant des tenailles et un marteau , et tous deux
combattaient à qui s’approcherait de plus près du globe de verre pour le rompre.
Lors j’ouïs une voix horrible du diable qui disait : Jusques à quand ceci sera
t-il ? Nous poursuivons tous deux une même proie , mais nous ignorons à qui elle
sera.
Et soudain la justice divine parla et me dit : Ce qui vous est montré n’est pas
corporel, mais spirituel. L’ange et le diable ne sont pas corporels , mais ceci
se fait de la sorte , d’autant que vous ne pouvez pas comprendre les choses
spirituelles que par des similitudes corporelles. Le roi vous paraît vivant dans
le globe de verre, d’autant que la vie n’est que comme du verre fragile qui se
casse en un moment. Le glaive à trois pointes, c’est la mort, qui fait trois
choses quand elle vient : elle débilite le corps, change la conscience, mortifie
toutes les forces , divisant comme un glaive l’âme de la chair.
Or, quand à ce que l’ange et le diable semblent se débattre sur le globe de
verre, cela signifie qu’un chacun veut avoir l’âme du roi , qui sera adjugée à
celui aux conseils duquel elle obéira le plus. Quand à ce que l’ange a un vase
et un sein , cela signifie que comme l’enfant se repose au sein de sa mère , de
même l’ange s’efforce que l’âme soit présentée à Dieu comme en un vase , et
qu’elle se repose au sein de la divine consolation. Quand à ce que le diable a
des tenailles et des marteaux, cela signifie que le diable attire l’âme par les
tenailles d’une maudite délectation , et la lâche par le marteau dans le cours
et penchant de ses péchés. Quand au globe de verre, quelquefois trop ardent,
quelquefois lubrique et trop froid , il signifie l’inconstance du roi , car
étant assailli par les tentations fâcheuses et importunes , il pense à part soi
: Bien que je sache que j’offense Dieu , j’accomplirai pourtant la pensée de mon
esprit pour cette fois , car je ne puis plus pour le présent m’en retirer. Et
de la sorte, je pèche sciemment contre Dieu , et péchant sciemment, je tombe
entre les mains du diable. Après, le roi se confessant et s’excitant à la
contrition, s’évade et s’affranchit des griffes de Satan , et vient en la
puissance du bon ange ; et partant, si ce roi ne quitte son inconstance , il est
en grand danger ; son fondement est fort débile et mal assuré.
Après , je vis à l’autre bout du pupitre cet autre roi mort qui fut, tout revêtu
des habits royaux, damné dans l’enfer . Je le voyais mort, pâle et très-hideux.
Il y avait devant sa face une roue ayant quatre lignes à l’extrémité. Cette roue
tournait à la volonté du roi , et les lignes montaient et descendaient selon son
plaisir, car le mouvement de la roue était en la puissance du roi. Les trois
lignes étaient écrites , mais en la quatrième, il n’y avait rien d’écrit.
Je vis encore à la droite de ce roi un ange très-beau , les mains duquel étaient
vides , et il servait au pupitre. Il y avait à gauche un diable horrible, la
tête duquel était comme celle d’un chien ; son ventre était profond et
insatiable, son nombril ouvert, bouillant là dedans du venin coloré, puant et
pestifère ; en chaque pied il avait trois ongles , grands , fort et aigus.
Or , lors un qui était là, luisant comme le soleil , me dit : Ce roi que vous
voyez est misérable , la conscience duquel vous sera maintenant manifestée quel
il a été en son royaume, et quel en ses intentions quand il mourait. Or quelle a
été sa conscience avant qu’il régnât ? Vous ne le savez pas. Néanmoins, sachez
que son âme n’est pas devant vos yeux , mais bien sa conscience. Et d’autant que
l’âme et le diable ne sont pas corporels , mais spirituels c’est pourquoi les
supplices et tourments du diable vous sont montrés par des similitudes
corporelles.
Et soudain ce roi mort commença à parler, non de la bouche , mais comme du
cerveau , et dit : O mes conseillers , telle est mon intention , car tout ce qui
est sujet à la couronne de mon royaume , je le veut posséder et conserver. Je le
veux encore m’efforcer d’amplifier et étendre mon royaume , et non le diminuer.
Or , de quelle manière ce que je possède a été obtenu, je ne veux point m’en
enquérir : il me suffit de le défendre et de l’augmenter.
Et lors le diable s’écria , disant : Voilà qui est troué : qu’est-ce que mes
griffes y feront?
Lors la justice répondit du livre : Mettez dans le trou une griffe, et tirez-le
à vous.
Et soudain que la justice eut prononcé cette parole, la griffe y fut mise. Et
soudain vint le marteau de la miséricorde, par lequel le roi pouvait casser la
griffe, s’il eût cherché en toutes choses la vérité et s’il eût changé sa
volonté en mieux.
Le même roi parla encore et dit : O mes conseillers et mes hommes , vous m’avez
pris en seigneur, et moi je vous ai pris en conseillers. Je vous montre, dans
mon royaume, un homme qui a traité de mon honneur et de ma vie , qui dresse des
embûches à mon royaume, qui trouble le repos public et le bien commun du
royaume. Si donc un tel homme est toléré , la république se perdra , les
discordes la mineront , et les maux d’intestins s’augmenteront dans le royaume.
Les doctes et les idiots , les grands et les petits croient à mes paroles, de
sorte que cet homme que j’avais diffamé de trahison, fut grandement blâmé ,
souffrit du mal et fut confus, et on donnait sentence de l’envoyer en exil. Ma
conscience néanmoins savait bien quelle était la vérité sur ce fait , que
j’avais dit faussement force choses contre cet homme pour l’ambition du royaume
et pour crainte de ne régner , afin que mon honneur se dilatât , et afin que le
royaume me fût plus assuré et à la postérité. J’ai pensé aussi à part moi : Bien
que je susse la vérité comment le royaume m’avait été acquis et comment cet
homme avait été blâmé, si toutefois je le reçois encore en grâce et si je dis la
vérité, tout l’opprobre et tout le dommage fondront sur moi. Et partant, je
résolus en mon esprit de mourir plutôt que dire la vérité, et que de révoquer
mes paroles et mes faits, quoi qu'injustes.
Lors le diable répondit : O Juge , voyez en quelle manière ce roi me donne sa
langue.
La Justice divine répartit : Mettez-lui un lacet.
Et soudain que le lacet lui fut mis , devant la bouche de ce roi pendait un fer
très très-aigu , avec lequel il pouvais couper le lacet , s’il eût voulu.
Le même roi dit : O mes conseillers, je me suis conseillé des prêtres et des
docteurs de l’état de mon royaume, qui me disaient que si je consignais mon
royaume ès mains d’autrui , je serais la ruine de plusieurs , le traître de la
vie et de l’honneur , et le violateur de la justice et des lois. Et partant,
afin que je retienne mon royaume pour moi et que je le défende des corsaires ,
il nous faut inventer quelque chose de nouveau , car les anciens revenus
prévenus du fisc ne sont point suffisants ni capables pour le gouvernement et la
défense du royaume : partant, j’ai inventé quelques nouvelles impositions de
tributs et des actions trompeuses pour mettre sur mon royaume , au dommage de
plusieurs citoyens de mon royaume, voire de plusieurs innocents qui ne font que
passer leur chemin, et de plusieurs marchands. J’ai résolu de persévérer en ces
nouvelles inventions d’impositions jusques à la mort , bien que la conscience me
dicte que c’est contre Dieu, contre ma justice et l’honnêteté publique.
Et lors le diable s’écria, disant : O Juge, ce roi a abaissé les deux mains sur
mon vase plein d’eau : que dois-je donc en faire?
La Justice répondit : Epanchez sur icelles votre venin.
Et lors le diable ayant épandu son venin , soudain vint un vase d’onction par
lequel ce roi pouvait anéantir ce venin. Et lors le démon cria hautement, disant
: Hélas ! je vois une chose admirable et inscrutable , car mon crochet est mis
dans le cœur de ce roi ; et soudain il lui a été offert en son sein un grand marteau. Mon lacet
était en sa bouche, et un fer tranchant lui est soudain offert. Mon venin a été
épandu en ses mains, et on lui offre encore un vase d’onction.
La Justice répondit du livre qui était au pupitre , disant : Toutes choses ont
leur temps.
La miséricorde et la justice s’en vont au-devant.
Après cela, la Mère de Dieu me parlait, disant : Venez ma fille ! Voyez, oyez
qu’est-ce que le bon esprit suggère à l’âme, et ce que lui suggère le malin
esprit, car tout homme reçoit des influences et visites , quelquefois du bon
esprit , quelquefois du malin , et il n’y en a pas un qui ne soit visité de Dieu
tandis qu’il vit.
Et soudain le même roi apparut mort, l’âme duquel le bon esprit inspirait ,
pendant qu’il vivait, en cette manière : O mon ami , vous êtes obligé d’obéir à
Dieu de toutes vos forces , car il vous a donné la vie, la conscience
l’entendement, la santé et l’honneur ; et d’ailleurs , il vous a conservé
lorsque vous étiez en péché.
La conscience du roi répondit par une similitude : Il est vrai, dit elle , que
je suis tenu de servir Dieu, par la puissance duquel je suis créée et rachetée ;
par la miséricorde duquel je vis et je subsiste.
Et au contraire , l’esprit malin suggérait au même roi : Mon frère , dit-il, je
vous conseille bien : faites comme celui qui a accoutumé de nettoyer les pommes
: il jette la peau et garde tout ce qui est bon : faites-en de même , car Dieu
est humble et miséricordieux, patient et n’ayant besoin de personne. Donnez donc
vos biens, desquels commodément vous vous pouvez passer , mais gardez pour vous
ce qui vous est utile et agréable. Faites aussi tout ce qui déleste la chair ,
car vous pourrez vous amender facilement, et ce qu’il ne vous plaît de faire ,
ne le faites pas, bien que vous en soyez tenté ; et au lieu de cela , donnez
l’aumône, car de là plusieurs peuvent être consolés.
La conscience du roi répondit : C’est un bon conseil. Je pourrai de fait donner
quelque chose du mien , duquel je n’ai point besoin , que Dieu répute néanmoins
grande chose. Le reste , je le garderai pour mes propres usages et pour acquérir
l’amitié de plusieurs.
Après , l’ange qui avait été donné pour la garde du roi parla par des
inspirations, disant au roi : O mon ami , pensez que vous êtes mortel et que
vous mourrez bientôt ; que Dieu est juste et patient ; qu’il examine toutes vos
pensées et vos œuvres, depuis le commencement jusques à la fin ; qu’il indique
toutes vos pensées, paroles et œuvres, et ne laisse rien indécis. Partant ,
servez-vous raisonnablement du temps de vos forces ; composez vos membres pour
l’utilité de votre âme ; vivez modestement , n’accomplissant point les désirs de
la chair, car ceux qui vivent selon la chair et selon leurs voluptés n’arrivent
jamais en paradis.
Et soudain le malin esprit suggéra au roi d’autres mauvaises pensées , disant :
O mon frère , si vous devez rendre raison à Dieu de toutes les heures et moments
, quand est-ce que vous vous devez réjouir ? Or , écoutez mon conseil : Dieu est
miséricordieux et il est facilement apaisé, car il ne vous eût pas racheté,
s’il vous eût voulu perdre : c’est pourquoi l’Ecriture dit que tous les péchés
sont remis par la contrition. Faites donc comme fit un certain homme fin et
rusé, qui devais payer à son créditeur vingt livres d’or : il n’avait pas de
quoi payer ; il vint à son amis pour prendre conseil ; celui-ci lui conseilla de
prendre vingt livres de cuivre, de les dorer d’une livre d’or , et ainsi dorées
, les bailler au créditeur en paiement. Or , faisant selon le conseil que son
ami lui avait donné , il paya à son créditeur, et réserva pour lui dix livres
d’or pur. Faites-en de même : disposez les dix-neuf heures du temps à la
délectation et au plaisir de votre corps. Il vous suffit d’employer une heure
pour vous exciter à la douleur et contrition de vos péchés. Faites donc sans
craindre, avant et après la confession, tout ce qui vous plaît et délecte , car
comme le cuivre doré semble tout or , de même les œuvres du péché , qui sont
désignées par le cuivre , dorées par l’or de la charité, seront blanchies et
reluisantes comme de l’or.
Lors la conscience du roi répondit : Ce conseil semble délectable et raisonnable
, car faisant de la sorte, je puis disposer tout mon temps selon mon
contentement et ma joie.
Après, le bon ange parla au roi par ses inspirations, lui disant ; O mon ami,
pensez , 1° comment Dieu vous a tiré du ventre de votre mère ; 2° pensez avec
quelle patience Dieu souffre que vous viviez ; 3° considérez avec quelle
amertume il vous a racheté de la mort éternelle.
Mais le diable lui suggérait le contraire, disant au roi : O frère , si Dieu
vous a tiré du ventre étroit de votre mère pour vous mettre dans la largeur du
monde , pensez aussi qu’il vous tirera derechef du monde par une dure mort ; et
si Dieu permet que vous viviez longuement, considérez que vous avez au monde
beaucoup de tribulations et d’adversités. Si Dieu vous a racheté par une dure
mort , qui la contraint à cela ? Vous ne l’en avez point prié.
Le roi répondit en sa conscience : Il est vrai , ce que vous me suggérez ; je
suis pourtant plus marri qu’il me faille mourir que de ce que je suis né , car
il m’est plus fâcheux de souffrir les adversités du monde que toute autre chose.
J’aimerais donc mieux, si l’option m’était donnée , vivre dans le monde sans
tribulations et y être consolé, que d’être séparé du monde. J’aimerais aussi
mieux avoir la vie perpétuelle au monde avec la félicité mondaine , que d’avoir
été racheté par le sang de Jésus-Christ , car je ne me soucierais point d’être au ciel , si je pouvais
jouir du monde selon mes souhaits.
Et lors j’ouïs du pupitre une voix qui disait : Retirez du roi le vase d’onction
, car il a péché contre Dieu le Père , car Dieu le Père, qui est éternellement
dans le Fils et le Saint-Esprit , a donné par Moïse la loi vraie et droite. Mais
ce roi a fait une loi toute contraire et méchante. Mais d’autant que ce roi fais
quelque peu de bien , quoique non pas avec bonne intention , c’est pourquoi le
royaume lui sera conservé durant le cours de sa vie , afin qu’il soit ainsi
récompensé dans le monde.
La parole de Dieu parla derechef du pupitre , disant : Otez la parole subtile de
devant les yeux du roi, car il a offensé le Fils de Dieu, qui lui même dit en
l’Evangile que justice sans miséricorde sera faite à celui qui n’a point fait
miséricorde . Or , ce roi n’a point voulu faire miséricorde à celui qui était
justement affligé, ni corriger son erreur , ni changer sa méchante volonté. Mais
d’autant qu’il a fait quelque peu de bien , on lui donnera quelque récompense.
Qu’il ait donc la parole de sapience en la bouche et qu’il soit estimé sage de
tous.
En troisième lieu , la parole de Justice parla et dit : Qu’on ôte au roi le
marteau , car il a péché contre le Saint-Esprit, car le Saint-Esprit pardonne
les péchés à tous ceux qui s’en repentent ; mais ce roi a résolu de croupir en
iceux tout le temps de sa vie ; néanmoins il fait quelque peu de bien. Partant,
qu’on lui donne ce qu’il désire pour le contentement du corps, savoir, la femme
qu’il désire en épouse pour le plaisir, et afin qu’il obtienne une belle et
désirable fin de vie, selon le jugement du monde.
Après cela, la fin de la vie du roi s’approchant , le diable dit : Voilà que le
vase d’onction, est ôté : partant, je l’empêcherai de faire de bonnes œuvres.
Et soudain que la parole du diable fut prononcée, le roi fut privé de la force
et de la santé, et soudain le diable dit : Le fer tranchant est ôté. Partant,
j’appesantirai et serrerai mon lacet.
Et soudain le roi fut privé de sa parole , et en ce point, la Justice parlait au
bon ange qui avait été commis à la garde du roi , disant : Cherchez dans la
roue, voyez laquelle des lignes tend en haut, et lisez son écriture.
Et voici que la quatrième ligne tendait en haut , ou il n’y avait rien d’écrit ,
mais elle était comme une roue rasée. Et lors la Justice dit : D’autant que
cette âme a aimé ce qui était vain, qu’elle aille donc à son rémunérateur.
Et soudain l’âme du roi a été séparée du corps. Et l’âme étant entièrement
séparée, le diable cria soudain, disant : Je romprai le cœur de ce roi , car je
possède son âme.
Et soudain je vis comme ce roi était changé depuis la tête jusques aux pieds ,
et paraissait horrible comme un animal écorché. Ses yeux étaient arrachés, et sa
chair était comme toute hachée. Puis on ouït sa voix plaintive : Malheur à moi
qui me suis aveuglé comme un petit chien qui est né en sa cécité , cherchant le
derrière de ma mère, n’ayant voulu voir, à raison de mon ingratitude , les
mamelles de ma mère ! Malheur à moi qui vois , dans ma cécité , que je ne verrai
jamais Dieu ! Hélas ! ma conscience comprend maintenant pourquoi je suis tombé ,
qu’est-ce que je devais faire et que je n’ai pas fait.
Malheur à moi qui , par la providence divine , étant né au monde, reçus le baptême , et ai négligé et
oublié Dieu ! Et d’autant que je n’ai pas voulu boire le lait de la douceur
divine , je suis maintenant plus semblable à un chien aveugle qu’à un enfant
vivant et voyant. Or , bien que je sois roi, je suis contraint de dire la vérité
contre ma volonté , car je suis comme lié de trois cordes, et j’étais obligé de
doucement servir Dieu par la promesse du baptême, à raison du saint Sacrement du
mariage et de la couronne. Mais j’ai méprisé le premier, quand je convertis mes
actions vers le monde ; je ne considérais le second, quand je désirais la femme
d’autrui. J’ai négligé le troisième, quand je me rendais orgueilleux de la
puissance terrestre et ne considérais point la puissance céleste. Partant, bien
que je sois aveugle maintenant, je vois pourtant en ma conscience que , pour le
mépris que j’ai eu du baptême , je dois être lié à la rage du diable, et je dois
souffrir et chercher les plaisirs de Satan en vengeance de mes voluptés
charnelles. A raison de ma superbe, je dois être lié aux pieds de Satan.
Le diable dit alors : O frère, il est temps maintenant que je te parle, et qu’en
parlant, j’exécute. Viens donc à moi, non avec charité , mais avec haine.
J’étais le plus beau des anges , mais toi, tu étais homme mortel. Dieu
tout-puissant m’a donné le libre arbitre ; mais d’autant qu’avec dérèglement je
le tournai plutôt à haïr Dieu qu’à l’aimer , afin que j’excellasse par-dessus
lui , à raison de cela, je suis tombé comme celui qui a la tête en bas et les
pieds en haut. Mais toi , comme tout autre homme, tu as été créé après ma chute
et as obtenu un privilège spécial sur moi, savoir, tu as été racheté par le sang
du Fils de Dieu, et non pas moi . Mais d’autant que vous avez méprisé le sang du
Fils de Dieu et son amour , tournez votre tête à mes pieds , et je prendrai de
ma bouche vos pieds , et nous serons ainsi conjoints ensemble comme ceux-là dont
l’un met le couteau au cœur de l’autre, et celui-ci dans les entrailles du
premier. Percez-moi donc de votre colère, et je vous percerai de la fureur de ma
malice. Et d’autant que j’avais une tête, c’est-à-dire , le pouvoir d’honorer
Dieu , si j’eusse voulu , et que vous aviez des pieds et de la force pour aller
honorer Dieu, et n’avez pas voulu , partant , il consumera mes pieds par le feu
et roidera vos pieds par le froid.
Vous brûlerez incessamment, mais vous ne serez pas consumé ; voire vous serez renouvelé dans les feux. Lions-nous aussi
avec trois cordes : la première liera votre nombril et le mien, afin que, quand
je soufflerai, je verse mon venin en toi, et quand tu souffleras, j’attire en
moi toutes tes entrailles , et avec raison , car tu as plus aimé toi-même que
ton Créateur , et moi aussi je me suis plus aimé moi-même que mon Créateur. Avec
la deuxième nous lierons ta tête à tes pieds, et avec la troisième, mes pieds et
ta tête.
Après, je vis ce diable qui avait trois ongles très-aigus en chaque pied, et il
dit au roi : D’autant que vous, ô frère, aviez des yeux pour voir la voie de la
vie, et une conscience pour discerner le bien du mal, partant , deux de mes
ongles perceront vos yeux. Le troisième ongle entrera en votre bouche ; vous en
serez tellement affligé que toutes choses vous en seront amères, d’autant que
l’offense de Dieu vous était au commencement à goût.
Ces choses étant dites , ils furent conjoints en la manière susdite , et tous
deux liés descendirent en l’abîme infernal. Et lors j’ouïs une voix qui disait :
Hélas ! hélas ! qu’est-ce que le roi a maintenant de toutes ses richesses ?
Certainement , il n’a plus autre chose que damnation. Que lui reste-il de tous
les honneurs que honte ? Que lui reste-il de la cupidité et ambition de régner ,
si ce n’est que peine ? Il a été oint de l’huile sacrée, consacré par paroles
saintes ; sa tête a été ornée d’une couronne royal, afin qu’il honorât les
paroles et les œuvres de Dieu , défendit et protégeât son peuple et régnât,
qu’il sût qu’il était sous les pieds du roi Jésus-Christ, et que Dieu était son
rémunérateur. Mais d’autant qu’il a méprisé d’être sous les pieds de Dieu, il
est maintenant sous les pieds du diable ; et n’ayant voulu rédimer son temps par
des bonnes œuvres, le pouvant faire, il n’en aura jamais plus le temps!
Après cela , la Justice du pupitre me disait : Toutes ces choses que je vous ai
décrites au long s’y sont passées en un point devant Dieu : mais vous, qui êtes
corporel, devez entendre les choses spirituelles par les corporelles. Quand à ce
que vous avez vu ce roi, ouï l’ange et le diable parler ensemble, ce ne sont
qu’inspirations et influences du bon ou du mauvais esprit , faites par
elle-mêmes ou par les conseillers du roi.
Quand le diable criait que la muraille était percée , cela se devait entendre
que l’âme du roi était percée par le péché , lorsqu’il disait qu’il voulait
tenir et retenir tout ce qui était sous sa couronne, quoique cela fût mal
acquis , s’endurcissant en cela, sans se vouloir informer sur ce qui lui
appartenait justement et ce qu’il avait injustement, et lorsqu’il ne se soucia
point de savoir comment la justice se rendait en son royaume. Or , lors le
crochet du diable fut mis en l’âme du roi, quand la tentation de Dieu prévalut
en son esprit, et quand il voulut persévérer en son injustice jusques à la mort.
Quand à ce que le marteau vient en la poitrine du roi , cela signifie le temps
de contrition, donné au roi ; car si ce roi se fût entretenu en telles pensées
, disant : Hélas ! j’ai péché. Je ne veux plus pécher à escient ni tenir ce qui
est mal acquis ; je m’amenderai donc du reste ; soudain le crochet de la justice
eût été ruiné et brisé par le marteau de la contrition, et le roi fût arrivé à
une bonne voie et vie. Quand à ce que le diable cria : Voici que le roi me
présente sa langue, et que soudain le lacet y fut mis , le roi ne voulant point
faire grâce à l’homme qu’il avait diffamé , il faut entendre cela en autre
manière , savoir , que quiconque diffame sont prochain à escient , pour
amplifier et étendre sa propre renommée , est régi d’un malin esprit et doit
être lié comme un larron. Or , quand à ce que le fer aigu est venu devant le roi
après le lacet, cela signifie le temps de changement de correction d’une
mauvaise volonté en une vertueuse action.
Quand donc l’homme corrige sa faute par une bonne volonté et un bon amendement,
une telle volonté est comme un fer tranchant par lequel on coupe les lacets du
diable et on obtient rémission de ses péchés. Si ce roi donc eût changé sa
volonté et eût fait grâce à cet homme qu’il avait injurié et diffamé, soudain le
lacet du diable eût été coupé ; mais d’autant qu’il a résolu de mal faire, la
justice de Dieu a permis qu’il s’endurcit de plus en plus.
En troisième lieu, vous avez vu que lorsque le roi songeait à de nouvelles
impositions de tributs et exactions , le venin fut répandu en ses mains , et
tout cela signifie que les œuvres du roi étaient régies par un esprit diabolique
et par de méchantes suggestions ; car comme le venin refroidit et inquiète le
corps , de même ce roi était sollicité et inquiété par de malignes suggestions
et pensées, en recherchant les manières comment il pourrait posséder les biens
d’autrui et l’or des vivants ; car quand les viateurs dormaient, ils croyaient
que leur argent était en sa bourse ; et étant éveillés , ils voyaient que leur
argent était en la puissance du roi.
Le vase d’onction qui vient après le venin signifie le sang de Jésus-Christ par
lequel tout malade est sanctifié et vivifié. Partant , si le roi eût trempé ses
œuvres dans le sang de Jésus par la méditation, et eût prié Dieu qu’il fût son
aide , disant : O mon Dieu, qui m’avez créé et racheté, je sais que , par votre
permission , je suis venu au royaume et à le couronne : combattez et abattez
donc les ennemis qui combattent contre moi, et payez mes dettes , car les biens
de mon royaume ne suffisent pas ; en vérité j’eusse rendu facile les œuvres et
les fardeaux pour les porter. Mais d’autant qu’il désirait le bien d’autrui ,
voulant être vu juste où il savait qu’il était injuste , le diable a gouverné
son cœur , me conseillant et persuadant d’agir contre les constitutions de
l’Eglise, de faire la guerre et de tromper les innocents, jusques à ce que la
justice divine a dit du pupitre jugement et équité.
La roue qui se mouvait selon l’état du roi signifie la conscience du roi , qui ,
à guise d’une roue, se tournait et se mouvait, maintenant à la justice,
maintenant à la joie. Les quatre lignes qui étaient en la roue signifie les
quatre volontés que tout homme est tenu d’avoir , savoir une volonté parfaite,
forte, droite et raisonnable.
La parfaite volonté est aimer Dieu et le désirer sur toutes choses, et c’est ce
qui devait être en la première ligne.
La deuxième volonté est le désir de faire au prochain toutes sorte de biens
comme à soi-même pour l’amour de Dieu ; que cette volonté soit forte , afin
qu’elle ne soit rompue par la haine ou par l’avarice.
La troisième volonté est vouloir s’abstenir des désirs charnels et désirer les
choses éternelles ; cette volonté doit être droite , afin qu’on fasse le tout,
non pour plaire aux hommes, mais à Dieu, et ces choses doivent être écrite en la
troisième ligne.
La quatrième volonté est ne vouloir user du monde que pour la seul nécessité ,
et encore raisonnablement.
La roue apparut renversée en la ligne, d’autant que le roi aimait les plaisirs
du monde, ayant méprisé la dilection divine.
En la deuxième ligne était écrit qu’il avait aimé les honneurs et les hommes du
monde.
En la troisième était écrite la délectation qu’il avait avec dérèglement aux
possessions et richesses du monde.
En la quatrième ligne il n’y avait rien d’écrit, mais tout était vide, en
laquelle ligne devait être écrit : Dilection de Dieu sur toutes choses. Le vide
donc de la quatrième ligne signifie défaut de crainte et dilection divine , car
par la crainte, Dieu est attiré dans l’âme, et par la dilection, Dieu est uni à
l’âme; car si l’homme, en toute sa vie , n’avait point aimé Dieu, et disait, à
la fin de ses jours, de tout son cœur : O Dieu , je me repens de vous avoir
offensé. Donnez-moi votre dilection, et je m’amenderai ; du reste, un tel homme
n’irait point en enfer. D’autant que le roi n’a pas aimé celui qu’il devait , il
a maintenant la récompense de sa dilection.
Après cela , je vis cet autre roi à la droite de la Justice, qui était en
purgatoire, semblable à un enfant qui vient de naître, ne pouvant se mouvoir ,
si ce n’est lever les yeux. A la gauche du roi , je vis aussi un diable , la
tête duquel était semblable à un soufflet avec un long tuyau. Les deux bras
étaient comme deux couleuvres , ses genoux comme une presse, ses pieds comme de
longs crochets. A la droite du roi était un bon et bel ange préparé pour
l’aider. Et lors j’ouïs une voix qui disait : Ce roi n’apparut pas être tel que
son âme était disposée, quand elle sortit du corps.
Et soudain le diable cria au pupitre , disant : Il y a ici quelque chose
d’admirable. Cet ange et moi attendions la naissance de ce roi, lui avec sa
pureté , moi avec mon impureté. Or , cet enfant étant né , la pureté apparut en
sa chair , non pour la conserver , ce que l’ange abhorrant , il ne voulut
toucher l’enfant ; mais moi je le touchai , étant tombé en mes mains. Je ne
savais où le conduire à raison de mon aveuglement et à raison de quelques rayons
de charité qui sortaient de son cœur. Or , l’ange le voyait et savait où il le
voulait amener, mais il ne pouvais le toucher. Partant , vous qui êtes juste
juge, videz et jugez notre différend.
La parole qui était dans le pupitre dit : Vous qui parlez, apprenez pourquoi
cette âme du roi est tombée en vos mains.
Le diable répond : Vous, qui êtes la justice même, avez dit que pas un
n’entrerait au ciel qu’il n’ai restitué ce qu’il tient injustement. Or, cette
âme est toute souillée de ce qu’il a tenu injustement, de sorte que son corps,
son sang, ses veines en étaient nourris et accrus. En second lieu, votre justice
dit qu’il ne faut point amasser de trésor que la rouille et la teigne
démolissent, mais bien ceux qui demeurent éternellement. Or, en cette âme, ce
lieu était vide, où les célestes trésors doivent être enserrés, et ce lieu-là
était plein, où les grenouilles et les vermisseaux étaient nourris.
En troisième lieu, vous avec dit qu’il fallait aimer le prochain pour l’amour de
Dieu : mais cette âme a plus aimé son corps que Dieu, et ne s’est aucunement
souciée de la dilection divine, car étant dans la chair, elle se consolait quand
on lui portait le bien d’autrui. Il blessait le cœur de ses sujets, ne se
souciant point du dommage d’autrui, pourvu qu’il abondât. Il a fait aussi tout
ce qui lui a plu, lui a commandé tout ce qu’il a voulu, et s’est soucié bien peu
de l’équité. Voici donc les causes principales, qui sont suivies d’autres
innombrables.
Lors la parole parla encore du livre de justice, disant à l’ange : O vous, ange
gardien de l’âme, qui êtes en la lumière et voyez la lumière, qui avez le droit
et la vertu pour aider cette âme?
L’ange répondit : Elle a eu la sainte foi; elle a cru et espéré que tout péché
était effacé par la contrition et confession; elle a aussi craint Dieu bien
moins qu’elle ne le devait.
D’ailleurs, la justice parla du livre, disant : O vous, ô mon ange, il vous est
maintenant permis de toucher cette âme, et à toi, diable, il t’est aussi permis
de voir l’éclat de l’âme. Informez-vous donc l’un et l’autre de ce que cette âme
a aimé, quand elle vivait au monde et quand elle était saine en son corps.
L’un et l’autre répondirent, savoir, l’ange et le démon : Elle a aimé les hommes
et les richesses.
Et lors la Justice dit : Qu’est-ce qu’elle aimait, quand elle était agitée des
pressures de la mort?
Ils répondirent : Soi-même, car elle était plus en angoisse de l’infirmité de la
chair et de la tribulation du cœur, que de la mort et passion de son Rédempteur.
D’ailleurs la Justice leur parlait : Informez-vous encore de ce qu’elle a aimé,
et à quoi son esprit était occupé au dernier période de sa vie, quand elle avait
la conscience saine et l’esprit.
L’ange dit : Elle pensait : Malheur à moi qui ai été trop osée et effrontée
contre mon Rédempteur! Plût à Dieu que j’eusse le temps de rendre grâces à mon
Dieu des bienfaits dont il m’a comblée! Plus d’affliction me donne d’avoir péché
contre Dieu que la douleur de ma chair, bien que je n’obtienne point le ciel,
néanmoins, je voudrais servir mon Dieu.
La Justice répondit du livre, disant : D’autant que toi, ô diable, tu ne peux
voir l’âme en raison de son éclat, ni vous, ô ange, ne pouvez la toucher à
raison de son impureté, partant, le jugement veut que toi, ô diable, la
purifies; et vous, ô ange, consolez-la jusqu’à ce qu’elle soit arrivée à la
gloire éternelle. Et vous, ô âme, il vous est permis de regarder l’ange et de
prendre consolation de lui. Vous serez participant au sang de Jésus-Christ, aux
prières de sa Mère et de l’Église.
Or, ces choses étant ouïes, le diable dit à l’âme : D’autant que vous êtes venue
à mes mains, pleine de viandes et de biens mal acquis, c’est pourquoi je vous
égoutterai maintenant par ma presse.
Et lors le démon mit le cerveau du roi entre ses genoux semblables à une presse,
et le serra avec tant de violence que toute la moelle s’écoulait et se rendait
déliée comme la feuille d’un arbre.
Le diable dit encore à l’âme : Le lieu où les vertus devraient être est vide :
partant, je le remplirai. Et lors il mit en l’oreille du roi comme un canal, la
remplissant d’un vent horrible, de sorte que toutes les veines et les nerfs du
roi étaient tous enflés et se rompaient misérablement.
En troisième lieu, le diable dit à l’âme du roi : D’autant que vous avez été
impie et sans miséricorde envers vos sujets qui vous devaient être comme des
enfants, mes bras vous serreront comme si on vous mordait, car comme vous avez
affligé vos sujets, de même mes bras vous déchireront comme des serpents, avec
une douleur insupportable et horrible. Après ces trois peines, le diable
voudrait aggraver encore les peines et commencer par la première. Lors je vis
l’ange de Dieu étendre ses mains sur les mains du diable, de peur qu’il ne
donnât autant de peine qu’à la première, et de la sorte, l’ange adoucissait les
peines à chaque fois, et à chaque peine, l’âme élevait ses yeux vers l’ange, ne
disant pourtant rien, mais seulement elle marquait en son geste qu’elle était
consolée par lui, et que bientôt elle serait affranchie de ses peines.
La voix parlait encore du pupitre, disant : Toutes les choses qui vous sont
montrées avec tant de sérieux devant Dieu, sont faites devant Dieu en un seul
point; mais d’autant que vous êtes corporelle, il fallait vous manifester ceci
par similitude corporelle. Partant, bien que ce roi ait été avide des honneurs
du monde et de recevoir ce qui ne lui appartenait point, néanmoins, d’autant
qu’il a craint Dieu et a laissé de prendre ses plaisir pour la même crainte,
cette crainte l’a attiré à l’amour de Dieu. Partant, sachez que plusieurs,
enveloppés dans les filets de plusieurs péchés, obtiennent la contrition avant
la mort, la contrition desquels peut être si parfaite que, non-seulement le
péché leur est pardonné, mais encore la peine du purgatoire, s’ils meurent dans
la même contrition.
Mais le roi n’a pas obtenu la contrition avant le dernier
point de sa vie, et lors, par ma grâce, il obtint (bien que ses forces lui
manquassent), la contrition, et souffrait plus de douleur de m’avoir offensé et
de m’avoir déshonoré, que de la douleur qu’il endurait et de celle qu’il devait
encore endurer. Or, cette douleur signifiant cette grande lumière, de laquelle
le diable étant obscurci, ignorait où l’âme du roi devait être conduite. Il
n’était pas obscurci pour n’avoir des intelligences spirituelles, mais d’autant
qu’il admirait une si grande lumière en l’âme avec une si grande immondicité.
Mais l’ange savait bien où il avait conduit cette âme, mais d’autant qu’il ne la
pouvait toucher avant d’être purifiée, comme il est écrit : Pas un ne verra la
face de Dieu qu’il ne soit purifié.
La parole me disait encore : Quant à ce que vous avez vu que l’ange étendait ses
mains sur les mains du diable, afin qu’il n’aggravât ses peines, cela signifie
la puissance des anges sur le diable, à réfréner et à contenir leur malice, car
le diable n’a ni ordre ni mesure en ses punitions, s’il n’est retenu par la
vertu divine : c’est pourquoi Dieu fait de même miséricorde en enfer, car bien
que les damnés n’aient point de rédemption, ni rémission, ni consolation,
néanmoins, d’autant qu’ils ne sont point punis par-dessus leurs démérites et
selon la justice divine, en cela Dieu leur fait une grande miséricorde,
autrement le diable n’aurait point de mesure en ses supplices ni en sa malice.
Quant à ce que ce roi vous semblait comme un enfant nouvellement né, cela
signifie que quiconque voudra de la vanité du monde naître à la vie céleste,
doit être innocent, et avec la grâce de Dieu croître en toute sorte de vertus
jusques à la perfection. Quant à ce que le roi levait ses yeux vers l’ange, cela
signifie qu’il recevait de la consolation par le moyen de son ange gardien, et
une joie provenant de l’espérance qu’il avait d’arriver enfin en la vie
éternelle. Ainsi donc, les choses spirituelles se donnent à entendre par les
similitudes corporelles, car les diables ou les anges n’ont point ces membres ni
tant de paroles entre eux, vu que ce sont des esprits, mais leur bonté ou leur
malice est déclarée aux yeux du corps et montrée comme au doigt par telles
similitudes.
La parole du pupitre parlait encore et me disait : Le pupitre que vous avez vu
signifie la Déité même, savoir, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Et ce que
vous n’avez pu comprendre la longueur, largeur, profondeur et hauteur du
pupitre, cela signifie qu’en Dieu il ne se trouve point de commencement ni de
fin, d’autant que Dieu était et est sans principe et sera sans fin. Et ce que
chacune des trois couleurs susmentionnées se voyait en l’autre, et que toutefois
l’on discernait l’une d’avec l’autre, cela signifie que le Père est
éternellement au Fils et au Saint-Esprit, le Fils au Père et au Saint-Esprit, et
le Saint-Esprit en tous les deux, n’étant qu’une seule nature distincte par la
propriété des personnes. La couleur qui semblait comme de sang et rouge signifie
le Fils qui, sans lésion de la Déité, se revêtit de la nature humaine, la
faisant subsister par son hypostase et subsistance personnelle.
La couleur blanche signifie le Saint-Esprit, par lequel les péchés sont lavés. La couleur
dorée signifie le Père, qui est le principe et la perfection de toutes choses,
non qu’il y ait quelque perfection de plus au Père qu’au Fils, ni que le Père
ait été plus tôt que le Fils; et afin que vous entendiez que le même qui est le
Père n’est pas le Fils, mais que le Père est autre en personne, le Fils autre en
personne, le Saint-Esprit autre en personne, et tous trois un en nature, c’est à
cette cause que vous sont montrées trois couleurs distinctes et conjointes :
distinctes pour la distinction des personnes; conjointes et unies pour l’unité
de la nature. Et comme en chaque couleur vous avez vu les autres couleurs et
n’en avez pu voir une sans l’autre, ni rien de prieur ou de postérieur, plus
grand ou plus petit en icelles, ainsi en la Trinité, il n’y a ni prieur ni
postérieur, ni plus grand ni plus petit; rien de divisé ou de confus, mais une
seule volonté, une éternité, une puissance, une gloire. Et quoique le Fils soit
du Père et le Saint-Esprit de tous les deux, toutefois le Père n’a jamais été
sans le Fils et le Saint-Esprit, ni le Fils et le Saint-Esprit sans le Père.
La parole me parlait aussi et me disait : Le livre qui se voyait sur le pupitre
signifie qu’en la Déité, il y a une éternelle justice et sagesse, à laquelle il
ne se peut rien ajouter ou diminuer, et c’est ici le livre de vie, qui n’est pas
écrit comme l’écriture, qui est et n’a pas été, car l’écriture de ce livre est
toujours, car il y a en la Déité ce qui est éternel et intellectif de toutes
choses présentes, passées et à venir, sans changement ou vicissitude quelconque
de sa part, et rien ne lui est invisible, parce qu’il voit tout.
Et ce que la parole se disait elle-même, cela signifie que Dieu est la parole éternelle de
laquelle sont toutes les paroles, et en laquelle toutes choses sont vivifiées et
subsistent. Et lors la parole parlait visiblement, quand le Verbe fut fait chair
et quand il conversait parmi les hommes. Au reste, la Mère de Dieu vous a mérité
cette vision divine, et c’est la miséricorde promise au royaume de Suède,
savoir, que les hommes qui seraient en icelui ouïraient les paroles qui
procèdent de la bouche de Dieu. Et s’il y en a peu qui reçoivent et croient les
paroles célestes qui vous sont divinement données, ce n’est pas la faute de
Dieu, mais des hommes qui ne veulent pas quitter le glaçon de leur âme; car
aussi les paroles de l’Évangile ne sont pas accomplies avec les premiers rois de
ce temps-là, mais il viendra encore des temps où elles le seront.
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