Paroles de louange que se disaient, en présence de l’épouse, la Mère et son Fils. Comment Jésus-Christ est maintenant réputé des hommes, très vil, très difforme et très déshonnête. Éternelle damnation de ceux qui le traitent ainsi.
Livre 1 - Chapitre 46

La Vierge Marie parlait à son Fils, disant : Soyez béni, mon Fils, vous qui êtes sans commencement et sans fin ; vous qui avez eu un corps très honnête et décent plus que tout autre ; vous qui avez été l’homme le plus adroit et le plus vertueux qui ait existé ; vous qui avez été la plus digne créature du monde !

Son Fils lui répondit, disant : Ma Mère, les paroles qui sortent de votre bouche, me sont agréable, et abreuvent les plus secrètes pensées de mon cœur comme d’un breuvage très doux et suave ; vous m’êtes plus doux qu’aucune créature du monde. Car comme on voit en un miroir divers visages, mais qu’aucun plaît davantage que le propre, de même, bien que j’aime mes saints, je vous aime toutefois d’un amour plus ardent, plus singulier, et plus excellent, d’autant que je suis engendré de votre chair.

Vous êtes comme la myrrhe choisie, dont l’odeur monte jusqu’à la Divinité et la conduit en votre corps : la même odeur a attiré votre corps et votre âme jusqu’à elle, où vous êtes maintenant en corps et en âme. Vous, soyez bénie, parce que les anges se réjouissent à cause de votre beauté ; et à raison de votre vertu, tous ceux qui vous invoquent avec un cœur pur seront délivrés. Tous les démons tremblent à votre lumière ; ils n’oseraient pas s’arrêter en elle, parce qu’ils veulent toujours êtres dans les ténèbres.

Vous m’avez donné une triple louange, disant, 1° que j’avais un corps très honnête, 2° que j’étais un homme très adroit, 3° que j’étais la plus digne de toutes les créatures. Mais ceux-là seulement qui ont un corps et une âme contredisent ces trois choses, car ils disent que j’ai un corps déshonnête, que je suis un homme très abject et maladroit, et que je suis la plus vile de toutes les créatures. Qu’y a-t-il en effet de plus déshonnête que de provoquer les hommes au péché ? Ils disent aussi que le péché n’est pas si difforme, et qu’il ne déplaît pas tant à Dieu, comme on dit, car, disent-ils, rien ne peut être, si Dieu ne le veut, et tout a été créé par lui. Pourquoi donc ne nous servirons-nous pas des choses qui ont été faites pour notre utilité ? La fragilité de la nature a demandé cela, et tous ceux qui ont été devant nous et qui sont à présent, ont vécu et vivent maintenant de la sorte.

A présent, ma Mère, les hommes me parlent ainsi, tournant mon humanité en déshonneur, en laquelle j’ai apparu vrai Dieu entre les hommes, et par laquelle j’ai dissuadé le péché, et j’ai montré combien il était lourd et pesant, comme si j’avais conseillé le déshonneur et la saleté. Certes, ils disent qu’il n’y a rien de plus honnête et qui plaise davantage à leur volonté que le péché, bourreau de l’âme. Ils disent aussi que je suis un homme très déshonnête ; car qu’y a-t-il de plus déshonnête que lui, qui, lorsqu’il dit la vérité, est frappé de pierres sur la face, et sur sa bouche qui se brise. Et en outre, il entend l’opprobre de ceux qui disent : S’il était homme, il se défendrait et se vengerait.

Voilà comment ils me traitent. Je leur parle par la bouche des docteurs et par la sainte Écriture, mais ils disent que je suis un menteur. Ils frappent ma bouche à coups de pierres et à coups de poings, quand ils commettent un adultère, un homicide et un mensonge, et disent : S’il était homme, s’il était Dieu très puissant, il vengerait une telle transgression. Mais je supporte avec patience toutes ces choses, et je les entends tous les jours, disant que la peine n’est point éternelle et fâcheuse, comme on le prétend, et disent que mes paroles véridiques sont des mensonges.

En troisième lieu, ils me croient la plus vile créature du monde : car qu’y a-t-il de plus vil et de plus abject en une maison qu’un chat ou un chien, pour lesquels, si quelqu’un voulait librement faire un échange, il recevrait un cheval ? Mais l’homme m’estime moins qu’il n’estime un chien, d’autant que, s’il devait perdre son chien ou me choisir, il ne voudrait pour cela me recevoir, il me rebuterait plutôt que de le perdre. Mais quelle est la chose, si petite qu’elle soit, qu’on ne désire avec un plus fervent amour qu’on ne me désire moi-même ?

S’ils m’estimaient en effet plus qu’aucune créature, ils m’aimeraient plus que toute autre ; mais il n’est rien de vil et d’abject qu’ils n’aiment plus que moi. Ils ont pitié de toutes choses ; de moi ? nullement. Ils sont marris de leurs dommages propres et de ceux de leurs amis ; ils se fâchent d’une petite parole ; ils sont dolents et affligés de ce qu’ils offensent les autres, plus excellents qu’eux, mais ils ne s’affligent pas de ce qu’ils m’offensent, moi qui suis le Créateur de toutes les créatures. Quel est l’homme, si abject qu’il soit, que l’on n’écouterait pas, s’il parlait, à qui on ne donnerait pas quelque chose, s’il donnait ? Je suis donc la plus abjecte et la plus vile de toutes les créatures en leur présence, d’autant qu’ils ne me croient digne d’aucun bien, quoique je leur aie donné tout ce qu’ils ont.

Donc, ô ma Mère, comme vous avez goûté plus que tout autre ma sagesse infinie, et qu’il n’est jamais sorti de votre bouche que la vérité, de même il ne sortira jamais de la mienne que la vérité. Je m’excuserai en la présence de mes saints, devant le premier qui a dit que j’avais un corps très déshonnête, et je prouverai jusqu’à l’évidence que j’ai un corps très honnête, sans péché, sans difformité, et il sera en opprobre éternel à la face du monde. Quant à celui qui disait que mes paroles étaient un mensonge, et ne savait pas si j’étais Dieu ou non, je lui prouverai vivement que je suis vraiment Dieu : et celui-là, comme une boue puante, tombera dans l’enfer. Quant au troisième, qui m’a jugé et estimé être la plus vile de toutes les créatures, je le jugerai et le condamnerai à un supplice éternel, de sorte qu’il ne verra jamais la splendeur de ma gloire ni ma joie incomparable.

Après, Notre-Seigneur dit à l’épouse : Soyez ferme et constante en mon service. Vous êtes venue comme entre quelque mur, vous y avez été emprisonnée. Vous ne pouvez ni sortir de cette prison ni la percer. Supportez donc volontairement une petite tribulation, et vous éprouverez en mon bras, dont les pouvoirs sont adorables, un repos éternel.

Vous avez connu la volonté de mon Père, vous entendez la parole de son Fils, et vous sentez les mouvements amoureux de mon Esprit. Vous avez une consolation et un contentement indicibles en la parole de ma Mère et de mes saints : donc, soyez ferme et constante, sinon vous sentirez les horribles rigueurs de ma justice, par laquelle vous serez contrainte de faire ce dont je vous avertis maintenant avec tant d’amour.