En quoi on connaît que Jésus-Christ est Dieu.
Chapitre 83

La Sainte Vierge parlait, disant. En trois choses, en la mort de mon Fils, on pourrait connaître qu’il était Dieu et homme : 1- d’autant que la terre trembla et que les pierres se fendirent ; 2- quand il dit que l’Écriture était accomplie ; 3- quand il dit au larron : Vous serez aujourd’hui avec moi en paradis ; car pas un des saints ne pouvait promettre cela.

Après, le Fils parlait à ceux qui l’environnaient, disant : O mes amis, mes paroles sont éternelles, et vous savez et voyez tout en moi. Pour l’amour néanmoins de celle qui est ici, qui ne pourrait le comprendre sans quelque similitude, je me plains devant vous.

J’ai eu trois amis au monde : le premier m’a aimé d’autant qu’il m’a goûté, car il pensait en soi-même : Dieu me donne les fruits de la terre et les arbres, les poissons de la mer, et d’ailleurs le corps et l’âme , la santé et tout ce qui est nécessaire ; c’est pourquoi il m’a aimé par la foi et par les œuvres de charité, aumônes, jeûnes, et ceux-là étaient de bons laïques.

Le deuxième m’a aimé, d’autant qu’il goûtait et voyait : il a goûté que la terre donnait son fruit et que le ciel donnait la pluie. Il vit aussi dans les Écritures comment il fallait vivre, quelles étaient ma vie et mon institution et celles de mes saints. Il considéra à part soi : Les hommes sont comme aveugles et comme morts : donc, puisque Dieu m’a donné la science, je les instruirai ; et ceux-là étaient des prêtres savants qui me louaient et me glorifiaient par œuvres, menant une bonne vie.

Le troisième m’a goûté et vu, et m’entendant parfaitement, il me considéra ; il m’a aussi goûté avec mon premier ami, quelle utilité lui portaient la terre et le ciel dont il était éclairé ; il vit avec le deuxième, dans les Écritures, ce qu’il fallait fuir et ce qu’il fallait embrasser ; en troisième lieu, il considéra l’amour que je lui avais manifesté. Partant, pour ces trois considérations, il se mortifia par esprit d’amour en trois manières :
1- Il considéra ma nudité et ma pauvreté, et quittant le monde, il embrassa la solitude ;
2- il considéra la patience de mes tribulations ; c’est aussi ce qui fit qu’il embrassa l’abstinence ;
3- il considéra mon obéissance jusques à la mort de la croix, c’est pourquoi il laissa sa volonté ès mains d’autrui ; ceux-ci étaient ceux qui demeuraient dans les cloîtres.

Ces trois, mes amis, criaient toujours à moi, et leur voix m’était agréable comme une bonne boisson qui est délectable à un qui a soif. Mais maintenant mes amis se sont retirés de moi, et leur voix m’a été abominable comme la voix des grenouilles.

Le premier, c’est-à-dire, la communauté, dit : Je labourerai la terre, puisqu’elle me donne des fruits agréables dont je vis. C’est de mon industrie que j’ai quelque chose, car si je ne travaillais, je n’aurais rien, sans connaître que c’est moi qui leur donne la vie et la santé, ni m’en remercier ; ils ne considèrent point que c’est moi qui dispose le temps à leurs commodités, et que je prépare l’air du ciel pour rendre la terre fertile ; ils ne considèrent point aussi pour quelle fin je les ai créés et qu’ils me rendront compte de mes œuvres : c’est pourquoi ils s’en attribuent la louange, et ils vivent selon leurs volontés ; et d’ailleurs, ils me dépouillent de leur droit, d’autant qu’ils ne me paient pas même les dîmes.

Le deuxième dit : Tout ce que j’ai vient de mon industrie, et je le possède de bon droit : partant, je veux vivre selon mes plaisirs ; je tâcherai d’avoir la sapience des hommes, car la sapience divine n’est que folie ; ses commandements sont onéreux, et son exemple est difficile à imiter. Je suis appelé aux honneurs : partant, je me ferai honneur autant que je pourrai, car la joie est d’être grand au monde.

Le troisième dit : J’entrerai dans le monastère, afin d’avoir plus d’honneur que les premiers ; je m’assiérai où je viendrai pour la pauvreté, je ne veux pas que rien me manque. Pour l’abstinence, je veux que cela dépende de mon vouloir ; pour l’obéissance, je ne me soucie point d’obéir à Dieu, pourvu que j’obéisse aux hommes, car pourvu que je leur plaise, il me suffit.
Telle est leur maudite clameur en mes oreilles, et tels ils sont devant moi.