Dieu le Père parlait à l’épouse, disant : Écoutez mes paroles, et dites ce que
je vous commande, non pour votre honneur ou pour votre blâme, mais tenez votre
esprit également en balance, sans pencher ni du côté de ceux qui vous louent, ni
du côté de ceux qui vous blâment, à ce que vous n’entriez en colère pour le
blâme ni en vanité pour la louange; car celui-là est digne d’honneur qui est et
qui a été éternellement en soi-même; qui, mû par la charité seule, a créé les
anges et les hommes, non pour autre sujet qu’afin qu’il y en eût plusieurs qui
fussent participants de sa gloire, car je suis maintenant le même en puissance
et en volonté que je fus lorsque mon Fils prit chair humaine; je suis et j’ai
été en lui, et lui a été en moi, et le Saint-Esprit en tous deux;
et bien qu’il fût caché au monde que ce fût le Fils de Dieu, toutefois il fut connu de quelque
petit nombre : c’est pourquoi sachez que cette justice de Dieu, qui n’a jamais
eu de commencement non plus que Dieu même, et que la lumière fut montrée aux
anges avant de voir Dieu, lesquels ne churent pas pour avoir ignoré la loi et la
justice de Dieu, mais parce qu’ils ne la voulurent pas garder, car ils savaient
fort bien que tous ceux qui aimeraient Dieu verraient Dieu et demeureraient
éternellement avec lui; que ceux qui haïraient Dieu seraient éternellement punis
sans le voir jamais en sa gloire. Et toutefois leur ambition et cupidité leur
firent plutôt choisir de haïr Dieu pour être punis, que de l’aimer afin d’avoir
une joie éternelle.
La justice qui fut exercée à l’endroit de l’homme est semblable à celle des
anges, car l’homme est plutôt tenu d’aimer Dieu et puis de le voir : c’est
pourquoi mon Fils a voulu, par sa charité, naître après la loi de justice, afin
d’être visible par son humanité, ne pouvant l’être par sa Divinité. De plus le
libre arbitre fut donné aux hommes comme aux anges, pour désirer les choses
célestes et mépriser celles de la terre : c’est pourquoi je visite plusieurs en
plusieurs et différentes manières, quoique ma Déité ne soit point vue, et j’ai
montré, en plusieurs endroits de la terre à plusieurs personnes, en quelle
manière le péché de chaque contrée a pu être amendé, et en quelle manière on a
pu obtenir miséricorde, avant que ma justice vînt à y prononcer et faire
exécuter ses arrêts.
Mais les hommes ne considèrent pas ceci et ne s’en soucient
pas. Cette justice aussi est en Dieu, que tous ceux qui sont sur la terre
espèrent en premier lieu fermement ce qu’ils ne voient pas, et croient à
l’Église de Dieu et au saint Évangile, après qu’ils aiment sur toutes choses
celui qui leur a tout donné et s’est livré lui-même à la mort pour eux, afin que
tous se réjouissent éternellement avec lui : c’est pourquoi je parle moi-même à
ceux à qui bon me semble, afin qu’on sache comment on doit amender les péchés,
diminuer la peine et augmenter la couronne.
Après ceci, je vis tous les cieux comme s’ils n’eussent été qu’une maison, en
laquelle était assis un Juge sur un trône, et la maison était pleine de
serviteurs louant le Juge chacun de sa voix. Sous le ciel se voyait un royaume.
Et soudain fut ouïe de tous une voix qui disait : Venez au jugement, vous deux,
vous, ange, qui êtes le gardien du roi, et toi, esprit malin qui es son
gouverneur.
Et cette parole dite, l’ange et le diable comparurent devant le Juge. L’ange
ressemblait à un homme tout troublé, et le diable à un homme plein d’aise et de
joie. Et lors le Juge dit : Mon ange, je vous établis gardien du roi, lorsqu’il
fit un pacte avec moi et se confessa de tous les péchés qu’il avait commis
depuis sa jeunesse, afin que vous fussiez plus proche de lui que le diable.
Comment est-ce donc que maintenant je vous vois éloigné de lui?
L’ange répondit : O Juge, je brûle du feu de votre charité, de laquelle aussi le
roi fut échauffé pour un temps. Mais depuis qu’il a méprisé et eu en abomination
ce que vos amis lui ont dit, et qu’il s’est ennuyé de faire ce que vous lui
aviez conseillé, lors il s’en est allé où son plaisir l’a attiré, et s’éloignant
de moi, il s’est à toute heure approché de l’ennemi.
Le diable répondit : O Juge, je suis le froid même, et vous, vous êtes la
chaleur même et le feu divin. Comme donc quiconque s’approche de vous devient
plus ardent aux bonnes œuvres, ainsi le roi, s’approchant de moi, s’est rendu
plus froid à votre charité et plus chaud à mes œuvres.
Le Juge répondit alors : On avait persuadé au roi d’aimer Dieu sur toutes choses
et le prochain comme soi-même : pourquoi donc m’ôtes-tu un homme que j’ai
racheté de mon propre sang, et le fais porter préjudice au prochain,
non-seulement en ses biens temporels, mais aussi en la vie?
Le diable répondit : O Juge, c’est maintenant à moi de parler et à l’ange de se
taire. Quand le roi se départit de vous et de vos conseils et vint à moi, lors
je lui conseillai de s’aimer soi-même plus que le prochain, et de ne se soucier
point du bien des âmes, pourvu qu’il eût l’honneur du monde, et de ne prendre
point garde qui souffrait nécessité ou injustice, pourvu que ses amis
foisonrassent en toutes choses.
Et lors le Juge dit au diable : Quiconque voudra s’en aller d’auprès de toi, le
pourra, et tu n’en pourras retenir aucun par force et malgré lui : c’est
pourquoi j’enverrai encore au roi quelques-uns de mes amis, qui l’avertiront du
danger où il est.
Le diable répondit : La justice est que quiconque veut m’obéir doit être
gouverné par moi : c’est pourquoi je lui enverrai aussi de mes conseillers, et
nous verrons quels conseils il suivra plus volontiers.
Lors le Juge dit : Va, d’autant que c’est ma justice d’adjuger au bourreau ce
qui est à lui, comme au demandeur ce que le droit de sa cause lui donne.
Quelques années après , je vis derechef le Juge Jésus-Christ avec son armée
céleste ; ému plus que de coutume et comme en colère, il dit à l’ange et au
diable : Dites-moi qui de vous deux a
vaincu.
L’ange répondit : Quand je vins au le roi avec les inspirations du ciel, et vos
amis avec leurs paroles spirituelles , tout aussitôt les messagers du diable lui
soufflèrent aux oreilles , disant : Vous ne devez point épargner les biens de ce
monde , l’honneur , les âmes ni les corps, afin que vos amis, que vous aimez
plus que vous-même, puissent prospérer et être honorés.
Le roi , consentant à ces suggestions, fit réponse à vos amis et à leurs saints
conseils : Je suis assez suffisant et sage pour me conseiller sans vous.
Retirez-vous donc de moi avec honte.
Et ainsi le roi , tournant le derrière de la tête et la face vers l’ennemi ,
repoussa d’auprès de soi vos amis avec déshonneur et injure , et moqués des amis
du monde.
Lors le diable s’écria : O Juge, c’est maintenant à moi de gouverner le roi et
de lui donner du conseil par le moyen de mes amis.
Le juge lui répondit : Va , et afflige le roi autant qu’il t’est permis ,
d’autant qu’il a provoqué mon indignation contre lui.
Deux ans après ceci , le Juge apparut derechef, assisté de l’ange et du diable.
Le diable se prit à parler , disant : O Juge, jugez. Je prononcerai maintenant
justice, car vous êtes véritablement la charité même : c’est pourquoi il est
hors de raison que vous fassiez votre demeure dans ce cœur, où sont enracinées
l’envie et la colère. Vous êtes la sagesse même , c’est pourquoi vous ne devez
pas être dans le cœur de celui qui désire nuire à la vie , aux biens et à
l’honneur du prochain.
Vous êtes la vérité même , c’est pourquoi il n’est pas
bienséant que vous demeuriez avec cet homme, qui avait promis et juré de faire
des trahisons. Donc , parce que ce roi vous rejette comme on rejette avec
horreur ce qui est abominable , permettez-moi de le jeter par terre , et de le
presser de telle sorte qu’il en étouffe , d’autant qu’il estime mes conseils
sagesse , et a les vôtres en dérision, car je désire le salarier d’une telle
récompense, parce qu’il a fait ma volonté. Toutefois je ne pourrai rien faire
sans votre permission.
Et voici que , ces choses ouïes , le Juge semblait être merveilleusement changé
; et lors il apparut reluisant comme un soleil, et dans ce soleil se lisaient
ces trois mots :Vertu , Vérité, Justice.
La Vertu parlais et disait : J’ai tout créé sans aucun mérite précédent de la
par des choses créées , c’est pourquoi je suis digne d’être honoré de toute
créature , et non d’être méprisé. Je suis digne d’être loué de mes amis, à cause
de ma charité, craint et respecté de mes ennemis , d’autant que je les supporte
patiemment, sans qu’ils aient mérité cette grâce , dignes au contraire de
jugement. C’est pourquoi c’est à moi, ô Satan , de juger un chacun selon ma
justice , et non selon ta malice.
La Vérité aussi parla tout aussitôt , disant : J’ai pris de la Vierge
l’humanité, étant en ma Déité. En cette humanité, je parlais et prêchais aux
peuples. J’ai aussi envoyé le Saint-Esprit aux apôtres , et ai parlé par leurs
langues, comme tous les jours je parle par une infusion spirituelle à qui bon me
semble : c’est pourquoi je veux que mes amis sachent que moi-même, qui suis la
Vérité , ai envoyé mes paroles à un roi qui les a méprisées. Toi donc , ô Satan
, écoute maintenant, d’autant que je veux parler, afin qu’on sache si ce roi a
obéi à mes conseils ou à tes suggestions. Je dis maintenant les conseils que
j’ai donnés à ce roi, redisant en peu de mots ce qu’auparavant j’avais expliqué
au long.
Il avait donc été persuadé à ce roi de se garder de tous péchés et de toutes les
choses défendues par l’Eglise ; d’être modéré en ces jeûnes , afin de pouvoir
ouïr les plaintes des sujets et y répondre ; d’être prêt à faire justice à ceux
qui la demanderaient , riches ou pauvres indifféremment , de peur aussi qu’une
trop grande abstinence ne portât préjudice au bien du peuple et au gouvernement
de la chose publique , ou qu’un excès démesuré ne le rendît plus lâche et plus
faible , pour donner audience à tous.
De plus , il lui fut montré en quelle manière il servirait Dieu et le prierait ;
en quels jours et en quel temps il quitterait toute autre occupation pour le
bien du public et pour le bien général de son royaume ; en quels jours il
porterait la couronne royale à l’honneur et à la gloire de Dieu. Il fut aussi
averti de communiquer ses conseils et traiter de toutes ses délibérations avec
des amis de Dieu et des personnes qui aimassent la vérité, et que jamais à
escient il ne transgressât la loi et la vérité ; qu’il n’imposât sur son peuple
aucun tribut extraordinaire, si ce n’est pour la défense du royaume et pour la
guerre contre les infidèles ; d’avoir un certain nombre de serviteurs et de
domestique , selon la portée des revenus de son royaume , et quand au surplus ,
qu’il le distribuât entre les soldats et ses amis.
Il lui fut aussi conseillé d’avertir sagement, avec paroles douces et charitable, les insolents , malavisés
, et de reprendre et châtier puissamment les superbes et obstinés ; d’aimer les
hommes prudents et asservis de longtemps en l’amour de Dieu ; de défendre les
habitants de son royaume et faire ses dons et libéralités avec discrétion ; de
ne diminuer ou aliéner rien qui appartînt à la couronne; de juger équitablement
les étrangers; d’aimer le clergé ; d’obliger à soi le soldat par démonstration
de bienveillance, maintenant en paix ses peuples et ses sujets.
Ces choses ouïes , le diable répondit au Juge, disant : Et moi je conseillai au
roi de faire quelques péchés qu’il n’osait faire en public. Je lui persuadai
aussi de lire par un fort long temps , sans attention et sans dévotion de cœur ,
plusieurs oraisons et psaumes, afin que , prolongeant ainsi et employant
inutilement le temps , il n’ouît les plaintes de personne et qu’il ne rendît
point de justice à celui qui souffrait injure.
Je lui donnai aussi avis de choisir un homme sans faire état de tous les autres gens de bien de son royaume,
de l’élever par-dessus tous, de lui donner commandement sur tous, de l’aimer de
tout son cœur et plus que soi-même, de haïr son fils au prix de lui, de grever
par exactions ses sujets, de tuer les hommes, de dépouiller les églises ;
davantage de permettre , en dissimulant la justice , qu’un chacun portât dommage
à autrui , et de donner quelques terres appartenant à sa couronne à un grand
prince d’un autre royaume, mon frère et mon ami juré, afin qu’à l’occasion de
cette aliénation , il fût suscité des guerres et des trahisons ; que les justes
et gens de bien fussent affligés , les mauvais plongés plus avant dans l’enfer ,
ceux qui iraient en purgatoire tourmentés davantage ; que les femmes fussent
violées, les navires pris et pillés en la mer , les sacrements de l’Eglise
méprisés ; que la vie luxurieuse fût continuée avec plus de liberté , et toutes
mes volontés accomplies avec plus de licence. C’est pourquoi , ô Juge, on peut
savoir et prouver par tous ces traits que le roi a commis plusieurs autres
péchés , s’il a obéi à vos conseils ou aux miens.
La Justice, après ceci, vint à parler et répondre, en disant : Parce que le roi
a eu la vertu en haine et a méprisé la vérité, à cette cause , c’est maintenant
à toi d’accroître au roi quelques maux du grand nombre des tiens , et je dois ,
selon la justice, lui diminuer quelques biens des grâces qui lui ont été
données.
Le diable répondit : J’accroîtrai, ô Juge , et multiplierai mes dons au roi, et
premièrement je lui enverrai la négligence , afin qu’il ne considère point en
son erreur les œuvres de Dieu , et qu’il ne pense point aux œuvres et aux
exemples de vos amis.
La Justice répondit : Et moi je lui diminuerai les infusions de mon
Saint-Esprit. Je lui ôterai les bons souvenirs, et les douces consolations qu’il
a eues par ci-devant.
Et lors le diable : Je lui enverrai l’audace de penser et de faire dix péchés
mortel et véniels sans honte aucune.
La Justice répondit : Je lui diminuerai la raison et la discrétion , afin qu’il
ne considère et ne discerne point les jugements et la peine des péchés mortels
et des péchés véniels.
Et lors le diable dit : Je lui enverrai la crainte, afin qu’il n’ose parler ou
faire justice des ennemis de Dieu.
A quoi la Justice : Je lui diminuerai la prudence et la science de ce qui est à
faire, afin qu’il soit plus semblable à un badin et à un bouffon qu’à un homme
sage.
Le diable dit : Je lui mettrai dans le cœur des tribulations et des inquiétudes
, d’autant qu’il ne prospérera pas selon sa volonté.
La Justice : Je lui diminuerai les consolations spirituelles qu’autrefois il a
eues en ses œuvres et en ses oraisons.
Le diable : Je lui mettrai en l’esprit la ruse pour trouver de subtiles
inventions par lesquelles il supplante et trompe ceux dont il désire la
perdition.
La Justice : Je lui diminuerai l’entendement en telle sorte qu’il ne prendra
pas garde à son honneur et à sa commodité propre.
Le diable : Je lui mettrai une telle réjouissance en l’esprit que même il se
réjouira de sa honte , de la perte et du danger de son âme , pourvu que
temporellement il puisse prospérer à souhait et selon son désir.
La Justice ; Je lui diminuerai cette considération et préméditation qu’ont les
sages en leurs paroles et actions.
Le diable : Je lui donnerai une audace de femme, une crainte
messéante , et des gestes tels qu’il sera plus semblable à un ribaud qu’à un roi
couronné.
La Justice dit alors : Celui qui se sépare de Dieu est digne d’un tel jugement ,
car il doit être méprisé par ses amis , haï de tout le peuple et rejeté par les
ennemis de Dieu , parce qu’il a abusé des dons de la divine charité, tant
spirituels que corporels.
La Vérité alors parla et dit : Tout ce qui a été montré n’est pas pour les
mérites du roi, l’âme duquel n’est pas encore jugée, mais elle le sera au
dernier moment où elle sera appelée de ce monde.
Ces choses dites, je vis que ces trois, savoir , la Vertu , la Vérité et la
Justice , étaient semblables au Juge qui parlait auparavant. Et lors j’ouïs une
voix comme d’un chœur public qui disait : O cieux , et vous , étoiles du
firmament , avec les planètes donnez audience ! Et vous, esprit qui êtes dans
les ténèbres , écoutez tous. L’Empereur souverain veut ouïr et faire jugement
des princes de la terre.
Et soudain les choses que je vis n’étaient pas corporelles, mais spirituelles ,
et mes yeux spirituels étaient ouverts pour voir et pour ouïr. Et lors je vis
venir Abraham avec tous les saints venus de sa génération. Tous les patriarches
et les prophète vinrent. Après, je vis les quatre évangélistes , la forme
desquels était semblable aux quatre animaux qu’on dépeint ès murailles dans le
monde , animaux qui toutefois paraissent vivants et non morts. Après je vis
douze sièges, et en iceux les douze apôtres, attendant la Puissance qui venait .
Après tout ceci venaient Adam et Eve, avec les martyrs, les confesseurs et tous
les autres saints descendus d’eux. L’humanité de Jésus-Christ ne paraissait pas
encore , ni le corps béni de sa Mère , mais tous attendaient qu’ils vinssent. La
terre et l’eau semblaient s’élever jusqu’au ciel , et tout ce qui était en iceux
s’humiliait et se courbait devant la Puissance.
Après je vis un autel qui était au siège de la majesté , et un calice avec du
vin et de l’eau , et du pain en forme de l’hostie qu’on montre à l’autel. Et
lors je vis comme dans une église du monde un prêtre revêtu des ornements
sacerdotaux commencer la messe , lequel ayant fait toutes les cérémonies et dit
les oraisons accoutumées , comme il fut venu aux paroles avec lesquelles on
bénit le pain , je voyais que le soleil , la lune , les étoiles et les planètes
, tous les cieux avec leurs mouvements, retentissaient d’une douce harmonie , et
leurs voix se répondant les unes aux autres , on oyait un chant et une mélodie
admirables. On voyait aussi une infinité de musiciens de toute sorte, dont les
accords étaient si doux qu’il serait impossible aux sens de les comprendre et de
les dire. Ceux qui étaient dans la lumière regardaient le prêtre, et
s’inclinaient avec révérence et honneur devant la Puissance , mais ceux qui
étaient en ténèbres étaient lors effrayés et tremblants.
Le prêtre donc ayant proféré les paroles divines sur le pain , il me semblait
que ce même pain était en trois figures au siège de la majesté , demeurant
néanmoins entre les mains du prêtre. Ce pain devenait un agneau vivant, et en
l’agneau se voyait une face d’homme, et on voyait aussi une flamme ardente au
dedans et au dehors de l’agneau et de la face. Et comme je regardais
attentivement et fixement la face, je voyais l’agneau en icelle. Et regardant
l’agneau, je voyais la même face en icelui. Et une vierge couronnée était assise
avec l’agneau , et tous les anges les servaient , desquels on voyait un nombre
aussi grand que celui des atomes dans le soleil , et une splendeur merveilleuse
procédait de l’agneau. La multitude aussi des âmes saintes était si grande que
mes yeux ne pouvaient arriver à la longueur , largeur , profondeur et hauteur
d’icelle. Je vis aussi quelques sièges vides , qui doivent encore être remplis
pour la gloire de Dieu.
Et lors j’ouïs une voix de la terre d’une infinité de millions qui criaient et
disaient : O Seigneur, juste Juge, jugez nos rois et nos princes , et considérez
l’effusion de notre sang, les douleurs et les larmes de nos femmes et de nos
enfants. Regardez la faim que nous endurons, la honte , les plaies , la
captivité, l’embrasement de nos maisons, les ravissements et les violences
exercées contre l’honneur des jeunes filles et des femmes , les injures faites
aux églises et à tout le clergé.
Voici les fausses et trompeuses promesses des princes et des rois , les
trahisons et exactions qu’ils font avec colère et violence, d’autant qu’ils ne
se soucient pas combien de milliers il en meurt , pourvu qu’ils puissent étendre
et dilater leur superbe. Il y en avait après comme des milliers infinis qui ,
du profond des enfers , criaient et disaient : O Juge, nous savons que vous êtes
créateur de toutes choses : jugez donc nos maîtres et seigneurs, que nous avons
servis en terre , car ce sont eux qui nous ont plongés plus avant encore dans
l’enfer. Et bien que nous vous désirions du mal , toutefois la justice nous
force de nous plaindre et de dire la vérité, car nos seigneurs terriens nous ont
aimés sans charité , ne se souciant pas plus de nos âmes que des chiens, leur
étant indifférent si nous vous aimions ou non , désirant seulement d’être aimés
et servis de nous : c’est pourquoi ils sont indignes du ciel , parce qu’ils ne
se soucient pas de vous, et dignes de l’enfer , si votre grâce ne leur aide,
d’autant qu’ils nous ont perdus, et nous voudrions endurer des peines encore
plus graves que nous n’endurons, afin que leur peines n’eût point de fin.
Après, ceux qui étaient en purgatoire criaient aussi et semblaient dire : O Juge
, nous avons été, par votre jugement, envoyés au purgatoire, à cause de la
contrition et bonne volonté que nous avons eues à la fin de notre vie. C’est
pourquoi nous nous plaignons de nos maîtres et seigneurs qui vivent encore en
terre, car ils devaient nous avoir régis , avertis et repris de parole , nous
avoir enseignés par leurs conseils salutaires et bons exemples. Mais c’étaient
eux qui nous poussaient et encoura-geaient le plus à mal faire et à commettre
des péchés : c’est pourquoi, à cause d’iceux, notre peine est maintenant plus
griève , le temps d’icelle plus long, la honte et la tribulation sont plus
grandes.
Abraham avec tous les patriarches parla après, disant : O Dieu , entre toutes
les choses désirables, nous désirions que votre Fils, qui maintenant est méprisé
, naquît de notre race. C’est pourquoi nous demandons jugement sur eux, d’autant
qu’ils n’ont point d’égard à votre miséricorde et ne craigne point votre
jugement.
Les prophètes aussi parlèrent et dirent : Nous avons prophétisé la venue du
Fils de Dieu, et dit qu’il était nécessaire que , pour la délivrance du peuple,
il naquît d’une vierge , qu’il fût trahi , fait prisonnier , flagellé , couronné
d’épines, et enfin qu’il mourût en croix pour ouvrir le ciel et effacer le
péché. Or , d’autant que ce que nous avons prédit est maintenant accompli ,
c’est pourquoi nous demandons jugement sur les princes de la terre méprisants
votre Fils, qui, par son immense charité , est mort pour eux.
Les évangélistes aussi parlèrent et dirent : Nous sommes témoins que votre Fils
a accompli en soi-même toutes les choses qui avaient été prédites.
Les apôtres dirent ensuite : Nous sommes juges ; c’est pourquoi c’est à nous de
juger selon la vérité . Nous jugeons donc à perdition ceux qui méprisent le
corps de Dieu et ses commandements.
Lors la Vierge, qui était assise près de l’agneau, commença à dire : O mon
Seigneur et mon doux Jésus , ayez pitié d’eux.
Le Juge répondit : Ce n’est pas justice que de vous refuser quelque chose. Ceux
qui se déporteront du péché et feront une pénitence condigue, trouveront
miséricorde , et je détournerai d’eux le jugement.
Après, je vis que la face qu’on voyait en l’agneau parlait au roi et lui disait
: Je vous ai fait une grâce, car je vous ai montré ma volonté comment vous vous
comporteriez au gouvernement de votre état, et comment vous vous gouverneriez
vous-même honnêtement et avec prudence. Je vous attirais comme une mère attire
son petit enfant, avec les douces paroles de ma charité , et vous donnais de la
terreur par mes avertissements, comme fait un père à son fils. Mais vous,
obéissant au diable , vous m’avez rejeté bien loin de vous, comme fais une mère
qui rejette un enfant mort-né, qu’elle ne daigne toucher, encore moins lui
présenter sa mamelle et le lui mettre sur la bouche : c’est pourquoi tous les
biens qui vous avaient été promis vous serons ôtés et donnés à quelqu’un qui
viendra après vous.
Après , la Vierge , qui était assise avec l’agneau, me parlait et me disait : Je
vous veux faire savoir comment est-ce que vous a été donnée l’intelligence des
visions spirituelles , car les saints ont reçu le Saint-Esprit en diverses
manières , car quelques-uns D’eux savaient le temps où adviendraient les choses qui leur étaient montrées ,
comme les prophètes ; les autres savaient en esprit ce qu’ils répondraient aux
personnes venant vers vous , lorsqu’ils seraient interrogés sur quelque chose ;
les autre savaient si ceux-là étaient morts ou vivants, qui étaient loin d’eux ;
quelques-uns savaient quelle fin et quelle issue pourrait avoir quelque bataille
avant qu’elle se donnât.
Mais à vous il n’est pas permis de savoir autre chose, sinon de voir et d’ouïr des choses spirituelles , écrire ce que vous voyez , et
de dire aux personne auxquelles il vous est enjoint de les dire ; et il ne vous
est pas permis de savoir si ceux-là sont en vie ou morts auxquels il vous est
commandé d’écrire , ou s’ils obéiront ou non aux conseils de votre écriture ou à
la vision spirituelle qui vous est divinement donnée pour eux . Mais bien que ce
roi ait méprisé mes paroles , toutefois viendra quelque autre qui les recevra
avec honneur et révérence, et en usera pour son salut.
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